Sur l'abrasivité des théâtres et la préparation opérationnelle, nous progressons en permanence s'agissant de la qualité de nos centres d'entraînement. Le centre d'entraînement en zone urbaine de Sissonne présente des éléments remarquables, notamment de combat à tir réel, dans des pièces. Le programme Cerbère, que j'ai cité, va nous donner un élan nouveau mais nous disposons déjà d'une bonne capacité d'entraînement des forces en zone urbaine et ouverte. Cerbère permettra de coordonner, à partir du même PC, d'une part des unités qui effectueront des tirs réels et, d'autre part, des unités qui mettront en oeuvre des outils de simulation. L'officier commandant pourra à la fois faire agir sur deux endroits différents des unités en entraînement simulation et des unités en tir réel. Nous sommes en train de reprendre entièrement nos infrastructures de tir, notamment à Canjuers, afin de pouvoir effectuer des tirs beaucoup plus réalistes et de manière coordonnée entre différentes unités : infanterie, cavalerie, artillerie, génie, etc. C'est l'objet du programme Opéra. D'une manière générale, la politique que nous avons menée nous assure des parcs très disponibles – l'un en Provence, l'autre en Champagne – qui donnent à nos soldats les moyens de s'entraîner. Pour le reste, cela dépend beaucoup du régiment : la manoeuvre en Sologne d'un char Leclerc de 56 tonnes du régiment de cuirassiers d'Olivet n'est par exemple pas évidente… Il existe aujourd'hui tout un continuum des moyens d'entraînement, y compris la simulation la plus performante. Tous les régiments sont équipés des matériels les plus modernes de simulation. Lorsqu'un soldat est déployé dans le cadre de Sentinelle, il s'est quasiment entraîné en simulation dans ses futures patrouilles. Nous avons modélisé en 3D les zones dans lesquels nos soldats vont évoluer et nous avons créé des « cas de figure » de façon à ce qu'ils puissent réagir à l'état réflexe face à une situation donnée. En résumé, les moyens infrastructures avec le programme Cerbère, les équipements des centres et les équipements en régiments – qui sont tous dotés d'infrastructures d'entraînement – permettent de faire face à ce passage toujours difficile entre l'entraînement et l'opération extérieure. Nous avons également le souhait de faire de Djibouti un centre d'entraînement avancé. Nous y avons des forces prépositionnées : Djibouti constitue un centre parfait pour s'entraîner au combat difficile du désert. De même, nous disposons d'un régiment aux Émirats arabes unis – le 5e régiment de cuirassiers – qui est le réceptacle des forces qui viennent s'y entraîner.
M. Furst, je n'ai pas indiqué que l'essentiel de l'effort portait après 2022. Certes, des équipements sont prévus entre 2023 et 2025, mais beaucoup d'équipements vont arriver immédiatement. Si j'ai pu parler « d'impasse complète » je m'en excuse, j'ai été emporté par ma faconde. Il est certain qu'il existait une sorte de continuité des crédits qui étaient alloués à l'armée de terre et qui reposaient grosso modo sur une part « traditionnelle » allouée à l'armée de terre par rapport à l'armée de l'air et la marine. Nous étions dans une logique de reconduction « historique » des ressources. Nous avons fait un point exact de nos capacités effectives d'entraînement, et les normes opérationnelles sont un révélateur qui nous a permis d'obtenir des ressources supplémentaires. Lorsqu'on double quasiment le budget d'EPM, quand on passe d'un budget d'environ 400 millions d'euros pour les hélicoptères à environ 600 millions d'euros, il s'agit d'une évolution notable par rapport à un effort qui existait, mais qui était bien moindre. Il faut certainement aussi reconnaître que nous, en tant qu'armée de terre, n'étions pas assez lisibles à l'époque. Dans le cadre de la LPM 2019-2025, nous avons fait l'effort de mettre à plat la réalité de nos entraînements et cet effort a payé.
