Madame la ministre, si la formation professionnelle doit être un droit universel, elle ne peut cependant suffire à régler la question du chômage de masse, qui nécessite une politique économique globale utilisant autrement les richesses créées.
Sur la forme, ce projet de loi recouvre un champ extrêmement vaste, au risque d'être un peu fourre-tout et imprécis. Il comporte des renvois par trop systématiques à des décrets, nous empêchant ainsi de connaître réellement les modalités d'application de ses dispositions, au point que se pose la question du respect de l'article 34 de la Constitution. Par ailleurs, la façon dont vous avez manié le dialogue social, auquel vous avez maintes fois proclamé votre attachement, ne laisse pas d'interroger puisque la feuille de route était préétablie pour que les négociations se déroulent dans un délai restreint. En définitive, les organisations patronales sont plutôt satisfaites et les organisations de salariés plutôt mécontentes. Cette habitude fait système : entre ces intérêts contradictoires, vous avez décidément choisi votre camp.
Sur le fond, vous nous aviez promis qu'après avoir libéré le capital, vous protégeriez les salariés. Hélas ! Entre-temps, vous n'avez pas trouvé la pierre philosophale et la matrice de ce projet reste la même que celle des ordonnances : il s'agit, une fois de plus, de faire confiance au marché. En somme, vous libéralisez davantage encore le marché de la formation, sans un mot pour les ambitions des services publics : l'AFPA, Pôle Emploi, les missions locales et les maisons de la formation. La responsabilité est individualisée. Quid de l'évolution des obligations de financement des entreprises ? Du reste, pouvez-vous nous dire si le Plan d'investissement dans les compétences sera financé ? La formation professionnelle conservera-t-elle un financement global suffisant ? L'avez-vous chiffré ? Allez-vous sanctuariser la cagnotte que constituera la somme des versements ?
Sur le plan individuel, rien ne garantit la qualité des formations ni leur caractère qualifiant et diplômant. Le CPF en euros n'est pas au niveau ; il nourrit d'ailleurs beaucoup d'inquiétudes. Pourquoi avoir supprimé le CIF, au lieu de l'améliorer ? Que sont, en effet, 500 euros par an, quand une formation de soudeur à Port-de-Bouc coûte au moins 10 000 euros ? On risque d'assister à la mise en oeuvre d'une logique « court-termiste » et utilitariste de la formation, qui va à l'encontre d'une conception émancipatrice du travail. Les modules de formation deviennent des granules, les acquisitions de compétences étant uniquement liés à un poste de travail. Cela ne concourt pas à l'élévation réelle du niveau de connaissance et donc à la vitalité du travail dans l'entreprise pour relever les défis de sa transformation. Cela rejoint la démarche d'individualisation des parcours, chacun étant abandonné à sa responsabilité, dans un grand supermarché de la formation, avec une faiblesse avérée des dispositifs d'accompagnement, pourtant essentiels.
L'orientation suscite des inquiétudes, notamment à propos des CIO et de l'ONISEP. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ? On s'inquiète également du choc que ce projet va faire subir aux structures existantes, déjà bien fragilisées par le système des appels d'offres et dont les personnels sont très précarisés. On s'inquiète de l'enracinement territorial des formations et de leur lien avec le terrain, ainsi que de l'affaiblissement des droits collectifs.
En ce qui concerne l'apprentissage, en quoi ce projet garantit-il aux jeunes une formation de qualité qui se déroule dans de bonnes conditions ? Quelle place réelle pour les lycées professionnels, acteurs parmi d'autres sur le marché ? Quels sont les objectifs éducatifs généraux que vous poursuivez ? En réalité, le pilotage public de l'apprentissage va s'effacer et le mode de financement des CFA risque d'orienter les établissements vers les formations les plus rentables en délaissant nombre de formations dont nous avons besoin. Les dispositions du projet de loi risquent d'imposer aux jeunes apprentis les contraintes d'un contrat de travail classique sans ses contreparties, en termes de salaire et de droits, notamment en cas de rupture d'un contrat.
Pour l'assurance chômage enfin, vous proposez une étatisation et une fiscalisation sans universalisation. Vous poursuivez le durcissement du contrôle des chômeurs, en les rendant coupables de leur situation, avec le journal de bord quotidien. Lutter contre la fraude est nécessaire, mais partout : pour les 0,4 % de chômeurs en cause, les dispositifs existent. Alors qu'un renforcement de l'accompagnement individualisé est nécessaire, 4 000 postes à Pôle emploi seraient menacés. Le pouvoir de radiation attribué à Pôle emploi n'a-t-il pas pour but de faire baisser le nombre de chômeurs ayant droit à une indemnisation ? Faut-il rappeler que l'assurance chômage est d'abord un droit pour des travailleurs qui ont cotisé, et que chacun a le droit d'obtenir un emploi. Si, chaque année, 200 000 offres d'emploi ne sont pas pourvues, dont certaines appellent un effort sur la formation, la question de leur qualité se pose. De toute façon, elles ne sauraient suffire, au regard des quelque 6 millions de chômeurs que compte notre pays.
En définitive la liberté que vous promettez risque d'être, pour beaucoup, totalement factice. En tout état de cause, je forme le voeu, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, que la discussion parlementaire ait plus d'effets sur ce projet sur la loi que sur les précédentes.