M. Jacques, l'utilisation de robots sur le champ de bataille va sans doute se limiter, pour quelques décennies encore, à la conduite de certaines missions, je pense notamment au déminage ou encore au transport de blessés. Pour le reste, l'homme sera dans le robot – si l'on considère que les matériels demain, char ou avion par exemple, seront des robots, à savoir des machines embarquant un ordinateur et dotées d'une certaine autonomie –, et en gardera la maîtrise.
Va-t-on vers l'homme augmenté, c'est-à-dire le syncrétisme entre l'homme et la machine ? Très certainement, et on le voit déjà dans un certain nombre d'applications. La guerre des robots sera-t-elle forcément « meilleure » que celle d'aujourd'hui ? C'est une question que je ne trancherai pas maintenant. Davantage de civils seront peut-être épargnés. Grâce à l'intelligence artificielle, peut-être que les robots de demain éprouveront les mêmes sentiments que les humains : haine, jalousie, peur, qui peuvent d'ailleurs être à l'origine des conflits et des guerres. Nous sommes là face à des questions éminemment philosophiques.
Pour répondre à M. Larsonneur sur la vulnérabilité et la dépendance technologique : oui, cette dépendance est aujourd'hui majeure et nous devons être conscients que l'on retrouve chez nos rivaux comme chez nos alliés un écosystème qui produit une sorte de consanguinité entre l'armée et l'industrie numérique. Il s'agit d'un complexe « militaro-numérique ». Tel est le cas en Chine avec les BATX – pour Baidu, Alibaba, Tencent et Xcaomi – ou aux États-Unis avec les GAFA, auxquels on ajoute parfois un M pour Microsoft. La plupart des applications que nous retrouvons sur nos appareils numériques sont aujourd'hui issues de la recherche militaire et ces technologies sont par la suite transférées à l'industrie numérique. Celle-ci les développe et en fait des outils formidables grâce auxquels nous achetons nous-mêmes des millions de produits, qui génèrent des milliards d'euros de profit, qui sont ensuite réinvestis dans la recherche à vocation militaire. Nous l'avons par exemple constaté chez Amazon, qui gère le cloud computing pour la CIA et le Pentagone.
Il faut donc qu'au niveau national – ou européen, si l'on considère que la souveraineté doit s'exprimer à ce niveau – nous nous donnions les capacités et les moyens d'avoir nous aussi nos champions numériques. Il en va non seulement de notre capacité à continuer à combattre et à nous défendre – y compris face aux menaces hybrides –, mais également de notre souveraineté et du succès des armes de la France. À travers le numérique, nous ne faisons pas uniquement face à des enjeux de souveraineté militaire, nous sommes face à des choix philosophiques dont dépend pour partie l'avenir de notre humanité.