Merci, madame la présidente. J'évoquerai avec vous les conséquences du Brexit sur le secteur de l'aviation civile. Depuis le 1er avril 1997, le transport aérien européen évolue dans le cadre d'un marché unique. Toutes les compagnies aériennes communautaires, détenues et contrôlées par des capitaux communautaires, peuvent y évoluer librement. Il est évident que le Brexit aura une incidence forte sur ce cadre, puisque, du jour où le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne, les capitaux britanniques ne seront plus des capitaux communautaires. Se posera alors la question de savoir si les compagnies européennes détenant une part importante de capitaux britanniques restent des transporteurs communautaires au sein de l'Union européenne, et quelle sera la nature de l'accès des compagnies britanniques au futur marché communautaire. En théorie, les enjeux sont extrêmement importants, des deux côtés.
Pour nous, le marché britannique reste important. Et ce, à deux titres. Le premier concerne l'activité – pas tant celle d'Air France, dans la mesure où nous avons relativement peu de liaisons aériennes vers le Royaume-Uni, que pour la filiale du Groupe qu'est KLM, qui a une activité particulièrement importante au départ du Royaume-Uni. Au départ des provinces britanniques, KLM a même une activité plus importante que British Airways.
L'autre sujet concerne nos investissements. Nous sommes sur le point d'investir 30 % au capital de la compagnie britannique Virgin Atlantic. Naturellement, le sujet de cet investissement au regard de modifications éventuelles des règles britanniques en matière de propriété et de contrôle est important. Nous avons essayé de le traiter en nous protégeant, en prévoyant la possibilité de sortir du capital de Virgin Atlantic dès lors que les règles viendraient à changer. Néanmoins, ce n'est pas notre scénario favori. Nous souhaitons une certaine stabilité juridique.
Notre point de départ, assez simple, consiste à considérer que le régime actuel, celui du marché unique dans lequel tout le monde a les mêmes droits et les mêmes obligations, nous convient bien. Nous souhaitons nous en éloigner aussi peu que possible. Cela dit, se pose aussi une problématique d'équité des conditions de concurrence. En général, dans le monde aérien, l'on parle plutôt de mondes réglementaires séparés qui convergent. Dans le cas présent, nous serons plutôt dans la situation paradoxalement inverse puisque nous partirons d'une situation où tout le monde est à égalité et où il y a un risque de divergence. Il est évident que dès lors que les compagnies britanniques seraient soumises à des règles significativement différentes des règles communautaires – droits des passagers, environnement, etc. –, au sens des règlements eux-mêmes, mais aussi de leur interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), un problème de distorsion de concurrence majeur se poserait pour nous.
La position constante d'Air France-KLM consiste à dire que le scénario idéal serait que le Royaume-Uni soit prêt à accepter un régime s'apparentant à celui de la Norvège dans le cadre de l'espace économique européen ou un accord comme celui qui existe avec la Suisse. Nous aboutirions alors à un système très ouvert en termes d'aviation, dans lequel il y aurait d'autres contraintes. Tous ces régimes se caractérisent par une intégration de l'acquis communautaire et une reconnaissance des jurisprudences de la Cour. Autour de ce type d'accord, nous trouverions quelque chose de relativement satisfaisant dans le domaine du transport aérien. Dès lors que le Royaume-Uni souhaiterait s'éloigner de ce type de modèle – et cela semble être le cas – et tracer des lignes rouges autour de ce que sont la CJUE et l'acceptation des interprétations de ses règles. Nous considérons que nous entrons dans une relation qui doit s'apparenter à celle que nous entretenons avec d'autres grands pays – les États-Unis, le Canada –, mais dans laquelle il faudra que cette divergence potentielle des règles s'accompagne aussi de certaines limitations de l'accès au marché. Le risque de distorsion de concurrence est réel.
