L'histoire de Yuka a commencé au début de l'année 2016. L'idée est née de l'un de mes associés, jeune papa à l'époque, qui cherchait à acheter les meilleurs produits pour ses enfants. La lecture d'un petit livre qui présentait, pour chaque rayon de supermarché, les bons et les mauvais produits, l'a beaucoup sensibilisé aux questions d'alimentation. Il y a découvert que de nombreux produits qu'il pensait sains ne l'étaient pas du tout et que le marketing des produits était souvent trompeur. De cette prise de conscience est née l'idée de donner une version numérique au livre, afin de permettre à chacun d'analyser très simplement, au supermarché, n'importe quel produit. Cette version digitale devait par ailleurs reposer sur un référencement évolutif pour tenir compte des nombreux changements qui surviennent chaque année dans les recettes.
En février 2016, nous avons participé, avec ce projet, au concours du Food Hackathon organisé par La Gaîté Lyrique, concours que nous avons remporté. C'est véritablement ce qui a permis de nous lancer.
Nous étions trois, François, Benoît – deux frères – et moi, et nous avons passé toute l'année 2016 à développer le projet en continuant à travailler chacun de notre côté. Nous avons aussi participé, cette année-là, au programme Ticket for change, qui accompagne des « entrepreneurs du changement ». Ce programme vise à soutenir des projets à impact positif sur la société. Participer à ce programme nous a beaucoup aidés à prendre en compte la dimension sociale du projet. Fin 2016, nous avons tous quitté notre travail pour nous lancer à plein temps dans l'aventure.
Nous avons lancé l'application en janvier 2017, d'abord sur iPhone, puis, en juin 2017, sur Android, et nous avons rapidement constaté un très fort engouement des utilisateurs. En juin 2017, nous avons passé la barre des 100 000 utilisateurs ; cette semaine, nous avons dépassé les 3,5 millions d'utilisateurs. Cette croissance exponentielle montre que nous répondons à un fort besoin et qu'il existe une vraie demande de transparence sur la composition des produits.
En ce qui concerne notre modèle économique, nous avons aujourd'hui deux sources principales de rémunération, mais elles n'ont pas vocation à perdurer. Elles sont temporaires, en attendant que nous trouvions notre business model définitif.
La première est le programme « Nutrition en ligne » sur notre site web. Ce programme, déconnecté de l'application, a pour objectif d'adopter des habitudes alimentaires plus saines en dix semaines. Il vise à manger mieux et à manger sain, plutôt qu'à maigrir. Nous l'avons créé avec le nutritionniste Anthony Berthou. On y trouve les règles d'or de l'alimentation saine, des recettes, et un accès direct au nutritionniste à qui les utilisateurs peuvent poser leurs questions. Nous avons lancé ce programme en juillet 2017.
Notre seconde source de rémunération est constituée de dons. De nombreux utilisateurs, désireux de contribuer à ce projet et de nous soutenir, nous ont contactés pour savoir comment nous aider. Nous avons donc mis en place un formulaire de dons sur le site.
Ces deux sources de rémunération nous permettent de faire vivre correctement le projet aujourd'hui mais, à terme, notre modèle économique cible devrait reposer sur deux autres éléments.
Le premier est la monétisation de l'application. C'est le coeur de notre modèle économique. Aujourd'hui, l'application est totalement gratuite, mais nous envisageons de rajouter des fonctionnalités premium, comme dans la majorité des applications, qui possèdent une version premium payante, avec un système d'abonnement pour trois mois, six mois ou un an.
Quatre fonctionnalités devraient être intégrées dans ce Package premium, et proposées de manière progressive. La première, qui va sortir au mois de juillet, permettra d'obtenir davantage de détails sur la nocivité des additifs. Aujourd'hui, on peut savoir, par un code couleur, si l'additif est nocif, à éviter ou douteux, mais les utilisateurs nous demandent plus de précisions sur ce qui est précisément mis en cause, sur l'impact prouvé de l'additif ou sur les doutes qui existent à son sujet.
