Les traumatismes sonores requièrent toute notre attention. Les soldats confrontés à des tirs de FAMAS, parfois plus traumatisants que des tirs d'artillerie, ont besoin de protections auriculaires. Nous avons développé avec l'Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL) – au demeurant, un remarquable exemple de coopération en faveur de solutions concrètes, innovantes, voire de rupture – des protections acoustiques appelées BANG (bouchons auriculaires de nouvelle génération) qui filtrent le bruit tout en permettant au soldat d'entendre sa radio. Les nouveaux systèmes d'ostéo-phonie que nous avons développés sur systèmes FELIN filtrent les bruits pour protéger l'oreille au maximum, sans isoler le soldat des émissions radios ou de son environnement. Il s'agit de ne pas le rendre sourd. En situation de combat, de stress, le soldat doit pouvoir percevoir son environnement. Par ailleurs, il est du devoir des chefs d'assurer la prévention des traumatismes sonores, en insistant pour que les soldats portent ces protections auriculaires. Nos militaires doivent être rendus à la vie civile en pleine possession de leurs moyens, comme nous nous y sommes engagés. Malheureusement, il arrive parfois que le soldat lui-même néglige l'importance de ces protections. Mais nous avons une technologie de pointe et j'ose dire que nous sommes l'armée la plus avancée dans ce domaine aujourd'hui.
S'agissant des Tigre, comme pour tout aéronef ou appareil complexe, il faut bien comprendre que notre objectif est que quarante des 70 Tigre soient disponibles pour les opérations. Environ vingt Tigre sont aujourd'hui en simple visite de contrôle au sein des régiments et seraient disponibles au « claquement de doigt ». Seuls trente font l'objet d'opérations de maintenance profonde, de 400 heures environ, au cours desquelles les appareils sont entièrement démontés. Nous n'avons pas besoin d'avoir l'ensemble de la capacité disponible en même temps. L'enjeu – et encore une fois, c'est le même pour tous les grands programmes – est de pouvoir s'appuyer sur un marché réactif de soutien et de pièces de rechange à temps, de stocks à temps. Or, le premier marché de réparation du Tigre a été notifié en 2012. Le Tigre a été lancé en 2005. Pendant sept ans, les composants à réparer ont été immobilisés ! Ce système magnifique s'est fait « tacler » dès le départ ! Il a eu du mal à s'en remettre. Longtemps, les Allemands ont été en désaccord avec l'industriel sur les prix et ont bloqué le marché au sein de l'organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAr). La question du soutien du Tigre est un enjeu majeur pour 2018.
Le poids lourd des forces spéciales (PLFS) de Renault Trucks Defense livré aux forces début 2017 a effectivement dû être repris à cause de problèmes de tenue de route. Les livraisons des véhicules rénovés sont attendues pour octobre. Cela fait plus de dix-huit mois de retard pour un programme d'armement relativement simple, dans le coeur de métier de l'industriel. C'est très irritant mais on ne peut pas se substituer à lui. On a pourtant tout fait pour l'accompagner. C'est un vrai souci parce que nos forces utilisent des véhicules légers de reconnaissance et d'appui (VLRA), certes remarquables mais non blindés et qui datent quand même des années 1970-80, donc à bout de souffle.
S'agissant de l'entretien programmé des matériels, l'armée de terre devrait bénéficier d'une redotation de plus de 400 millions d'euros sur 2019-2022. C'est une source de profonde satisfaction pour l'armée de terre, qui est parvenue à faire reconnaître son besoin prioritaire. Nous avons su être convaincants et il faut saluer à cet égard l'action du général Barrera, devenu depuis major général. Les autres armées ont des besoins, bien évidemment, mais la comparaison des indicateurs de préparation opérationnelle témoigne de l'ampleur de nos besoins. Les normes relatives aux pilotes de Rafale ou d'Atlantique 2 sont mieux respectées. Celles relatives aux hélicoptères de l'armée de terre en fait un peu moins, parce qu'on fait des vols de substitution, c'est-à-dire qu'un pilote de Tigre effectue plusieurs heures d'entraînement sur Gazelle. C'est inédit par rapport aux autres armées : nos camarades anglais et américains volant sur Apache ne font pas d'heures de substitution sur d'autres hélicoptères. Et puis, s'agissant de l'échéance, je ne me permettrais pas de commenter. Nous n'avons pas de raison de douter de la parole du chef des armées, même si nous ne connaissons pas à l'avance la trajectoire. Je le rappelle : chaque LPM a apporté des choses. La LPM 2014-2019 a pu engager plusieurs nouveaux contrats mais n'a pas vu de nouvelles livraisons significatives. Pourquoi ? Parce que c'était en quelque sorte le tour d'autres armées. Nous espérons que cette LPM sera à la fois une LPM de livraisons et de développements.
