Intervention de Périco Légasse

Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 10h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Périco Légasse, journaliste :

Je vais mettre les pieds dans le plat : la « malbouffe » est un leurre. Il n'y a pas de mauvais outils, il n'y a que de mauvais ouvriers, dit l'adage que je trouve très vrai à tous les échelons de l'histoire. Il n'y a pas de mauvaise forme de restauration, tout dépend du contenu. C'est un progrès de pouvoir recourir à la restauration rapide même si ce n'est pas un mode d'alimentation majoritaire et systématique. L'industrie agroalimentaire a fait des progrès prodigieux. Le problème est que les financiers s'en emparent pour faire du profit. C'est vrai pour le nucléaire, pour tout.

Nous serons 6, 7, 10 milliards d'êtres humains. Nous ne pourrons pas, hélas, toujours passer une heure ou une heure et demie autour de la table à se nourrir de produits préparés à la maison. Il faut le faire le plus le plus souvent possible mais on ne peut pas rejeter ce qui existe. J'ai grand espoir qu'un jour McDonald's nous serve des sandwichs français avec du bon cochon et du bon boeuf, et du beaujolais-villages à la place du Coca Cola. J'en ai discuté avec le PDG de l'enseigne. Il a ri. Puis, il m'a dit que, finalement, mon idée n'était pas si bête mais qu'il aurait sans doute du mal à la faire passer au siège du groupe. Ce n'est donc pas pour tout de suite mais il m'a assuré que je serai encore vivant pour le voir.

Puisqu'il faut donner des consignes simples comme dans les campagnes électorales, la devise est : « Moins mais mieux ». Les gens m'interpellent souvent sur le mode : avec vos rétributions, vous avez les moyens de bien manger mais ce n'est pas le cas des démunis ! Pourtant, la vérité est que bien manger ne coûte pas cher alors que mal manger coûte très cher. Il ne faut pas s'en tenir au prix d'achat et calculer la valeur négative d'un produit. Une tranche de jambon sous cellophane provenant d'élevages industriels à 90 centimes est infiniment plus chère que la tranche à 1,40 ou 1,90 euro d'un cochon bio Fleury-Michon ou autre. Certaines marques font des porcs industriels bio qui sont d'une qualité très correcte et ces produits sont vendus sous le même conditionnement dans la grande distribution.

Ils pleurent d'être obligés d'aller acheter ces porcs bio au Danemark parce que la production française n'entre pas encore dans les tarifs demandés. Fleury-Michon et Nestlé – qui commercialise la marque Herta – ne désespèrent pas d'avoir un jour une production porcine industrielle française propre qui leur permette de proposer aux clients français du jambon industriel de qualité acceptable, même s'il ne remplacera jamais le jambon frais.

La démarche pédagogique et les mesures gouvernementales se heurtent à ce noyau perturbateur de la vie sociale que sont les centres commerciaux et les grandes surfaces. En ce moment, j'interroge des adolescents de douze à dix-sept ans. Quand j'étais petit, je voulais être Zorro, pompier ou chef d'orchestre. Eux, quand je leur demande quel est leur rêve, ils me répondent que c'est d'aller dans une grande surface, le week-end suivant, pour s'acheter tel tee-shirt ou tel gadget que l'on n'a pas pu leur offrir le samedi précédent. Ils passent des heures à regarder les vitrines comme nous le faisions autrefois au moment de Noël. Leur fantasme infantile n'est plus la conquête spatiale ni le chevalier au panache blanc, ils rêvent d'aller en grande surface.

L'autre jour, j'étais en Ille-et-Vilaine chez un éleveur de poulets. Arrive une classe de CM2, vingt-cinq adorables petits Rennais. Ils voient les volailles évoluer dans la campagne. Ils vont ensuite dans la boutique de la ferme et voient les volailles prêtes à vendre sur l'étal. Sur les vingt-cinq enfants, une seule petite fille a dit que c'était du poulet. Les autres avaient vu des bestioles vivantes à l'extérieur mais ils n'avaient pas fait le rapprochement avec ce qu'il y avait dans la boutique. Pour eux, viande de poulet est synonyme de nuggets ! Paradoxalement, les enfants urbains sont plus initiés que les enfants ruraux aux enjeux de la « malbouffe » et à l'importance de ce que l'on met dans son assiette.

Quand je demande à des adolescents ce qu'ils ont mangé au dîner de la veille, ils me citent des marques. Maman a fait un Vivagel ou un Findus et on a bu du Fanta. Si je leur demande ce qu'il y avait à l'intérieur de la boîte, l'un me répond que c'était du poisson alors que son petit frère m'assure que c'était du veau parce que c'était blanc et mou. Nous en sommes là. Nous avons atteint un analphabétisme total et une acculturation des masses au niveau de l'alimentation. Dans le pays de la gastronomie, une élite sait manger, une petite minorité se soucie de l'alimentation.

Cela évolue de façon gigantesque mais nous sommes encore dans des marges dérisoires. Tout le monde s'y met – agriculteurs, commerçants, associations –, notamment par le biais d'internet. C'est formidable, c'est une véritable révolution, mais nous sommes encore au bas de l'échelle. On ne va pas détruire les chaînes de restauration rapide, elles sont installées. Il faut faire comprendre aux capitalistes qui détiennent ces rouages que leur survie, leur argent et leurs futurs bénéfices sont en cause. Ils disent qu'ils veulent bien faire un effort. McDonald's se vante d'avoir de la viande française. L'offre évolue mais si la demande n'est pas préparée, initiée, cultivée, éclairée et éduquée, les efforts des industriels et des distributeurs n'auront pas de sens. Cette modification de la demande dépend d'une démarche politique nationale et de mesures gouvernementales.