Nous sommes effectivement très satisfaits de la LPM car elle est « mécaniquement » enclenchée : les Patroller ont été commandés, de même que les véhicules SCORPION, les premiers Griffon sont sur les chaînes de montage à Roanne, le mini-drone va être livré. Le HK 416 F est en cours de livraison, qui va remplacer le FAMAS qui datait de 1979 et dont un certain nombre commençait à montrer des signes d'usure, qu'il s'agisse des canons ou encore des ressorts récupérateurs. Le FAMAS est une arme remarquable, mais il atteint sa limite d'âge. À l'heure actuelle, nos FAMAS les plus usés sont progressivement retirés du service. Nous sommes donc dans une logique de livraison, qui est enclenchée et qui fait que nous sommes assurés de recevoir un certain nombre de matériels et d'équipements. Il est vrai que certains efforts qui ont été obtenus par le chef d'état-major de l'armée de terre se traduiront sur la période 2023-2025 : je pense aux CAESAR et aux radars supplémentaires. Mais je ne suis pas inquiet, car une LPM évolue et si un grand programme prend du retard pour quelque raison que ce soit, nous trouverons le moyen d'utiliser les ressources à bon escient.
Au total, s'agissant de la LPM précédente, pas d'impasse complète mais un souci fort s'agissant de l'entraînement des équipages. Quand un équipage n'est qu'à 55 % de sa norme d'entraînement, il y a objectivement un problème. Mais nous en sommes partiellement responsables dans la mesure où nous n'avons sans doute pas été assez clairs dans la détermination de nos besoins et dans leur justification lors des discussions sur l'attribution des ressources interarmées.
Concernant l'origine des approvisionnements, deux organismes sont chargés des acquisitions : la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) – ou la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) – et la DGA. Pour ma part, et pendant les quatre ans que j'ai passés à la STAT, je faisais l'effort en permanence de recevoir systématiquement des patrons de PME car celles-ci sont très innovantes. Elles sont souvent capables de prendre davantage de risques que des grandes entreprises. Nous sommes donc à l'affût pour les guider et les conseiller. 50 % des marchés de la SIMMT sont passés en direct avec des PME. Ceci, il est vrai, est plus profitable pour elles que d'être le deuxième ou le troisième fournisseur d'un grand groupe. Il existe en effet des marchés-cadre, car les acheteurs sont peu nombreux, mais il y a également beaucoup de marchés simples. Que les patrons de PME n'hésitent pas à se manifester et je les recevrai avec plaisir. Plus j'en sais et mieux ça vaut pour nos soldats, car on peut alors orienter le besoin.
S'agissant du savoir-faire en matière de munitions, c'est aussi le rôle de la DGA de s'assurer de sources françaises. La France a fait le choix, dans les années 1980, d'abandonner la filière petit calibre. Ceci a d'ailleurs créé des problèmes pour le FAMAS, qui est une arme complexe nécessitant l'emploi de cartouches très spécifiques. Nous avons connu de sérieux problèmes à ce sujet dans les années 2010 avec des approvisionnements extérieurs qui n'étaient pas adaptés. Ceci n'arrivera pas avec le HK 416 F qui est plus simple et plus conforme aux standards OTAN. La France dispose d'une industrie munitionnaire gros calibre et missiles importante avec TDA, Nexter munitions et MBDA. Les munitions petit calibre 7,62 mm, 5,56 mm, 9 mm voire 12,7 mm sont moins présentes faute, sans doute, d'un soutien suffisant et du fait des choix qui ont été opérés. Or il s'agit d'un marché extrêmement concurrentiel avec des dizaines de fournisseurs au niveau mondial.
Nous constituons en permanence des stocks de munitions. S'agissant des CAESAR, nous sommes en train d'acquérir un flux important de munitions, en particulier pour reconstituer les stocks tirés à Chammal, notamment avec des effets éclairants et fumigènes. Pour le 155 mm, la filière munitionnaire n'est pas en danger car nous sommes en approvisionnement permanent.
