Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mercredi 23 mai 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Nous partageons tous le même objectif de développement de l'offre de formation et d'apprentissage. Il faut augmenter le nombre de places en CFA et de jeunes en apprentissage dans les entreprises : là est le coeur du sujet. Si le système actuel, que de nombreux amendements viseront à maintenir, fonctionnait si bien, pourquoi aurions-nous perdu tant d'apprentis depuis dix ans ? Pourquoi la France aurait-elle trois fois moins d'apprentis que l'Allemagne dans la même classe d'âge ? Comment peut-on considérer que le système actuel fonctionne correctement ? Sur le plan qualitatif, sept apprentis sur dix sont employés mais, sur le plan quantitatif, c'est un échec collectif.

Votre remarque sur les CFA en Occitanie, monsieur Aviragnet, prouve que nous avons les mêmes chiffres. Un mot sur les CFA en zone rurale qui ne peuvent former que dix, huit voire six jeunes par section : si aucun jeune ni aucune entreprise ne viennent, il n'est pas question de consacrer de l'argent public mutualisé à des formations sans candidats ni débouchés, qui emmèneraient les jeunes dans le mur. Comme vous, monsieur le député, nous estimons qu'il faut augmenter le financement de 20 % des places car le coût au contrat ne suffira pas, pour les raisons que vous dites. Il doit être possible de suivre une formation de cuisinier en zone rurale ou même dans une ville moyenne sans avoir à parcourir cent kilomètres, même avec un internat. La dotation que nous avons arrêtée pour les régions correspond donc à 20 % des places, en sus du coût au contrat, ce qui devrait faire 7 000 ou 8 000 euros par contrat. Et comme certains soutiennent que ce n'est pas vrai, nous avons proposé, en accord avec Régions de France, de mettre en place une mission flash avec la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), qui, dans quatre régions tests, va mettre tous les livres sur la table avec les services des conseils régionaux, examiner la situation de tous les CFA et vérifier si ce pourcentage de 20 % – soit 250 millions d'euros – est excessif, insuffisant ou adapté. C'est un exercice de bonne foi : certaines régions veulent sincèrement développer l'apprentissage – c'est le cas de l'Occitanie. Mais bon nombre de gens persistent à raisonner comme si le coût au contrat n'existait pas mais, encore une fois, il financera 80 % à 90 % des besoins ! Quand un CAP des chambres de métiers dans tel ou tel secteur, même avec dix apprentis, sera financé à hauteur de 6 000, voire 7 000 euros alors qu'il n'en a que 2 500 aujourd'hui, le centre de formation s'en tirera bien mieux qu'aujourd'hui… Cela étant, il faut en effet prévoir un complément dans toutes les situations d'insuffisance ; c'est l'objet de la dotation aux régions.

Un propos totalement infondé circule : on aurait transféré les compétences des régions aux branches. Je vous demande de me dire où c'est écrit dans le projet de loi ! Tout ce que nous disons, c'est que les entreprises doivent être beaucoup plus impliquées. Sinon, il n'y aura pas de contrats d'apprentissage, et donc pas d'apprentissage. C'est à elles de définir le référentiel des diplômes et de coconstruire les diplômes avec l'État. C'est exactement l'inverse d'une centralisation étatique ; car pour l'heure, ce sont les ministères de l'éducation nationale, du travail et autres ministères qui définissent les diplômes et on se borne à consulter les partenaires sociaux des branches. Cela signifie, honnêtement, qu'on peut passer outre – demain, ce ne sera plus possible. Est-ce normal ? Nous sommes le seul pays en Europe où les professionnels n'ont pas leur mot à dire sur les métiers de demain. Voilà la première compétence qu'on leur donne. L'avons-nous prise aux régions ? Non : les régions n'ont pas de compétence en matière de création de diplômes. Du reste, elles ne la réclament pas.

Venons-en au coût au contrat. Qui aura le pouvoir ? Les trois acteurs de terrain, les jeunes, l'entreprise et le CFA. Le financement du coût au contrat permettra de garantir la formation dans le CFA. C'est profondément une loi de décentralisation, mais pas au sens institutionnel, au sens opérationnel : on considère que l'apprentissage est d'abord l'affaire du jeune, de l'entreprise et du CFA. Et c'est dans ce triangle que les jeunes vont réussir et les entreprises exercer leurs compétences.

Encore une fois, je m'inscris en faux contre l'idée que l'on aurait transféré les compétences des régions aux branches professionnelles. Certains nous reprochent même de vouloir opérer une privatisation, ou une nationalisation – voire les deux à la fois, ce qui peut laisser perplexe… On peut en revanche parler d'une révolution copernicienne, dans la mesure où les institutions sont mises au service des jeunes, de l'entreprise et du CFA, qui disposent d'un pouvoir de décision, d'autonomie et de développement.