Finalement, si nous ne sommes pas capables de converger vers un système très proche du système actuel, de type Norvège, Suisse ou Islande, il faudra trouver les termes d'un accord équilibré – qui présentera naturellement des désavantages pour les deux parties, étant entendu que notre analyse est que le transport aérien britannique, dans une situation de type Brexit dur, aurait beaucoup plus à perdre que les compagnies aériennes européennes, ou en tout cas qu'Air France KLM. Aujourd'hui, en effet, des compagnies comme EasyJet ont une activité très importante au sein du marché communautaire. Dans une hypothèse de Brexit dur, c'est le type d'activité qui peut être menacé. Les compagnies aériennes britanniques ont donc un intérêt au maintien du statu quo. Un groupe comme International Airlines Group (IAG), la maison mère de British Airways, possède en Europe un certain nombre de filiales comme Iberia ou Aer Lingus. Aujourd'hui, elle peut le faire parce que le Royaume-Uni fait partie de l'Union européenne. Demain, si les capitaux britanniques ne sont plus considérés comme communautaires, la question du maintien de la licence de ces compagnies se posera. L'on ne les imagine pas arrêter d'opérer, mais le fait qu'IAG doive réaménager la composition de son capital et perdre un degré d'influence sur ces compagnies n'est pas du tout négligeable.
Aujourd'hui, les compagnies aériennes britanniques ont clairement plus à perdre que les compagnies aériennes européennes dans l'hypothèse d'une situation de Brexit compliquée. Il est important de le garder en tête dans l'équilibre de la négociation générale avec le Royaume-Uni. Il existe certainement des domaines dans lesquels l'Union européenne est demandeuse, dans le cadre des futures négociations. Mais s'il y en un dans lequel le Royaume-Uni est clairement demandeur, c'est bien celui du transport aérien.
Enfin, bien conscientes de cette difficulté potentielle qui peut être posée par le Brexit, les compagnies aériennes britanniques se sont livrées à un lobbying d'assez grande ampleur au sein des institutions européennes, pour expliquer qu'il existait un risque très sérieux d'arrêt des vols et de pénalisation du tourisme dès lors qu'un accord spécifique ou catégoriel ne serait pas trouvé rapidement. Pour nous, cela relève beaucoup du mythe. D'une part, le premier argument mis en avant par les compagnies aériennes britanniques consiste à considérer que le transport aérien n'est pas inclus dans l'OMC et qu'il n'existe pas vraiment de solution de repli. La réalité est différente. Si demain, il venait à ne plus y avoir d'accord du tout entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, les vols ne s'arrêteraient pas, ou ne devraient pas s'arrêter, pour la simple raison que la Convention de Chicago de 1944 affirme le principe de la souveraineté des États sur leur territoire, lequel permet parfaitement à un État d'autoriser les vols d'un autre État, même sur une base temporaire. Je n'ai jamais vu que l'on mette brutalement fin à des services aériens, car ce ne serait a priori dans l'intérêt de personne. Certes, le Brexit pourrait faire peser un risque juridique sur les développements ultérieurs. Pour autant, un arrêt brusque des services aériens paraît tout à fait hypothétique.
En tant qu'Air France-KLM, nous sommes plutôt confiants dans le fait que l'Union européenne et le Royaume-Uni sauront trouver un accord équilibré. Nous pensons que nous disposons d'un peu de temps, puisque la période de transition devrait a priori durer plus d'un an et demi, durant laquelle le régime actuel ne sera pas modifié. Quant au régime futur, l'Union européenne a été capable de négocier des accords équilibrés dans le domaine du transport aérien avec de grands pays comme les États-Unis ou le Canada, et je pourrais citer d'autres exemples. Nous sommes donc à peu près certains que l'on trouvera une solution. Et dans la pire des solutions, c'est-à-dire en l'absence d'accord, nous comptons sur la Convention de Chicago comme filet de sauvegarde ultime permettant aux États de faire continuer le trafic aérien entre le Royaume-Uni et l'Union européenne comme il existe aujourd'hui.
En conclusion, nous sommes raisonnablement optimistes. Nous souhaiterions rester aussi près que possible du régime actuel. Si ce n'est pas possible, nous pensons que nous trouverons une solution. Enfin, je pense qu'il est important que vous gardiez en tête que c'est plutôt un domaine dans lequel le Royaume-Uni est demandeur. Il peut servir de levier dans la négociation, sans qu'il y ait vraiment de risque sérieux, à notre sens, d'assister à un scénario catastrophique d'arrêt des services aériens.