Intervention de François Asselin

Réunion du mardi 22 mai 2018 à 17h00
Commission des affaires sociales

François Asselin, président de la CPME :

Je ne dirai pas grand-chose de différent de ce qu'a pu exposer Florence Poivey. C'est plutôt un utilisateur qu'un spécialiste de l'apprentissage et de la formation professionnelle continue qui s'exprimera devant vous. Cependant, il a bien fallu, compte tenu de ma position de président de la CPME, que je m'intéresse de près au dossier.

Réforme il fallait faire – en profondeur ! Les enjeux sont considérables, compte tenu de l'effritement de l'apprentissage, surtout aux niveaux de qualification les plus modestes. Nous sommes confrontés dans nos entreprises à des défis énormes pour accompagner nos personnels dans la formation professionnelle continue car notre modèle économique est en train de changer. On parle souvent de l'impact du numérique : nous constatons tous les jours que ce dernier change nos moyens de production, notre façon de nous adresser à nos clients et les fonctions support de l'entreprise.

Il y a quatre ou cinq ans, je fléchais un peu plus de 50 % de ma taxe apprentissage. Depuis trois ans, je n'en flèche plus qu'un peu plus de 24 %. J'ai pu constater qu'au fil des ans, le lien qui existait entre l'entrepreneur que je suis et l'endroit où j'envoie mes jeunes en formation s'est un peu distendu et que le lien financier s'effiloche également. Nous n'avons pas lâché pour autant l'apprentissage mais il est devenu plus intéressant pour un directeur de CFA d'aller frapper à la porte d'une région ou d'un organisme collecteur de la taxe d'apprentissage (OCTA) pour aller chercher des financements que de faire le tour des entreprises du secteur. La CPME souhaitait donc avant tout que ce projet de réforme remette l'entreprise au centre du dispositif et demandait un financement au contrat d'apprentissage pour recréer ce lien direct entre le chef d'entreprise et les centres de formation. Je trouve cette mesure très positive car l'apprentissage, surtout aux premiers niveaux de formation, se passe au niveau territorial. J'ai rarement recruté un jeune en contrat d'apprentissage (CAP) en bac professionnel à plus de vingt ou trente kilomètres de l'entreprise. On peut aussi se réjouir qu'un apprenti puisse faire les mêmes horaires que son tuteur. Que n'avons-nous entendu dans les années passées lorsque nous réclamions cette mesure !

Reste la question de l'apprentissage des mineurs dans les secteurs à risque : il risque d'être laissé au bord du chemin car de plus en plus d'employeurs ne veulent pas prendre de risque pénal – risque qui est énorme. Ce n'est pas un contrat d'apprentissage qu'on signe : c'est une adoption ! Les élus ont, avec la loi Fauchon, trouvé une solution. On pourrait peut-être imaginer la même chose pour les employeurs en ce qui concerne les apprentis mineurs.

Nous sommes par ailleurs très attachés au principe de mutualisation. S'il n'y a pas de système redistributif entre les gros financeurs et ceux qui ne peuvent pas financer la formation au même niveau, on ratera la réforme de la formation. Il faudra veiller à assurer cette mutualisation pour que les TPE et les PME puissent continuer à former leurs salariés.

Un autre élément important qui semble s'être un peu perdu lors du big bang est la coconstruction. Depuis vingt-cinq ans que je suis chef d'entreprise, j'ai peut-être vu trois fois des salariés venir me voir pour faire un choix de formation. Toutes les autres fois, c'est moi qui ai amené les salariés à suivre des plans de formation et c'est bien normal : c'est souvent l'employeur qui a l'information pour orienter ses salariés vers des formations utiles. Nous partageons cette information et la coconstruction du plan de formation est évidente. Je me méfie de l'idée qu'avec leur compte personnel de formation, les salariés pourront choisir librement leur formation car une vraie stratégie doit présider à ce choix, au coeur de laquelle se trouve bien souvent l'entreprise. Combien de fois dans nos PME avons-nous construit des plans de formation avec nos salariés en utilisant le levier du compte personnel de formation ? Il faudrait s'assurer que nous puissions redevenir, nous employeurs, stratèges de notre formation professionnelle continue.

Nous sommes par ailleurs très attachés à la transparence du fléchage des fonds. N'oublions pas que ce sont les entreprises qui financent et la formation initiale et la formation professionnelle continue. S'agissant de l'idée du collecteur unique, il est certain que l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) sait collecter mais saura-t-elle redistribuer ? C'est une autre question. En tout cas, nous voulons que l'investissement que nous faisons dans les formations initiale et continue soit utilisé de la façon la plus efficace possible. Nous sommes un peu inquiets à la CPME de voir la tournure que prend cette tuyauterie. Il faut bien évidemment redéfinir le rôle des OPCA pour les rendre plus efficaces mais si l'on prévoit d'un côté quelqu'un qui collecte et, de l'autre quelqu'un qui s'occupe de l'ingénierie et de la redistribution, je rappelle que le RSI, qui a fonctionné sur le même modèle, a entraîné une catastrophe. Il faut donc accorder une attention particulière au fléchage des fonds.

On aura beau imaginer des tuyaux flambant neufs dans lesquels tout semble circuler de façon fluide, si la réforme de l'orientation n'est pas réussie, on aura complètement raté la réforme de l'apprentissage. L'éducation nationale est un partenaire incontournable dont il faut redéfinir le rôle. De même, le rôle des régions et des branches semble évident en matière d'orientation. Un jeune qui a du potentiel et qui sort de troisième ou de terminale n'a quasiment aucune chance qu'on lui parle d'une filière professionnelle. Si jamais l'idée saugrenue lui vient d'y réfléchir, il risque d'avoir contre lui ses parents et le corps professoral. Il faut donc revoir complètement les filières de formation pour que, lorsqu'on choisit une filière professionnelle, on puisse espérer avec raison pouvoir atteindre le plus haut niveau de diplôme qualifiant. Il faut aussi faire en sorte que les milieux académique et professionnel soient les plus perméables possible. Dans cette réforme, le volet orientation ne nous semble pas transparaître de façon suffisamment importante.

Reste à définir la place des uns et des autres. La place de l'entreprise doit être centrale – c'est bien parti pour – mais les régions et les branches comptent également. Certaines branches – très peu nombreuses – ont la capacité de gérer parfaitement les recettes collectées pour orienter les jeunes vers leur secteur et financer la formation professionnelle continue. Pour les autres, on a besoin de faire appel aux interprofessions et aux régions. Je parlais de co-construction entre employeur et salariés mais il faut aussi parler de co-construction entre branches, entreprises et régions. On parle toujours de ce qui va mal mais il est des régions où cela fonctionne très bien – les exemples sont légion. Il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Quant aux OPCA, ils vont devenir opérateurs de compétence. Reste à définir quelles seront leurs compétences, surtout lorsqu'on voit arriver France compétences, organisation supplétive aux contours relativement flous.

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