Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés. Nous sommes très reconnaissants à l'Assemblée nationale pour l'intérêt qu'elle porte au Brexit. Ce sujet est de grande importance pour le secteur automobile. Je vous montrerai pour quelles raisons, avant de vous présenter les principaux risques que nous avons identifiés.
Le CCFA regroupe trois membres principaux : Renault, PSA et Renault Trucks. Les marques représentées par le groupe Renault sont Renault, Alpine, Dacia, Samsung et Lada. Le groupe PSA regroupe les marques Peugeot, Citroën, DS et, depuis récemment, Opel et Vauxhall. Renault Trucks produit également en France, dans la région lyonnaise. Le CCFA joue un rôle traditionnel de défense des constructeurs français, notamment pour les questions relatives aux politiques publiques.
Le Royaume-Uni est un marché d'export extrêmement important pour le secteur de l'automobile, puisqu'il représente 18,5 % du marché européen avec 2,5 à 2,7 millions de véhicules vendus chaque année, contre 2,1 millions en France. Pour les constructeurs français, le Royaume-Uni représente environ 7 % de leurs ventes dans le monde et 15 % de leurs ventes dans l'Union européenne. Ce marché est, qui plus est, rentable et rémunérateur. En effet, c'est plutôt un marché de véhicules de moyenne gamme et de gamme haute. Pour vous donner une idée, le groupe BMW réalise 10 % de ses ventes au Royaume-Uni.
C'est également un marché qui a longtemps été en bonne santé et qui a très bien résisté à la crise de 2008-2009. C'est moins vrai aujourd'hui puisque, depuis douze mois consécutifs, le marché est plutôt en chute, dans lequel la part des groupes français, y compris Vauxhall qui appartient à Opel qui a lui-même été racheté par PSA le 1er août 2017, représente entre 15 % et 20 %.
J'ajoute que nous sommes très forts, de manière générale mais en particulier au Royaume-Uni, sur les véhicules utilitaires légers (VUL). La part additionnée de Renault et de PSA sur le marché britannique représente 23 %. Qui plus est, les VUL sont en général produits sur des sites français. Nous exportons donc beaucoup de VUL produits en France vers le Royaume-Uni.
Outre les véhicules – 1 milliard d'euros par an – nous exportons également des moteurs et des composants divers – 2 milliards d'euros par an. Notre solde commercial avec le Royaume-Uni est positif, et nous souhaitons bien évidemment qu'il le reste malgré le Brexit.
Le Royaume-Uni est un marché d'export pour nous, mais c'est également un lieu de production automobile pour diverses marques – européennes mais pas seulement, les Japonais y étant notamment très présents. Renault n'y produit pas, mais PSA y compte deux usines. Nous avons donc des problématiques à la fois d'exportateurs et de producteurs sur place, de véhicules pour le moment principalement destinés au marché britannique mais cela pourrait évoluer.
L'industrie automobile britannique est extrêmement intégrée à celle de l'Europe. Les flux dans les deux sens sont très importants. Les Britanniques eux-mêmes ont besoin d'énormément de composants en provenance d'Europe continentale, dont certains sont ceux que nous leur fournissons nous-mêmes. Leur taux d'intégration locale est assez faible, de l'ordre de 40 % à 44 %. Tous les autres composants leur viennent de l'extérieur, c'est-à-dire d'Europe. Dans l'autre sens, le Royaume-Uni est très dépendant à l'export également, puisque 80 % de l'export britannique sont vers l'Europe continentale.
En résumé, le secteur automobile est très important pour nous, constructeurs automobiles français, et il est vital côté britannique.
Les principaux risques que nous avons identifiés sont logistiques, douaniers, non-tarifaires, réglementaires, financiers et en matière de mobilité des travailleurs. Le risque logistique est presque le plus important, et en tout cas le plus immédiat, avec la perspective de la rupture de la chaîne logistique actuelle à compter de fin mars 2019. Chaque jour, environ 1 000 camions passent la frontière avec des composants automobiles, de l'Europe vers le Royaume-Uni. En général, les formalités étant aussi simples et légères que possible, ce passage prend entre deux et cinq minutes par camion. Nous avons calculé que si les choses devaient changer – et elles changeront nécessairement s'il y a un Brexit, deux minutes supplémentaires d'arrêt par camion représenteraient 29 kilomètres de bouchons sur toute la chaîne logistique. Nous serons donc très attentifs à ce que les choses changent le moins possible du point de vue logistique. Mais en même temps, nous avons bien conscience que même le meilleur des accords ne permettra pas de rester en l'état actuel des choses. Sans compter que les Britanniques devront construire, de leur côté de la Manche, des zones où parquer les camions dans l'attente des contrôles.