Les branches ont-elles les capacités nécessaires ? Beaucoup les ont, mais pas toutes. On devrait arriver à 200 branches, mais n'est pas toujours une question de taille. Dans l'artisanat, certaines branches, qui ne sont pas énormes, connaissent très bien leur métier parce qu'elles sont très investies dans l'apprentissage. À l'inverse, certaines ne sont pas en mesure de définir le coût au contrat. Mais à partir des bases de données dont on dispose, on connaît les moyennes de tous les coûts au contrat de tel ou tel métier. On demandera aux opérateurs de compétences d'aider les branches qui auraient des problèmes, et de faire des propositions. Ils sont près du terrain, ils savent déjà évaluer le même diplôme en contrats de professionnalisation puisqu'ils les gèrent déjà.

Maintenant, vous avez raison, si la loi est le pivot de la transformation, cela ne suffira pas : il faut que les opinions évoluent. En France, l'apprentissage a souvent été vécu comme un échec, alors même qu'il permet de réussir. Comme si la tête et la main étaient indépendantes ! L'intelligence de la main est une notion qui doit encore s'imposer dans notre pays. C'est une bataille culturelle, dans laquelle nous avons besoin de l'aide de tous. On a lancé récemment la campagne « #DémarreTaStory », qui a bien démarré, où des jeunes parlent aux jeunes. Et j'observe que lorsque les jeunes rencontrent un professionnel, un tuteur, un maître d'apprentissage, un meilleur ouvrier de France, lorsqu'ils apprennent qu'un grand chef – ou un député – a commencé par l'apprentissage, cela frappe leur esprit. C'est ainsi que l'on peut conquérir les jeunes et les familles. C'est un travail de longue haleine, dans lequel tout le monde a envie de se mobiliser.

Pour ce qui est de l'assurance-chômage, effectivement, l'intégralité des engagements du Président de la République pendant la campagne présidentielle sont inscrits dans ce projet de loi, qu'il s'agisse des indépendants, des démissionnaires, du contrôle de la recherche d'emploi, du bonus-malus, etc. Mais sur plusieurs sujets, comme le bonus-malus ou les démissionnaires, le projet s'appuie fortement sur l'accord des partenaires sociaux.

Pourquoi l'État intervient-il ? D'abord, il faut bien compenser la suppression de la cotisation d'assurance chômage qui a permis l'augmentation des revenus des salariés, notamment au plus bas niveau : on ne peut pas faire porter le poids de ce « manque » de cotisation au régime assurantiel. N'oublions pas non plus les 33 milliards de dettes d'assurance-chômage garantis par l'État, qui entrent dans notre calcul de Maastricht. Et il y a enfin la subvention annuelle à l'assurance-chômage. Il est donc normal, surtout dans un contexte de reprise progressive de l'emploi – le taux de chômage n'est pas remonté de 1,2 %, mais seulement de 0,2 % sur ce trimestre – que l'État veuille encadrer un peu plus les négociations, qui restent l'affaire des partenaires sociaux, sur les conditions d'indemnité, les durées, et surveiller la trajectoire budgétaire qui doit tenir compte de la baisse du chômage que nous appelons tous de nos voeux.

Les démissionnaires pourront effectivement bénéficier d'une allocation sous condition d'une durée d'affiliation minimale de cinq années continues. C'est bien ce qui est écrit dans le texte.

Les indépendants toucheront 800 euros par mois pendant six mois. C'est un filet de sécurité modeste, mais essentiel. Des agriculteurs, des commerçants, des artisans, des autoentrepreneurs en liquidation judiciaire, en faillite, confrontés à un problème grave du jour au lendemain auront ainsi le temps de se retourner. Pourquoi ne pas leur accorder davantage ? Comme ils ne versent pas de cotisation, ils ne peuvent pas bénéficier de toutes les prestations du régime assurantiel ; ils ne souhaitent d'ailleurs pas rentrer dans cette démarche. Il existe bien un système d'assurance volontaire, mais celui-ci est peu actif. La situation évoluera-t-elle dans le temps ? C'est aussi aux acteurs de se saisir de la question.

S'agissant de l'emploi des travailleurs handicapés, on peut être déçu du pourcentage actuel de 3,4 %. Ce n'est pas un résultat extraordinaire, une trentaine d'années après que l'obligation légale (OETH) a été fixée à 6 %. C'est bien pour cela qu'il faut agir. Nous allons changer le mode de calcul des contributions : il sera possible demain de déduire les salaires des sous-traitants. Mais ce sera neutre pour les ESAT. Nous nous en sommes expliqués avec les professionnels ; nous pourrons en reparler au besoin.

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