Vous m'avez posé une question sur le véganisme. C'est une grande idée qui présente les risques d'excès de toutes les religions révélées. Combien de millions d'êtres humains a-t-on tués au nom de l'Évangile, le texte le plus formidable qui existe ? On tue au nom du Coran mais on ne tue pas au nom de la Torah. Quand une religion révélée affirme qu'elle est la seule à avoir raison, on bascule dans une forme de dogmatisme totalitaire. Cela s'est vérifié pour l'Église chrétienne, elle s'est réformée après des conciles. L'islam est confronté à cette situation, et nous avons de bonnes raisons d'espérer que les choses évoluent, même difficilement.

Les adeptes du véganisme considèrent que tout mangeur de viande est un infidèle et un impie, même s'ils ne le disent pas comme ça. Le week-end dernier, s'est produit le genre d'événement que je l'avais prédit : à Lille, un boucher et un poissonnier de quartier – pas les plus méchants de la grande distribution – ont été attaqués à la machette. Des médecins pratiquant des interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été tués par des opposants à l'avortement et des vétérinaires pratiquant la vivisection ont été tués par des défenseurs des animaux. Des végans, que je croyais être des gens apaisés et sereins, s'en sont pris physiquement et violemment à deux petits commerçants de quartier qui vendaient de la viande et du poisson. En bons voltairiens que nous sommes, nous donnerions notre vie pour que les végétariens puissent continuer à prêcher leur bonne parole.

Cela étant, nous mangeons effectivement trop de viande. Le changement de moeurs alimentaire passe par une diminution de notre consommation. Au lieu d'acheter six fois un morceau de viande infâme et nutritionnellement nul à 3 euros, provenant d'un élevage douteux de Pologne où les animaux sont élevés dans des conditions épouvantables, achetez trois fois un morceau de viande à 6 euros, provenant d'un élevage français d'animaux nourris à l'herbe. Sur la baisse de la consommation, je me bats avec les végétariens.

Mais l'être humain est omnivore. Il est hors de question de modifier le paysage de la France, ses bocages et zones d'élevage qui constituent notre identité nationale. Nous continuerons, de manière raisonnable, citoyenne et humaine, et dans le respect de la souffrance animale et de la rétribution des éleveurs, à consommer nos bonnes viandes de France, nos boeufs, nos vaches normandes, montbéliardes ou charolaises, nos agneaux, nos lapins, nos poules, nos volailles.

Depuis 1980, nous avons perdu 80 % du patrimoine agricole français en termes de variétés. Si ce n'est pas un génocide écologique ! Il en reste 20 %. Ne rêvons pas de rétablir le patrimoine perdu mais essayons au moins de sauver ce qui reste. Pour le sauver, nous allons changer nos comportements de consommateur.

S'agissant des restaurants que je recommande, je ne fais évidemment pas une inquisition préalable avant de m'y installer, je privilégie d'abord la qualité de la cuisine par rapport à la provenance des produits.

Je saute un peu du coq à l'âne, mais cela me rappelle le débat sur l'approvisionnement des cantines scolaires. J'ai tourné dans Nos enfants nous accuseront, un documentaire sur l'initiative du maire de Barjac, dans le Gard, de faire passer la cantine scolaire à l'alimentation biologique. L'agriculture biologique est une nécessité, il faut changer le mode de culture. J'ai évidemment soutenu Joël Labbé, sénateur du Morbihan, qui veut faire passer à 20 %, la part des produits bio utilisés dans les cantines.

Cependant, je privilégierai toujours une nourriture française, même si elle provient de l'agriculture conventionnelle ou raisonnée, à un produit bio provenant d'un pays étranger. C'est un vrai débat. Pour ma part, je donnerai toujours la priorité à mon agriculteur, tout en lui demandant de faire le plus d'efforts possible pour que cette nourriture soit saine. Elle sera donnée à des enfants. Je préfère un produit non bio mais propre à un produit dit bio mais importé.

Je ne fais pas de dogmatisme non plus en ce qui concerne les restaurants, mais je m'assure de la provenance des produits. À présent, beaucoup de restaurants affichent le nom de leurs fournisseurs. C'est formidable mais il faut s'assurer de la véracité de l'information. De plus en plus de restaurateurs privilégient un approvisionnement de proximité – dans la tendance locavore – et une agriculture respectueuse de l'environnement et de la santé. C'est une démarche qui témoigne d'une prise de conscience.

Dans son restaurant de luxe du Plaza Athénée, le grand cuisinier Alain Ducasse défend le concept de naturalité. À son avis, un grand chef de réputation internationale, à plus forte raison s'il est français et référencé dans le Guide Michelin, ne peut plus éluder certaines questions. D'où vient cet aliment ? Qui l'a produit ? Est-il sain ? A-t-il été produit dans des conditions qui respectent l'environnement ? Son producteur vit-il décemment de son travail ? Alain Ducasse prend ce type d'engagement dans son restaurant. Pour l'instant, il se limite aux céréales, au poisson et aux légumes car il n'a pas pu trouver une régularité dans la production de viande française. Il y a des ébauches et je l'aide à trouver des éleveurs qui puissent respecter son cahier des charges. Ce cuisinier, l'un des plus connus du monde, entraîne ses pairs dans le mouvement. Il s'agit de faire en sorte que tous les restaurateurs de France assument cette responsabilité politique de proposer à leurs clients des produits qui témoignent d'une certaine éthique économique, culturelle et environnementale. Tout cela va dans le bon sens.

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