La deuxième fonctionnalité proposée sera une barre de recherche. Actuellement, l'application ne permet de connaître l'évaluation d'un produit qu'en le scannant, ce qui implique de l'avoir sous la main. Grâce à la barre de recherche, il sera possible de rechercher des produits simplement en tapant leur nom.
La troisième fonctionnalité sera la possibilité d'utiliser l'application en mode hors ligne. Pour scanner les produits, il est aujourd'hui nécessaire d'avoir du réseau, ce qui est parfois problématique dans certains supermarchés. Des utilisateurs de l'application sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à nous signaler que, depuis quelque temps, ils ont des difficultés à scanner les produits dans leur supermarché. Certains auraient appris, des responsables de magasin eux-mêmes, que des brouilleurs auraient volontairement été installés par la direction. Nous n'avons pas vérifié cette information, je vous la donne donc avec toutes les précautions qui s'imposent. Quoi qu'il en soit, ce mode hors ligne permettra de scanner les produits sans avoir besoin de réseau.
La dernière fonctionnalité que nous souhaitons ajouter à l'application, dans ce Package premium, est la possibilité de déclencher des alertes personnalisables sur des éléments allergènes ou indésirables, tels que le gluten, le lactose, les arachides ou l'huile de palme. Nous recevons effectivement un très grand nombre de demandes en ce sens.
Ces quatre fonctionnalités que nous souhaitons intégrer dans le Pack premium, nous ne les avons pas inventées. Nous recevons aujourd'hui entre 300 et 350 courriels par jour de nos utilisateurs. Elles correspondent donc aux besoins les plus forts que nous avons identifiés. Elles seront intégrées dans une version payante, mais très accessible. Notre but n'est pas de faire le maximum de profit. Pour l'instant, nous envisageons un prix de 9,90 euros par an.
Nous nous définissons vraiment comme une entreprise à impact social. Notre objectif est de maximiser cet impact avant la rentabilité financière. Celle-ci est un moyen au service de notre projet, mais nous n'avons pas vocation à faire de l'argent pour faire de l'argent. Au coeur de toutes nos décisions se trouve toujours l'impact social que nous pouvons avoir.
Le second élément sur lequel devrait reposer à l'avenir notre modèle économique cible est en cours de réflexion avec notre nutritionniste. Il est en lien direct avec notre sujet du jour puisqu'il s'agit de la création d'un label. Nous avons reçu un grand nombre de demandes de marques et de directeurs de supermarché qui souhaiteraient apposer notre logo directement en magasin sur les produits validés par le système de notation de Yuka.
Nous réfléchissons donc à la création d'un label qui intégrerait, outre les éléments aujourd'hui pris en compte par l'application, des éléments bien plus poussés tels que les conditions de fabrication du produit ou la qualité des matières premières utilisées.
L'idée est de répondre à un cahier des charges très précis, par catégories de produits. Ce label ne serait donc pas, comme le Nutri-Score, identique pour tous les produits, mais décliné par catégories de produits, afin de permettre, pour chacune d'elles, l'identification des bons et des mauvais éléments. Pour le chocolat, par exemple, on évaluerait la teneur en cacao et la quantité d'antioxydants. La création de ce label est un projet de moyen-long terme, qui part également d'une demande des utilisateurs.
En ce qui concerne, maintenant, les grands projets à venir, nous développons actuellement un projet similaire à Yuka sur les cosmétiques et les produits d'hygiène. Il devrait sortir à la fin du mois sur iPhone et sera intégré à l'application existante, qui aura donc désormais deux parties : la partie alimentaire, et la partie cosmétiques et produits d'hygiène. Ce nouveau projet résulte d'une demande une fois encore très forte de nos utilisateurs.
Nous envisageons par ailleurs de nous lancer à l'international l'an prochain. Pour le moment, nous avons volontairement fermé l'application à la France sur l'AppStore et le Play Store parce que nous sommes une petite équipe et que nous ne saurions pas gérer un flux trop important d'utilisateurs, mais nous recevons des demandes nombreuses de pays francophones – Belgique, Suisse, Luxembourg, Canada – qui suivent de près l'actualité des médias française. Notre objectif est donc de développer l'application à l'international en 2019.