S'agissant du programme SCORPION, je confirme qu'il a été non seulement accéléré mais augmenté. C'est la volonté du président de la République, compte tenu des besoins de l'armée de terre. De 2034, l'échéance a été ramenée à 2028. 150 Jaguar seront ainsi livrés entre 2021 et 2025, C'est mieux que les 110 prévus précédemment. Le coût unitaire du Jaguar va donc plutôt baisser a priori. La DGA pourrait le confirmer. Cela coûtera en tout cas moins cher qu'un nouvel étalement. Les étalements et les réductions de cibles sont très pénalisants. Par exemple, on ne recevra les 34 Caïmans commandés en 2011 que dans la prochaine LPM. L'effort en faveur de SCORPION est donc conséquent et il faut souligner qu'il ne se fait pas au détriment d'autres programmes de l'armée de terre, puisque la LPM prévoit aussi des CAESAR supplémentaires.
Monsieur Larsonneur, je suis impressionné par votre connaissance exhaustive de la programmation militaire dans le domaine des véhicules logistiques ! Tout ce que vous dites est parfaitement juste. Le problème des GBC peut paraître anecdotique à certains. Moi je me plains quand je fais 300 kilomètres avec ma Mégane. J'ai mal au dos. Mais quand je vois les kilomètres de pistes que parcourent nos logisticiens en camions, je n'ose plus rien dire : ce sont des héros du quotidien ! Le gars qui roule sous la chaleur, sur des pistes, pendant trois jours à 30 ou 40 kilomètres à l'heure pour rallier Tessalit à Gao fait une action remarquable ! Je précise que le remplacement des GBC n'était pas initialement dans la LPM. On a réussi à l'inscrire. Ces futurs camions pointent tout juste leur nez, j'en conviens : 80 véhicules en 2025. Certes, les anciens modèles tiennent mais à quel prix ! Les châssis sont des GBC 8 KT qui datent des années 1960-70 ! La mobilité de l'armée française repose pourtant essentiellement sur ses camions. Lorsque l'armée française se déplace sur le territoire national pour acheminer les personnels de Sentinelle, elle n'y va pas en char ou en VBCI ! Cela affolerait la population. C'est donc un souci premier pour nous et nous sommes très satisfaits de l'avoir au moins fait entrer dans la LPM parce qu'alors la DGA va travailler sur ce sujet. Nous avons bon espoir de réussir à accélérer le calendrier. 800 VBL seront par ailleurs remotorisés et climatisés dans le même temps. Je précise qu'un VBL n'est pas un véhicule logistique, c'est un véhicule de cavalerie blindée et d'infanterie, de mêlée. Nous avons l'espoir de le remplacer par le VBAE (Véhicule Blindé d'Aide à l'Engagement) dont vous parliez, qui est un véhicule SCORPION. Nous souhaitons avoir une démarche innovante pour son développement. Au lieu de définir un besoin, de réfléchir aux spécifications et d'appeler ensuite l'industriel, nous voulons discuter d'emblée avec la DGA et l'industriel. Nous avons bon espoir de lancer ce programme pendant la LPM et peut-être – soyons fous ! – de voir les premières livraisons avant son terme. En tout cas, nous n'attendrons pas 2025 pour penser et dérisquer ce véhicule.
S'agissant du Tigre HAD franco-allemand, il faut savoir que les Allemands sont très attachés aux capacités antichars. C'est une nation continentale qui a une relation complexe avec l'Est, marquée par ce qui arrive dans le Donbass, plus que nous encore. Nous, qui avons plutôt la culture d'un corps expéditionnaire, avons vite compris que cet appareil, développé dans les années 1990, dans un contexte encore marqué par la Guerre froide, a été pensé dans une version « appui léger » et dans une version « appui anti-char ». Nous n'avons plus que des Tigre HAD (appui-destruction) aujourd'hui. Tous nos Tigre HAP (appui-protection) sont en train de se transformer en HAD. C'est un appareil extrêmement polyvalent qui peut délivrer des frappes avec un canon orientable de 30 millimètres, des missiles air-air – les Mistral de MBDA –, pour se protéger ou protéger les troupes au sol contre un avion, un hélicoptère, ou un drone armé de roquettes à guidage laser qui arriveront en 2020, des roquettes anti-blindés légers, anti-personnels. Nous disposerons du missile Hellfire d'une portée de 8 000 mètres. Quant au futur missile qui équipera le Tigre ce ne sera pas forcément un produit MBDA. Un choix doit être effectué entre le Brimstone anglais, le Hellfire américain ou une extrapolation du missile de moyenne portée de MBDA.
S'agissant de la coopération interalliée, je pense important de souligner que celle-ci repose sur des standards partagés de moyens de communication du niveau corps d'armée à brigade. En effet la doctrine de l'Alliance atlantique ne prévoit pas d'interopérabilité interalliée au niveau régiment ou compagnie. Nous souhaiterions donc développer cette coopération au niveau d'une compagnie. Une compagnie estonienne rejoignant en ce moment Barkhane, nous avons mis en place des officiers de liaison. Mais nous voulons aller plus loin, jusqu'au sol.
Bien sûr, un certain nombre de munitions sont interopérables même si chacun préfère garder ses fournisseurs et ses stocks. Mais vous avez raison : le fait de développer des systèmes communs comme l'avion A400M, les hélicoptères NH90 et Tigre, le MGCS (Main Ground Combat System) justifie d'avoir des munitions et des pièces de rechange communes, quoique chaque nation s'évertue encore à avoir sa propre version. C'est une tendance connue…