Le risque douanier, lié au risque logistique, pose deux questions principales : celle des tarifs et celle des règles d'origine. Dès lors que le Royaume-Uni sera sorti de l'Union européenne, il sera susceptible de rétablir des droits tarifaires qui pourraient monter à hauteur de ce qui a été négocié à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans notre secteur, ils peuvent aller jusqu'à 10 % sur les voitures particulières, 22 % sur les véhicules industriels, 3 % à 4,5 % sur les pièces et composants et 2,7 % sur les moteurs. Dans un secteur aussi sensible aux prix, dans lequel nous nous battons pour 1 % ou 2 %, il n'est pas besoin de faire des calculs très savants pour comprendre qu'à 10 %, nous serons sortis du marché – dans un sens comme dans l'autre. Si les véhicules britanniques paient 10 % de droits de douane en entrant en Europe, ils ne seront plus compétitifs. Il en sera de même pour les nôtres sur le marché britannique. Nous avons donc un intérêt commun de non-rétablissement de barrières tarifaires dans notre secteur. En outre, si l'on doit négocier un accord, quelle que soit sa forme, la question des règles d'origine, qui permettent à un produit quittant l'une des deux zones de bénéficier d'un accès privilégié à l'autre zone, se posera. Pour les Britanniques, ce sera compliqué dans la mesure où seuls 40 % des composants ont une origine proprement britannique. Ce sera compliqué même en cas de cumul bilatéral entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. De notre côté, le sujet des règles d'origine pourrait également poser problème, notamment pour des véhicules nouvelle génération de type électrique. Pour le moment, il est compliqué de se fournir en batteries électriques dans l'Union européenne. Or si les batteries sont importées, la part vraiment européenne du véhicule n'atteindra pas nécessairement le pourcentage requis. Se posera donc un problème de règles d'origine, dans les deux sens. Il faudra donc trouver un accord qui permette d'être ni trop sévère, ni trop laxiste sur cette question.
J'en viens au risque non-tarifaire. Dans notre secteur, les barrières non-tarifaires sont essentiellement techniques et réglementaires. Nous en avons identifié plusieurs, notamment celle de l'homologation des véhicules. Aujourd'hui, lorsque vous homologuez un véhicule dans un quelconque État membre, cette homologation est intégralement valable dans tout le reste de l'Union européenne, conformément au principe de marché intérieur absolu. À partir du moment où le Royaume-Uni ne sera plus membre de l'Union, se posera le problème des homologations passées, dont il faudra assurer une certaine forme de continuité. Se posera aussi le problème des homologations futures. Chacune des deux parties exportant chez l'autre aura intérêt à une forme de reconnaissance mutuelle qui reste à inventer. Ce qui nous facilite un peu la tâche, c'est que, là encore, nos intérêts industriels et en tout cas économiques sont convergents sur ce point des deux côtés de la Manche. Mais la situation est très complexe. Par exemple, un véhicule n'est pas nécessairement homologué dans le pays dans lequel il a été produit – ce qui semble pourtant le plus logique. Du fait de la validité européenne de l'homologation, il est tout à fait possible d'homologuer au Royaume-Uni un véhicule qui a été produit en République Tchèque. Cela arrive même très souvent, pour une question de langue. L'inverse est également vrai. Un véhicule produit au Royaume-Uni peut être homologué dans un autre pays, pour des raisons historiques ou de facilité. S'il n'existe pas de système de reconnaissance mutuelle, un véhicule produit au Royaume-Uni mais homologué ailleurs ne serait pas commercialisable au Royaume-Uni. Nous pourrions donc arriver à des situations totalement ubuesques.
Permettez-moi de dire encore un mot sur les risques financiers. L'on ne s'en souvient pas toujours, mais les constructeurs ont des filiales financières, des banques dites captives, qui contribuent largement à leur rendement économique. Il en existe au Royaume-Uni, qui opèrent aujourd'hui sous le système du passeport européen, lequel est remis en cause. Si ce passeport devait disparaître, la conséquence immédiate pour nous serait que les filiales financières des constructeurs français au Royaume-Uni devraient se transformer en banques de nationalité britannique. Ce serait à la fois très complexe et très coûteux. Il faudra donc qu'une forme de passeport européen subsiste en matière financière.
Enfin, le risque de mobilité des travailleurs n'est pas immense dans notre secteur, puisqu'il concerne quelques centaines de personnes. Mais il existe.
En résumé, pour notre secteur, nous prônons l'absence de tarifs douaniers, des procédures douanières les plus simples possible, l'absence de divergence réglementaire entre les deux zones, notamment dans le cadre de l'homologation. Finalement, il est évident que la solution post-Brexit qui nous conviendrait le mieux serait la plus proche possible d'un statu quo. Même si nous comprenons que c'est politiquement compliqué à défendre, il est utile de le dire et de rappeler la réalité économique. La situation est tellement imbriquée entre nos deux zones que, s'il y a Brexit, l'on détricotera nécessairement l'existant. Il importe que ce qui sera détricoté le soit avec la plus grande prudence, car tout aura un coût pour nous.