Intervention de Delphine Gény-Stephann

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 14h30
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances :

Merci beaucoup, madame la présidente. Mesdames et messieurs les députés, merci de votre accueil.

Grâce au marché unique, les échanges de biens et de services entre la France et le Royaume-Uni sont des plus intenses. Les chiffres en témoignent. Ainsi, le solde commercial bilatéral de la France avec le Royaume-Uni est positif avec un surplus de 14 milliards d'euros. Certains secteurs, comme l'automobile ou l'aéronautique, ont atteint un niveau d'intégration des chaînes de production très élevé, avec des sous-traitants, des chaînes de transformation et des allers-retours de part et d'autre de la Manche. Tout cela fonctionne en grande symbiose. De très nombreuses entreprises françaises sont établies au Royaume-Uni, pour produire et distribuer leurs produits. Enfin et surtout, de nombreux concitoyens ont fait le choix de vivre au Royaume-Uni. Cette intégration commerciale a une valeur réelle. La situation optimale serait de pouvoir faire perdurer ces relations économiques, commerciales et humaines.

Cependant, il nous faut respecter le choix des citoyens britanniques de quitter l'Union européenne. Cette décision bouleversera nécessairement le cadre dans lequel s'inscrivent les relations commerciales entre l'Union et le Royaume-Uni. Elle aura des conséquences très concrètes pour les entreprises, les grands groupes et les PME qui échangent avec le Royaume-Uni. On dénombre environ 30 000 entreprises en France qui exportent vers le Royaume-Uni et qui seront donc touchées par le Brexit. En dehors du marché intérieur et de l'union douanière, il ne peut y avoir de commerce sans frictions. Les entreprises seront, après le Brexit, confrontées à des contrôles aux frontières et à des formalités administratives qui n'existent pas aujourd'hui. Pour de nombreux secteurs, comme la chimie ou l'aéronautique, cela aura un impact sur les chaînes de valeur qui sont très intégrées.

Le Brexit aura dans tous les cas un coût pour la France et pour l'Union européenne, comme pour le Royaume-Uni. Ce coût serait encore accru dans un scénario de sortie sèche, c'est-à-dire sans accord, qui résulterait en un retour aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avec l'application des droits de douane. C'est ce scénario qui pourrait potentiellement voir le jour s'il n'y avait pas d'accord à l'autonome prochain et si l'on devait faire face à cette sortie sèche en mars 2019.

En tout état de cause, le coût du Brexit sera très largement supérieur pour le Royaume Uni, alors que l'Union européenne à vingt-sept représente environ 50 % des exportations britanniques. Selon nos évaluations, l'impact du Brexit sur le PIB sera six fois moindre pour l'Union européenne et la France que pour le Royaume-Uni. La France est, par ailleurs, moins exposée que plusieurs autres grands pays européens. Le rétablissement de barrières n'entraînera pas d'interruption des échanges et pourra être globalement absorbé par les entreprises exportant vers le Royaume-Uni, ce marché ne représentant en moyenne que 6 % de leur chiffre d'affaires total. Seul un petit nombre d'entreprises françaises, que l'on estime à 500 environ, sont fortement exposées au marché britannique, qui représente plus de 20 % de leur chiffre d'affaires, et donc aux conséquences du Brexit.

Pour limiter ces conséquences, il est nécessaire que les entreprises et les administrations se préparent à tous les scénarios possibles et prennent les mesures nécessaires pour adapter leur chaîne de valeur ou leurs ressources humaines. C'est en particulier le cas pour les secteurs qui sont les plus exposés : l'agroalimentaire, l'automobile, la chimie, la pharmacie, l'aéronautique. En cas de sortie sèche du Royaume-Uni, ces secteurs seront particulièrement affectés par le rétablissement de droits de douane ou par les barrières réglementaires liées à la duplication de formalités administratives.

