Merci, madame la présidente. La CPME et ses adhérents s'intéressent de longue date au Brexit. Pourtant, nous peinons nous aussi à y voir clair. Je vous avais rencontrée à plusieurs reprises à Bruxelles. Puis j'ai rencontré Michel Barnier, le 27 février dernier et, le 29 mars, mon homologue de la Federation of Small Businesses (FSB), qui représente les petites et moyennes entreprises britanniques.
Si nous devions dresser un tableau des menaces et des opportunités des décisions liées au Brexit, nous verrions que la balance des échanges avec le Royaume-Uni est positive pour la France. Il y aurait donc plus de menaces que d'opportunités, en ce qui nous concerne. Nous avons interrogé nos adhérents, à commencer par les transporteurs. Ceux-ci nous ont indiqué qu'environ 500 camions faisaient actuellement l'objet de contrôles de formalités douanières tous les jours, et que demain ils seraient à peu près 8 500. Cela se traduirait par des coûts et de l'attente supplémentaire. Les transporteurs pourront-ils répercuter le coût sur leurs clients ?
Une autre question concerne la protection des marques et le système normatif. Le marquage CE, par exemple, permet de distribuer un produit dans l'espace européen. Qu'en sera-t-il demain ?
Pour prendre un exemple personnel, mon entreprise fabrique des charpentes et des menuiseries extérieures, entre autres. J'exporte de manière régulière aux États-Unis, et de manière plus épisodique en Angleterre. En effet, bien que la France ait inventé la fenêtre à guillotine, le marché n'est pas du tout français, mais anglo-saxon. Que se passera-t-il si, demain, les building codes changent ? Aurai-je les moyens de repasser toutes mes gammes de menuiseries aux bornes tests ? C'est une façon très habile d'exclure des PME du marché – parce que, dans ce domaine, il n'y a pas de multinationales.
Comment se passera la protection des marques ?
Par ailleurs, comme dans le secteur de l'automobile, nombre de PME utilisent dans leur processus de fabrication des composants qui viennent d'Angleterre. Si cette chaîne de valeur devait être perturbée, le coût de production serait nettement plus important en France qu'au Royaume-Uni. Je pense notamment au règlement REACH sur l'utilisation des substances chimiques.
Nous pensons que, quoi qu'il arrive, il faut maintenir une relation forte sur tous les plans – économique, diplomatique, amical, etc. Si j'ai voulu que nous rencontrions nos homologues de la FSB, c'est bien parce que nous souhaitons que le dialogue continue à fonctionner entre nos différentes organisations. Nous pensons aussi qu'il faut éviter une sortie du Royaume-Uni sans accord. Pour nous, ce serait la pire des situations.
Nous avons identifié des points de vigilance. Même si nous aimons évoluer dans une économie de marché, nous sommes attachés aux conditions de concurrence les plus loyales possible. Il faut donc veiller à l'instauration de telles conditions. Si je devais le résumer en trois points, ce serait zéro dumping social, zéro dumping fiscal et zéro dumping réglementaire. Une fois que l'on a dit cela, reste à savoir où placer le curseur.
Il faut que nous maintenions la fluidité des échanges, à travers la conclusion d'un accord commercial. Cela me paraît indispensable. Il faut aussi s'entendre sur le niveau des barrières tarifaires, des droits de douane, des taxes, des quotas, des normes sanitaires, des normes techniques. Il y aura certainement une restauration des formalités administratives. Là encore, je pense qu'il faudra aller assez loin dans le détail pour qu'elles soient aussi légères et fluides que possible. L'activité principale d'un entrepreneur est d'entreprendre, pas de faire de l'administratif. Il faudra aussi s'assurer des règles de réciprocité. Cela nous paraît évident. Sur ce point, nous appelons à une veille extrêmement suivie des acteurs de la négociation, mais aussi par la suite.
Pour nous, le risque serait que le Royaume-Uni devienne une plateforme de tout ce qui pourrait représenter le low cost. Car pour s'en sortir, il faudra bien qu'il trouve une différenciation concurrentielle. Quelle sera-t-elle ? À une époque où tout peut être regroupé sur une plateforme numérique, l'enjeu est majeur.
Il faudrait aussi mettre en place une véritable politique de concurrence européenne. L'équivalence des règles de concurrence nous semble majeure, spécifiquement pour celles qui concernent les aides de l'État, qui peuvent concerner de manière très directe les PME.
Pour revenir aux questions plus précises que vous nous aviez posées pour préparer cette audition, je vous ai répondu sur les secteurs qui nous semblent potentiellement touchés : le secteur routier, les marchés normatifs comme ceux de l'eau et de l'assainissement, le secteur de la pêche et le tourisme. Il ne faut pas non plus oublier que si nombre de PME ne sont pas exportatrices, elles ont besoin des échanges avec l'Angleterre.
La vraie question est celle des contrôles aux frontières. Y en aura-t-il ou pas ? À quel niveau, le cas échéant ? Quel sera le niveau des droits de douane ? Quelle sera la modification éventuelle des réglementations britanniques ? Nous sommes tous conscients que le Brexit aura indubitablement des conséquences. Personne ne croit une seconde qu'il ne se passera rien. Nous sommes tous conscients qu'il se passera quelque chose. Néanmoins, nous appelons le ou les négociateurs à la plus grande vigilance et à aller très loin dans le détail. Pour une PME, le détail a vraiment son importance.
Nos préoccupations immédiates portent sur le risque de perte de compétitivité, mais aussi sur le climat d'incertitude. Si nous n'avons aucune visibilité sur le contenu de l'accord qui sera négocié, qu'avons-nous comme moyens pour nous préparer ? Que pouvons-nous dire à nos adhérents ? Nos préoccupations concernent aussi les barrières non-tarifaires, qui sont parfois les obstacles les plus importants. Dans ce contexte, nos demandes sont les suivantes : donner de la visibilité aux entrepreneurs en sortant de ce que nous qualifions de comportement attentiste ; arrêter une vraie stratégie de négociation ; aboutir à un accord dont l'incidence sera la plus faible possible pour les PME ; prévoir une période de transition suffisante pour nous permettre de nous préparer.
Vous nous avez demandé si les PME avaient une stratégie. Pour tout vous dire, pas vraiment. Nous sommes dans le flou. Les entrepreneurs savent exprimer qu'il y aura certainement des barrières à l'entrée, des deux côtés. Mais ils ignorent à quel niveau elles seront, ce qui ne permet pas de définir la stratégie à adopter. Faudra-t-il trouver du sourcing en dehors d'Angleterre ? Pour l'instant, il y a beaucoup d'attentisme.