Les divers sujets traités par le projet de loi ELAN revêtent une importance capitale pour nos populations et nos territoires, tout particulièrement en Corse.
Une fois de plus, nous débattrons dans des conditions que nous considérons comme désastreuses, pour ne pas dire assez méprisantes à l'encontre du Parlement. En effet, nous travaillons à nouveau dans le cadre du temps législatif programmé, dont l'instauration est plus que discutable au regard des principes de liberté du parlementaire et de respect minimum pour la démocratie. Peut-être est-ce un avant-goût de la prochaine réforme constitutionnelle qui nous attend ? Nous ne le souhaitons pas.
Comme le temps m'est compté, j'aborderai globalement, dans la discussion générale, la vingtaine d'amendements que je prévois de défendre, faute de temps de parole pour faire autrement. Tout d'abord, il existe en Corse – et certainement dans d'autres territoires – une rupture d'égalité en matière d'accès au logement, au bâti, au foncier. Nous nous approchons dangereusement du taux de 40 % de résidences secondaires, dont certaines sont acquises à des prix qui dépassent l'entendement.
Pendant ce temps, 20 % de la population vit sous le seuil de pauvreté ; le taux de chômage est de 10,5 % – le quatrième taux le plus élevé de France – , le revenu annuel moyen est inférieur de 10 % à la moyenne française. Ce que nous voyons, c'est une société composée d'une population locale, pauvre, qui vit en Corse toute l'année, et de riches propriétaires extérieurs présents deux à trois mois par an ! Ce sont là des réalités objectives qu'il faut rééquilibrer. Il ne s'agit pas de rejet de l'autre, de repli identitaire, ou que sais-je encore, ces arguments que l'on nous rabâche sans arrêt.
La forte attractivité touristique, saisonnière, de la Corse crée de l'inégalité devant l'accès au logement des populations qui veulent y vivre à l'année. Elle précarise l'emploi, elle freine l'installation agricole et l'implantation d'entreprises de production de biens et de services… bref, la vie économique pérenne.
Ces flux migratoires et de capitaux doivent être régulés en Corse – comme ailleurs si d'autres le souhaitent – pour réduire cette économie artificielle et pour déboucher sur une économie productive. Nous voulons sortir de cette dépendance ! Nous refusons d'être réduits à un simple refuge pour personnes fortunées ou stars en quête d'authenticité. Notre choix de société est tout autre et les Corses nous ont élus pour cela.
Voilà pourquoi nous souhaitons commencer par mettre en oeuvre une vraie politique foncière, en maîtrisant notamment la fiscalité du patrimoine. Le taux de résidences secondaires doit être régulé. D'autres pays, comme la Suisse, l'ont déjà fait.
D'ailleurs, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir dans le projet de loi un début de détricotage de la loi Littoral, au détour d'amendements en commission ! Il ne faudrait pas que les fameuses « dents creuses » se transforment en abcès, non pas dentaire, mais spéculatif… La loi Littoral est un garde-fou contre la folie spéculative pour des territoires où la pression touristique est forte et, en Corse, elle est très forte !
Dans le contexte que je vous ai décrit, pensez-vous que le libre marché va permettre la construction de logements sociaux en Corse ou sur la Côte d'Azur ? Je réponds bien sûr par la négative. J'en veux pour preuve la situation actuelle : dix-huit mois d'attente pour obtenir un logement social en Corse, où la proportion de logement social est de 9,8 % à peine, alors que la moyenne nationale est de 17 %. C'est bien normal : quel intérêt de construire des logements sociaux ? On ne peut pas faire d'argent rapide et facile, et on gèle des terrains.
En matière de logement social, nous pensions pouvoir lancer une politique cohérente, à l'échelle de la Corse, dans le cadre de la nouvelle collectivité unique. C'était bien l'esprit des ordonnances qui ont créé cette dernière, et qui anticipaient, au fond, ce que vous souhaitez faire aujourd'hui : fusionner les offices publics de l'habitat.
Mais, vous le savez, à la faveur d'une manoeuvre politicienne adoubée par ce Gouvernement, l'ancien office public de Corse-du-Sud a finalement été laissé à la communauté d'agglomération du pays ajaccien alors que l'ancien office de la Haute-Corse, lui, rejoint bien la collectivité unique. Le bon sens aurait pourtant mené à la création d'un office unique ; mais non, vous maintenez la dérogation dans le projet de loi ! Lorsque cela vous convient, vous donnez des dérogations. Nous vous demandons, pour que votre action serve l'intérêt général, de revenir à l'esprit des ordonnances.
Je ne peux terminer sans aborder la question de la revitalisation de nos centres-villes. Nous sommes face à un « enjeu civilisationnel », pour reprendre les propos des sénateurs Martial Bourquin et Rémy Pointereau. Nous devons renouer avec la culture de la centralité, en rendant nos centres historiques plus attractifs, par une revitalisation du commerce, des lieux de culture et de patrimoine ; in fine, nous favoriserons ainsi le lien social.
Il est trop facile aujourd'hui de construire en périphérie et trop complexe de concevoir des projets de revitalisation commerciale en centre-ville, pour un maire. C'est un autre modèle de consommation que nous devons impulser ; le grand centre commercial à l'américaine n'est pas une fatalité, et nous le refusons.
Si ce texte ne renforce pas la mixité sociale dans les territoires, s'il ne permet pas une meilleure qualité architecturale, s'il ne préserve pas nos côtes de la spéculation foncière et immobilière, s'il ne préserve pas efficacement nos villes de l'étalement urbain périphérique, alors nous ne le voterons pas. Et non seulement nous ne le voterons pas, mais nous serons de ceux qui se dresseront contre toutes les dérives spéculatives qui en découleraient, afin d'éviter l'aggravation de la dépossession et de la fracture économique et sociale dans notre pays).