La première fois que j'ai rencontré Régis Aubenas, c'était l'hiver, il avait son bonnet sur les oreilles, il était dans son verger, où il fait notamment des pêches et des abricots, il m'a dit : « J'ai fait 75 000 euros de déficit cette année. Si je fais pareil l'année prochaine, je mets la clé sous la porte : ça n'en ferait qu'un de plus dans le département. En quinze ans, on a quasiment divisé par deux la surface des vergers. » Voilà dans quelle situation on a mis les producteurs de fruits et légumes.
Pourquoi les producteurs de fruits et légumes ? C'est là qu'on pourrait mener, en quelque sorte, une analyse de classe de la FNSEA. En effet, les producteurs de fruits et légumes ont besoin de beaucoup de main-d'oeuvre, à l'inverse, par exemple, des céréaliers. Ils ont donc un moindre intérêt à la mondialisation ou à cette européanisation-là, car ils sont mis en concurrence avec des pays comme l'Espagne, où le coût de la main-d'oeuvre est inférieur, et avec d'autres pays, comme l'Allemagne, où sont autorisés d'autres produits phytosanitaires. Cela signifie qu'on instaure une concurrence dite libre – mais, en fait, complètement faussée – à la fois sur le plan social et sur le plan environnemental.
Je lui ai demandé si cette situation tenait au fait que les Français n'aimaient plus les pêches. Il m'a dit : « Pas du tout. Pour moi, le coût de revient d'un kilo de pêches est de 1,10 euro. L'hypermarché me les achète au tarif espagnol, c'est-à-dire à 0,89 euro : sur chaque kilo de pêches que je produis, je perds, en gros 20 centimes. » Les producteurs de lait nous ont raconté, grosso modo, la même chose l'année dernière et les producteurs de pommes pendant des années. Structurellement, les cours mondiaux conduisent les paysans à la misère.
Au milieu de ses tracteurs, Régis Aubenas s'est lancé dans une explication économique très intéressante. Il me dit : « Ça, c'est la faute à Milton ».