Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, chers collègues, l'analyse du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique me renvoie au 11 septembre 1985 lorsque, à Kourou, François Mitterrand s'interrogeait : « comment pouvons-nous continuer à lancer des fusées sur fond de bidonvilles ? »
Trente-trois ans plus tard, et en dépit des efforts réalisés par les précédents gouvernements, la situation du logement en Guyane est toujours aussi dégradée – à l'instar d'ailleurs de la photographie nationale.
Si le logement est le premier poste de dépenses et l'une des principales préoccupations des ménages français, force est de constater que tous ne sont pas logés à la même enseigne. Avant de rentrer dans le détail du projet de loi, permettez-moi de rappeler qu'aujourd'hui, en 2018, 150 000 personnes vivent dans des logements indignes en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à La Réunion. Chaque jour voit son lot de victimes de faux propriétaires terriens déguisés en bons samaritains ou en marchands de sommeil peu scrupuleux. Chaque jour également, des citoyens lambda, sans histoires, fatigués de vivre dans des logements familiaux surpeuplés se tournent, faute de mieux, vers l'habitat illicite.
Le terme « bidonvilles » fait peur, et l'administration lui préfère « zones d'habitat informel », ou encore « zones d'habitat spontané ». Il traduit pourtant parfaitement la triste réalité de dizaines de milliers d'ultramarins.
Peut-on efficacement lutter contre les phénomènes de violence, peut-on efficacement combattre l'échec scolaire, peut-on réparer le climat social dégradé si l'on ne s'attaque pas aux sources communes à tous ces problèmes, c'est-à-dire le mal-logement et le malaise social qui en découle ?
Quel ne fut pas mon enthousiasme à l'annonce des ambitions du Gouvernement, ambitions que nous partageons tous ici sur ces bancs : loger plus, loger mieux ! Cet enthousiasme a été aussitôt éteint par le constat de l'absence totale des outre-mer dans ce texte – mais c'est l'habitude de ce Gouvernement – mais par l'évidence du postulat idéologique dont il est imprégné. Il n'avance qu'une réponse libérale qui ne viendra assurément pas améliorer la situation du logement dans notre pays, bien au contraire. Il n'y a aucun suspense : ce texte va encore fragiliser les plus modestes.
Pourtant, c'est bien le porte-parole du Gouvernement qui annonçait il y a quelques jours que « les droits de l'homme pauvre » étaient au coeur de l'agenda de la majorité. J'ai eu beau chercher, j'avoue que cela ne m'a pas sauté aux yeux à la lecture de ce projet de loi. C'est sûrement la défense des « droits de l'homme pauvre » qui pousse le Gouvernement à qualifier le logement de bien marchand, de bien de consommation, voire, au mieux, de bien d'usage. Mais jamais, au grand jamais, il n'est vu comme un droit, alors même que le droit au logement revêt un caractère constitutionnel, et que la loi du 5 mars 2007 l'a érigé en droit opposable.
C'est certainement cette même défense des « droits de l'homme pauvre » qui justifie l'affaiblissement des bailleurs sociaux au bénéfice des opérateurs privés et au mépris total d'un modèle fondé sur l'économie sociale et solidaire. À n'en point douter, ce choix sera fortement dommageable dans les outre-mer, où le logement social concerne 600 000 personnes et pèse environ 2 milliards d'euros d'investissement dans le BTP.
« Loger plus, loger mieux », c'est une ambition qui aurait dû tous nous réunir. Pourtant votre projet réussit l'exploit de susciter la fronde de l'ensemble des acteurs de la filière, tant les solutions que vous avancez paraissent inadaptées et en opposition totale avec l'histoire de notre pays.
La question de la financiarisation du modèle des bailleurs sociaux, contrepartie de la baisse des aides personnalisées au logement, les APL, que vous nous avez imposée, me laisse particulièrement perplexe.
Vous semblez vouloir reproduire un modèle anglo-saxon qui a pourtant largement démontré ses failles et sa contre-productivité. Mais alors comment imaginer par ailleurs qu'il puisse être judicieux de sortir de la contractualisation de la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dite loi MOP, qui permet pourtant de garantir la transparence de l'usage de l'argent public ? Vous ouvrez littéralement la porte à des abus lors des appels d'offres.
Quid de la pérennisation de la dérogation en matière de conception-réalisation qui ne profite qu'aux grands groupes, et conduira probablement à l'asphyxie du tissu de PME et TPE du secteur local du bâtiment, alors même que nos entreprises ultramarines sont déjà fortement fragilisées, et ne supportent plus la concurrence inhumaine que leur imposent les majors nationales ?
Non, monsieur le ministre, le logement n'est pas un produit financier ! Je l'ai déjà dit, il s'agit d'un droit, que nous devons tous placer au coeur de notre projet de société – société dont les personnes âgées, comme les personnes à mobilité réduite, font partie intégrante.
Dans l'attente de l'analyse des nombreux amendements déposés, je voudrais d'ores et déjà vous exprimer mon opposition à votre vision libérale et quantitative, qui laisse trop peu de place à la qualité et au social.