Enfin, je rappelle que la première attente du soldat est de pouvoir exercer son métier. Un jeune engagé s'engage pour être pilote sur char Leclerc, parachutiste ou sapeur dans le génie. Il s'engage pour faire un métier au sein d'un régiment. Nous devons donc lui assurer de pouvoir l'exercer. Naturellement, un soldat engagé en opération exerce trois ou quatre métiers différents : s'il ne pilote pas son Leclerc, il pilotera un véhicule blindé léger ; cette flexibilité dans l'emploi est d'ailleurs nécessaire. Néanmoins, nous devons leur garantir « leurs heures ». Un engagé qui n'effectue à l'heure actuelle que 39 ou 49 heures de char par an peut légitimement éprouver une certaine déception par rapport au contrat d'engagement. Garantir les normes de préparation opérationnelle, c'est aussi garantir la satisfaction des jeunes engagés. Lorsque j'étais jeune officier, nous n'avions pas de problèmes d'entretien programmé du matériel, nous disposions de stocks énormes dans la perspective de la « grande guerre face à l'Est ».
S'agissant du soutien, vous avez raison, c'est un sujet majeur. Le marché de soutien du char Leclerc notifié à Nexter a dix ans aujourd'hui. Nous avons été la première armée à acheter des heures de moteur, c'est-à-dire que nous avons rendu nos stocks, qui sont gérés par l'industriel, auprès duquel nous achetons des heures d'utilisation. Sur le CAESAR par exemple, nous achetons des potentiels de coups de canons et sommes pleinement satisfaits de ce marché de soutien car le taux de disponibilité de ces engins atteint un niveau élevé et stable, de l'ordre de 75 %.
Demeure cependant la question des anciens parcs. Pour les véhicules de l'avant blindé, nous avons passé des marchés globaux afin de céder la responsabilité industrielle. Nous avons longtemps été une armée patrimoniale qui passait ses propres marchés. Et bien, nous disons aujourd'hui aux industriels que nous leur « rendons » ces marchés. C'est d'ailleurs leur métier premier et nous, militaires, sommes là pour utiliser les engins.
Le sujet le plus important pour moi aujourd'hui est l'hélicoptère Tigre dont la disponibilité est insuffisante. Une vingtaine est disponible en permanence sur un total de 70. En effet, 20 ou 25 sont en réparation légère ou entretien courant tandis que le dernier tiers est chez l'industriel pour révision. Nous allons passer un marché global pour cet hélicoptère. Le marché Tigre est en effet un marché archaïque datant du début des années 2000 et sur lequel Airbus n'était pas très responsabilisé. Nous voulons intéresser plus directement Airbus au résultat, à la performance. Encore faut-il que l'industriel l'accepte et accepte de prendre des risques à son niveau. Nous considérons que, puisque nous en prenons, Airbus doit en prendre également. Il s'agirait d'une démarche gagnant-gagnant, consistant à fixer l'objectif d'avoir dix Tigre en permanence disponibles en plus d'ici 2022. Si nous n'arrivons pas à passer ce marché, nous stagnerons. Les véhicules SCORPION font déjà quant à eux l'objet de tels marchés. Celui du soutien de SCORPION a été conclu pour dix ans. L'industriel a donc un horizon certain, ce qui lui permet de s'engager sur un résultat en termes de disponibilité. Avec Airbus, je souhaite que nous nous engagions de manière similaire, ensemble, sur des « potentiels à consommer ».
