Je déplore que l'outre-mer soit l'angle mort des grandes politiques publiques de ce Gouvernement. En matière de logement, qui est un sujet éminemment important pour les outre-mer, ce point de vue aurait dû être bien davantage pris en compte. J'insiste un peu sur ce premier regret, et c'est bien normal.
Mon deuxième regret est beaucoup plus classique, et a été formulé à plusieurs reprises. On ne construit pas de logements sans les propriétaires et sans les bailleurs sociaux. Les propriétaires, vous les bousculez un peu. Vous les montrez un peu du doigt. Vous ne leur donnez pas envie d'agir pour le logement. Je n'insiste pas sur les propriétaires qui ont les moyens, mais il y en a qui ne peuvent pas construire sans aide ! Or vous la leur supprimez. Vous brisez leurs rêves d'amélioration de leur parcours résidentiel. Quand vous avez été toute votre vie locataire d'un logement social, vous avez envie, à un moment donné, de devenir propriétaire. Mais sans aide, votre parcours résidentiel s'arrête, et vous êtes condamné à vivre toute votre vie dans le locatif.
Mais les dispositions les plus graves concernent sans doute les bailleurs sociaux. Vous les avez privés d'une partie importante de leur capacité d'autofinancement, les condamnant à une transformation générale. Ils vont se regrouper et devenir des sortes de monstres froids, éloignés des territoires. Vous avez sans doute entendu leur colère.
C'est notre inquiétude. Nous ne sommes pas un département à côté, nous sommes à 13 000 kilomètres ! Si les décisions sont prises à Paris par une société nationale immobilière, j'ai un peu peur que la distance ne fasse oublier que notre territoire est différent ! Les bailleurs sociaux font la vie des outre-mer. Ils sont nombreux, parfois petits, et ils accompagnent les locataires dans tous les moments de leur vie. Faites attention à ce que la contrainte que vous faites peser sur eux ne leur fasse pas perdre pied dans les outre-mer.
Troisième regret : j'ai été adjoint à l'urbanisme pendant une quinzaine d'années, et je peux vous dire qu'une politique du logement ne peut pas se faire sans les collectivités. Elle ne peut pas se faire sans les maires, ni sans l'adjoint à l'urbanisme. Ce sont les collectivités qui établissent les plans locaux d'habitat, ce sont les maires qui décident, qui impulsent la construction des logements sociaux sur leur territoire.
Comment voulez-vous imposer à un maire de construire du logement social s'il ne décide pas de l'emplacement et de la forme de la construction, et même parfois, des personnes qui vont l'occuper ? Comment allez-vous donner envie à un maire de faire du logement social si vous ne l'impliquez pas complètement dans la décision ? Au contraire, vous lui retirez des pouvoirs, notamment en matière de préemption et d'aménagement ! Le maire est la pièce centrale. Il faut le chouchouter si vous voulez construire du logement social ! Vous ne réussirez pas si vous ne redonnez pas au maire une place centrale parmi les acteurs de la décision en matière de logement social. C'est lui le chef de la ville.
La Fédération des entreprises publiques locales, l'Assemblée des communautés de France et l'Union sociale pour l'habitat l'ont dit : nous avons besoin d'une territorialisation des politiques de l'habitat avec des délégations données localement pour les aides à la pierre, un plan de gestion de la demande et un partenariat souple avec les opérateurs et les bailleurs sociaux, dont la proximité est un atout.
Le développement local est impossible sans cette coopération. Le modèle hors sol, sans les élus, que vous voulez créer est perdu d'avance, car la construction de la ville et donc l'habitat sont précisément de la responsabilité des maires.
Je le répète en conclusion : tout n'est à pas à jeter dans ce texte, loin de là. Il propose des simplifications, ouvre des voies nouvelles, donne la possibilité de construire plus vite, parfois mieux, simplifie la vie des collectivités dans la gestion des conflits ou du problème des marchands de sommeil, et apporte de la souplesse. Mais on reste parfois le nez dans le guidon, dans des problématiques techniques et réglementaires.
Nous espérions que cette loi apporterait une impulsion, un souffle nouveau, une réorganisation des acteurs de la décision dans la construction des logements dans les territoires. Le territoire, c'est une histoire, ce sont des élus, des bailleurs sociaux qui y sont très attachés. Il faut se garder de laisser des monstres froids venir imposer une ville standardisée, de très loin. Nous voulons construire des logements, nous voulons construire mieux. Nous voulons construire plus vite, bien sûr, mais nous voulons que la ville ait un sens et qu'elle plaise à ceux qui y vivent.