Intervention de Périco Légasse

Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 10h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Périco Légasse, journaliste :

Merci, Richard. Après ce que je viens d'entendre, autant que je vise directement la présidence de la République plutôt qu'une circonscription ! (Sourires.)

Je pense cependant qu'il faut savoir rester à sa place et cultiver son jardin. Cela dit, pourquoi pas ? Ce serait une autre histoire, mais je me sens plus efficace aujourd'hui, avec les tribunes auxquelles j'ai accès, que si j'étais élu dans un parlement. Cela n'empêchera pas que, peut-être, un jour, je m'engage dans l'action publique. Lorsque j'aurais fini une partie de ma mission, je pourrais venir te rejoindre pour que nous passions de beaux moments au Parlement européen ou encore à l'Assemblée nationale.

Je le répète, il n'y a plus de problème d'offre. L'offre est consciente qu'elle doit changer, même si des gens font encore du très mauvais travail, et continuent à nous empoisonner ou à abîmer la planète. Je côtoie régulièrement les grands patrons de l'agroalimentaire, en particulier le PDG de Nestlé, pour savoir que la prise de conscience est totale, et qu'ils vont faire au plus vite pour réformer les choses. Ils ont un ennemi : la grande distribution. C'est Michel-Édouard Leclerc qui leur dit : « Moi je ne paierai pas plus cher. » Il explique, comme s'il était Robin des bois parlant aux pauvres : « Ils veulent vous saigner ; grâce à moi vous êtes défendus. » En fait, c'est : « Je vous vends du poison, et je ruine les agriculteurs, mais je protège votre pouvoir d'achat. » Voilà l'équation que les patrons de l'agroalimentaire doivent résoudre. Je crois que les États généraux de l'alimentation visaient également à rétablir un équilibre en la matière. J'ai l'impression qu'il y a désormais un peu d'eau dans le vin.

Par ailleurs, sachant que, depuis 1978 et 1988, les prix sont libres, je ne vois pas comment Bruxelles accepterait que l'on dise aux grands distributeurs : « Vous n'avez pas le droit de faire des marges ou des promotions. » Si des mesures sont prises par la représentation nationale, il faudra aller expliquer à Bruxelles comment on bouscule, d'une façon aussi violente, le libre-échange et la liberté du commerce, mais c'est un autre débat.

Si j'étais aujourd'hui législateur, quelles mesures prendrais-je ?

La première sera très polémique : c'est la préservation du patrimoine agricole. Tout ce que je vous ai dit ce matin n'a plus aucun sens si nous n'avons pas des paysans et des jardiniers pour nous offrir leurs produits qui respectent nos campagnes. Le partisan défend son pays, mais, aujourd'hui, c'est le paysan qui défend le mieux la France. Il n'y a pas plus patriotes que nos agriculteurs. Ils sont quelquefois égarés ou un petit peu déboussolés devant le système de production qu'on leur a vendu et imposé pendant quarante ans, par l'intermédiaire des consignes de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). La FNSEA évolue d'ailleurs aussi : Mme Christiane Lambert ne tient pas le même discours que celui de Luc Guyau dans les années 1990, ou celui du regretté Xavier Beulin dont l'ouvrage menait à une révolution culturelle.

Il y a des paysans plus initiés. Aujourd'hui, ceux qui vivent de leur travail en respectant la nature, et l'environnement vivent bien, ils sont riches, ils ont deux voitures, ils prennent des vacances. Le plus grand nombre de conversions vient du fait que le paysan conventionnel, dans sa tenue de cosmonaute, dans son tracteur, avec ces produits chimiques, voit celui qui vit aussi bien que lui, avec moitié moins de surface et plus de salariés.

Si j'avais une première mesure à prendre, je protégerai l'agriculture française. On m'a expliqué en haut lieu que c'était un doux rêve. J'ai utilisé le mot « protéger » et en passant aux vocables suivants, car qui dit protéger, dit « protection » et « protectionnisme », on m'a dit : « On arrête la conversation, ce mot est interdit aujourd'hui en Europe occidentale. » Il s'agit pourtant de protéger ; d'autres grandes nations le font. On me classe parmi les souverainistes, mais il faut bien comprendre que je suis favorable à l'économie de marché, qui n'est pas le libre-échange.