Depuis 2016, les services du ministère de l'Économie et des Finances mènent des actions de sensibilisation et de concertation avec les fédérations professionnelles, pour évaluer les conséquences du Brexit, préparer les relations futures et inciter les entreprises à anticiper ces conséquences secteur par secteur. Ces consultations s'intensifient en 2018 et mobilisent les relais et opérateurs de l'État en région – les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), les chambres de commerce et d'industrie (CCI), Business France. À ce stade, il ressort que la compréhension des enjeux et le niveau de préparation des entreprises sont très variés, le niveau de préparation des très petites entreprises (TPE) et des PME étant encore insuffisant. Un certain nombre de fédérations professionnelles a souligné qu'en l'absence de visibilité sur le cadre des relations futures, les entreprises tendaient à retarder les investissements nécessaires. Pour les PME et les TPE qui n'exportent pas aujourd'hui en dehors de l'Union européenne, il est à craindre que l'adaptation aux formalités d'export nécessite des investissements qu'elles ne pourraient pas forcément supporter. Il est donc nécessaire d'aller au-delà de ce que nous avons déjà fait, en particulier en demandant aux filières de préparer des plans de contingence.

S'agissant de la période de transition qui pourrait prendre effet au moment de la sortie du Royaume-Uni, fin mars 2019, la position des 27 États membres, comme celle de la France, est claire. Sous réserve que nous parvenions à un accord complet sur les conditions du retrait, il s'agira d'un statu quo sans droits institutionnels pour le Royaume-Uni jusqu'à fin 2020.

En ce qui concerne le cadre des relations futures, notamment un accord de libre-échange Union européenneRoyaume-Uni, la situation est différente. Il n'existe pas de modèle prédéfini pour les relations futures car les enjeux posés par le Brexit sont inédits et aucun des accords commerciaux de l'Union ne permet d'y répondre parfaitement.

Nous ne devrons pas chercher à réduire nos divergences pour faciliter le commerce mais, cette fois-ci, anticiper les domaines dans lesquels nous serons amenés à diverger, parce que nous n'appartiendrons plus à la même Union.

Comme je l'indiquais, le Brexit aura nécessairement des conséquences sur les relations économiques avec le Royaume-Uni. Notre objectif est bien sûr de parvenir à garder le plus haut niveau possible d'intégration économique, et de limiter autant que possible les barrières aux échanges à l'avenir. Cependant, cela dépendra aussi et surtout des choix effectués par le Royaume-Uni. Le maintien réciproque de l'accès aux marchés de l'Union et du Royaume-Uni suppose que des conditions soient remplies. En particulier, comme cela a été expliqué à de nombreuses reprises par les chefs d'État et de Gouvernement des Vingt-Sept, il ne peut pas y avoir de cherry picking, de « picorage sélectif » entre les quatre grandes libertés au sein du marché intérieur. Qui plus est, un accord de libre-échange ne peut pas être équivalent à une participation au marché unique etou à l'union douanière. Les lignes rouges sont l'autonomie réglementaire de l'Union européenne, l'intégrité du marché intérieur et de l'union douanière, la stabilité financière de l'Union.

Ces principes sont unanimement soutenus par les Vingt-Sept et constituent le fondement de la position française. De ce point de vue, l'on ne peut que constater que les exigences du Royaume-Uni sur l'autonomie réglementaire, la libre circulation des personnes ou encore la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) nous conduisent mécaniquement à l'organisation de nos relations économiques sous la forme d'un accord de libre-échange, comme celui conclu récemment entre l'Union européenne et le Canada. Même si le niveau d'intégration économique est bien sûr plus faible que l'appartenance à l'Union européenne, il s'agit déjà d'une solution qui permet beaucoup de fluidité. Un accord de libre-échange ambitieux peut en effet permettre de faciliter les procédures administratives et en douane, pour limiter l'impact pour les entreprises. Par exemple, des règles spécifiques pourront être négociées pour simplifier les procédures, avec des règles de reconnaissance mutuelle pour la sécurité en douane et une reconnaissance mutuelle du statut d'opérateur économique agréé.

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