Encore faut-il que l'industriel livre du matériel de qualité à temps. Je ne peux pas me substituer à un industriel défaillant. Quand l'industriel livre un système qui ne fonctionne pas, qui ne roule pas correctement, on ne peut pas le remplacer. Comment livrer à l'heure des systèmes de qualité ? À mon sens, il faut déjà que l'industriel soit en mesure de proposer une offre « sur étagère ». Lorsque vous achetez un smartphone, il a été largement éprouvé et testé au préalable. Une fois mis sur le marché, il fonctionne très bien et, dans le cas contraire, c'est catastrophique pour la marque. Le modèle économique du programme d'armement repose sur un développement ex nihilo sur quelques prototypes, passe rapidement à la série et projette dès que possible en opération dans des conditions d'environnements extrêmes avec une fiabilité qui reste en construction. C'est pour cela que nous appelons de nos voeux une politique de démonstrateurs. Nous pouvons, en partie, payer les industriels pour cela. C'est donc un système gagnant-gagnant qui nous permettrait de disposer de systèmes fiables beaucoup plus tôt.
Pour SCORPION, ce qui est révolutionnaire, c'est qu'au moment où nous avons notifié le contrat en décembre 2014, nous avions décidé que SCORPION devrait être capable d'être projeté en opération en 2021. Les engins n'existaient pas. Aujourd'hui, le délai est tenu et je vous garantis qu'en 2021, le système sera projeté en opération. Ma priorité est de donner aux soldats en opérations une plus-value. Si je n'ai pas la plénitude des besoins exprimés, ce n'est pas grave. Je déciderai de la mise en service en conséquence. Je veille simplement et suis attentif à ce que les délais soient respectés coûte que coûte. Ce programme s'est bâti avec les industriels (Thales, Nexter…), la DGA et nous-mêmes, sur cette obligation précise. Au lieu de se dire « Nous lançons le programme et on verra quand on le projettera », ce qui a pu occasionner dans le passé des durées de développement très longues, aujourd'hui, nous savons que nous projetons les véhicules en 2021. Encore une fois, si je n'ai pas tout, ce n'est pas grave. Je préfère pouvoir commencer à former dès à présent les maintenanciers, les formateurs en école et premiers équipages sur cette première base. Et aujourd'hui, je peux vous garantir que pour la première unité de Griffon, une compagnie du 3e régiment d'infanterie de marine sera formée en 2019.
Maintenant, ce que je souhaite, c'est que pour tout nouveau système, nous ayons d'emblée dans le contrat la date de mise en service opérationnel ; et que tout le monde s'y tienne. En tant que directeur de la STAT, j'ai toujours proposé des mises en service opérationnel par standards successifs. Par exemple, l'hélicoptère NH90 a été projeté deux ans et demi après la livraison du premier NH90 à l'armée de terre. L'école et les maintenanciers n'étaient pas encore formés. Il nous faut reconnaître qu'il s'agit d'un engin tout à fait remarquable et nous avons réussi cela parce que nous avons travaillé ensemble et pas séquentiellement. Mais vous touchez du doigt une question majeure : la mise à disposition à temps des équipements en opération.
Au Mali, tout système nouveau est immédiatement employé. J'ai veillé, en tant que directeur de la STAT qui connaît bien les programmes d'armements, à livrer au plus tôt tous les systèmes. Nous sommes en situation d'urgence opérationnelle permanente au Mali. Par exemple, nous développons actuellement des gilets refroidissants pour les équipages qui subissent une température de soixante degrés dans des véhicules sans climatisation, des mini-drones, des radars à pénétration de sol destinés aux opérations. Le théâtre d'opération est un champ, non pas d'expérimentation, mais de mise en pratique instantanée. L'exemple de l'Afghanistan est le plus éloquent et révélateur à cet égard car il est à l'origine de ce déclic.
Au Mali, nous sommes passés d'une relève annuelle de 17 % du parc tous les ans à un taux de 25 %, la relève advient donc en moyenne tous les quatre ans. C'est quand même trop lent, et nous en sommes conscients, car un engin que l'on rapatrie à une telle échéance doit être intégralement régénéré avant d'être remis en service opérationnel. Nous privilégions donc dorénavant l'accroissement des opérations de maintenance sur les théâtres d'opération ainsi que des taux de relève différenciés par type de parc.