La vraie fracture a eu lieu lorsque la République a inscrit l'agriculture française au GATT. On a transformé l'agriculture française, dont la première vocation est de nourrir la nation, même s'il faut, bien entendu, à un moment donné, dégager des profits et entrer dans un système économique mondialisé. L'agriculture française n'est pas une industrie : elle ne fabrique pas des pinces à linge ou des clés à molette. Elle est la base de la nourriture nationale. Si l'on décide qu'elle devient un produit du commerce qui entre dans les normes du libre-échange à partir du GATT, on tue l'agriculture. Le reste a suivi et aujourd'hui le massacre est total.

Il faut repenser le système économique. Je suis contre les exceptions, mais il y a une exception à faire, car l'agriculture ne peut plus entrer dans les enjeux économiques conventionnels de la globalisation. Il faut protéger ces gens-là, car ils protègent la planète et nous donnent à manger. Ils sont essentiels. Lorsque 200 000 tonnes de litres de lait arrivent de Nouvelle-Zélande, si je suis M. Juncker, je ne consulte même pas M. Macron ou Mme Merkel, j'applique immédiatement 15 % de taxe : je protège les paysans européens.

Ce n'est pas une démarche franco-française. Nous avons fait le marché commun pour la préférence communautaire. Il y a trente ans, je me disais : « En 2018, qu'est-ce qu'on va s'emmerder ! Tout sera bien, l'Europe nous aura sauvés, l'euro nous aura sauvés, la paix sera mondiale, le problème du Proche-Orient sera résolu. » Je voyais 2018, comme l'année d'un bonheur plutôt ennuyeux et plan-plan. Tout devait aller bien. En fait, nous sommes dans une situation de cauchemar absolument inouïe : les institutions pour lesquelles nous avons voté, les idéaux pour lesquels nous nous sommes battus, tout ce en quoi nous avons cru, tout se délite sous nos yeux. Bien sûr, nous allons réagir. En tout cas, l'agriculture française doit échapper au libre-échange tel qu'il est conçu aujourd'hui.

C'est cela que je ferais si j'étais député, ministre ou le Chef de l'État, et quand je les vois, je les interpelle pour leur demander de sauver nos paysans. Sans eux, toutes les mesures prévues par les États généraux de l'alimentation seront vaines. L'agroalimentaire n'aura plus de matières premières à transformer et la grande distribution plus rien à distribuer. Je sais qu'il existe des programmes qui visent à remplacer l'alimentation par de la molécule, parce qu'un jour il risque de ne plus y avoir de paysans. Le programme INICON, subventionné par l'Union européenne, se développe dans un laboratoire allemand. Des machines nous donneraient à manger à la place des vaches et des champs.

Comme je dois conclure, nous garderons la troisième mesure pour une prochaine rencontre, mais la deuxième consisterait à faire que, dès la prochaine rentrée scolaire, le ministère de l'éducation nationale, redevenu ministère de l'instruction publique, fasse entrer dans les programmes scolaires des cours consacrés au goût à l'initiation sensorielle. Il faut le faire de façon urgente, comme on prendrait des mesures à l'égard des personnes fichées S. Aujourd'hui, il y a dans la République des entités au sein desquelles on n'apprend plus à vivre ensemble, on n'apprend plus à écrire et à compter, et on n'apprend pas encore à consommer. L'école de la République constitue le remède à tous les drames que vit la République : tout se résoudra à l'école. M. Borloo le dit, le problème de nos banlieues se résoudra dans une vraie école qui intègre qui émancipe et qui transmette des savoirs et des connaissances. Pour l'alimentation, c'est la même chose.

Vous reconnaîtrez que ces chantiers ne sont pas faciles. Ce n'est sans doute pas demain matin qu'ils seront mis en oeuvre.

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