J'aimerais revenir sur la question des recommandations de produits. Lorsque le produit scanné est mauvais, Yuka recommande une à dix alternatives. Autant que possible, nous ne nous limitons donc pas à une seule recommandation. En outre, ce n'est pas encore le cas sur les smartphones Android mais, sur iPhone, il est possible de filtrer les recommandations par enseignes. Si, par exemple, je fais mes courses uniquement chez Carrefour, je peux cocher cette enseigne pour recevoir uniquement des recommandations de produits Carrefour. Cette possibilité de filtrer les marques de distributeurs recommandées témoigne de notre indépendance. L'utilisateur a le choix. Nous ne lui recommandons pas toujours les mêmes produits. Nous essayons toujours, dans la mesure du possible, de proposer plusieurs alternatives.
Quelques mots, à présent, sur le fonctionnement purement technique de Yuka. Nous utilisons la base de données ouverte et collaborative Open Food Facts, qui fonctionne exactement sur le modèle de Wikipédia. Tout le monde peut y contribuer et enrichir ses informations. Nous avons choisi de nous appuyer sur cette base de données plutôt que de créer la nôtre propre. Les utilisateurs de Yuka ont la possibilité, directement via l'application, d'y ajouter des produits inconnus ou de modifier des informations erronées.
Toutes les données que nos contributeurs renseignent, nous les reversons dans Open Food Facts, qui s'appuie, comme Wikipédia, sur un système de vérification a posteriori. Compte tenu du nombre actuel d'utilisateurs de Yuka, si une personne s'amuse à mettre des informations erronées, ce qui peut arriver, elles sont très vite détectées. Nous avons actuellement un million de produits scannés par jour. Si quelqu'un cherchait, par exemple, à modifier les valeurs du Coca Cola pour en faire un produit sain, il serait très vite repéré par d'autres utilisateurs qui ne manqueraient pas de nous signaler l'erreur. Ainsi, toujours sur le même modèle que Wikipédia, lorsqu'un utilisateur introduit des informations erronées, il est banni définitivement de l'application.
Nous travaillons actuellement à la mise en place d'un système automatique de vérification et de contrôle pour détecter de potentielles erreurs dans nos informations. Il s'appuiera sur un programme de reconnaissance d'image, afin de vérifier que la photo du produit est la bonne, et sur un système de détection d'erreurs dans les valeurs nutritionnelles. Lorsqu'une valeur est très incohérente par rapport à la moyenne de la catégorie du produit – par exemple, un nombre de calories très faible pour des biscuits –, un système d'alerte se déclenche. Nous travaillons beaucoup aujourd'hui sur cette modération automatique qui nous permettra de fiabiliser au maximum la base de données.
En ce qui concerne nos liens avec les marques, assez étonnamment, nous n'avons jamais rencontré de difficultés particulières avec elles. Les marques sont de plus en plus nombreuses à nous contacter directement. Elles ont pris acte du changement intervenu et compris qu'elles ne pouvaient pas s'y opposer. Étant donné le succès de l'application, il ne serait d'ailleurs pas très intelligent pour elles de le faire. Elles sont donc plutôt dans une démarche positive à notre égard. Elles nous contactent, ou bien pour essayer de comprendre notre méthode de notation, donc dans l'idée d'améliorer les résultats de leurs produits, ou bien dans un souci de transparence, pour nous fournir directement des informations sur leurs produits. Nous nous appuyons aujourd'hui sur le collaboratif mais, en nous communiquant elles-mêmes les données relatives à leurs produits, les marques s'assurent de leur fiabilité dans l'application.
Bien sûr, quelques marques nous contactent pour tenter d'influer sur la notation de leurs produits, mais nous sommes très clairs avec elles : nous leur expliquons que nous sommes totalement indépendants et que la notation est la même pour tout le monde.
Nous n'avons donc pas rencontré de difficultés particulières avec les marques et j'espère que cela va continuer ainsi. On nous avait beaucoup mis en garde sur le fait que nous allions nous faire attaquer. Cela n'a pas été le cas. Aujourd'hui, nous entretenons plutôt de bonnes relations avec les marques avec lesquelles nous sommes en contact.