Intervention de Naïma Moutchou

Réunion du mardi 22 mai 2018 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNaïma Moutchou, rapporteure de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Depuis le temps de la presse imprimée et de la loi fondatrice du 29 juillet 1881, depuis l'époque où seuls les journalistes portaient la parole publique, le monde a beaucoup évolué. Ce sont désormais des millions de Français qui peuvent, à tout moment, publier, diffuser des articles ou des écrits, réagir à l'actualité quasi instantanément. C'est, bien sûr, une extraordinaire avancée dans le débat démocratique. Mais c'est aussi un risque de voir les abus d'expression et les manipulations de l'esprit se multiplier.

J'ai beaucoup plaidé – au sens propre du terme, comme avocate – pour la liberté de la presse, pour la liberté d'expression. J'ai appris qu'il n'y a pas de vérité qui puisse s'imposer ; mais il existe des outils, dans la loi, qui nous permettent de garantir que chacun puisse s'exprimer librement, de la même manière que, la liberté d'expression ne permettant pas tout, il existe aussi des outils de répression venant sanctionner les dérives du langage.

Cet équilibre que nous avons su créer, nous nous devons de le préserver. II en va de ce que nous sommes, une grande démocratie, grande parce qu'elle proclame haut et fort que nous pouvons librement communiquer, sans crainte d'oppression, grande aussi parce qu'elle a pris conscience qu'il n'y a pas d'immunité en la matière.

Cet équilibre a été mis à mal, du moins est-il confronté depuis plusieurs années au phénomène des fausses informations. Certes, les rumeurs malveillantes ont existé de tout temps, mais leur propagation exponentielle est une nouveauté, et il est évident que ne pouvons plus lutter contre ce phénomène à la même échelle qu'auparavant. S'il y avait des limites hier, elles n'existent quasiment plus aujourd'hui, car internet n'a pas de frontières.

Or, le risque induit est des plus dangereux : la multiplication d'informations fausses mine la confiance des citoyens. Elle est même susceptible d'altérer leur jugement au moment de faire un choix crucial, au moment où s'exprime aussi la démocratie. C'est contre ces tentatives de déstabilisation que nous voulons lutter.

Ce n'est pas théorique, c'est bien une réalité, un enjeu d'actualité : les élections présidentielles américaine et française, le référendum sur le Brexit ou sur l'indépendance de la Catalogne sont autant d'exemples qui justifient, qui imposent que le législateur se saisisse du sujet.

Tous ceux qui ont été auditionnés, et ils sont nombreux – plus d'une cinquantaine de personnes : journalistes, opérateurs de plateformes, fournisseurs d'accès à internet, avocats, magistrats ou professeurs de droit –, affirment qu'il est nécessaire de lutter contre la diffusion des fausses informations.

C'est ce que nous faisons avec les deux propositions de loi qui vous seront soumises. Je le dis d'emblée, c'est un premier outil de travail que nous proposons et la loi, à elle seule, ne résoudra pas tout. D'autres instruments devront être mis en place ou renforcés, c'est indispensable pour parvenir à nos objectifs : il faut notamment une meilleure gouvernance de l'internet et une coordination à ce sujet au niveau européen et même international – nous y travaillons –, il faut aussi impliquer davantage la société civile, la sensibiliser aux règles de fonctionnement des réseaux sociaux.

En tant que législateur, nous devons prendre notre part au débat et à la réflexion. C'est tout l'objet des deux textes que nous allons examiner et dont j'évoquerai rapidement le contenu.

Je rappelle que la commission des Affaires culturelles et de l'Éducation nous a délégué, au fond, l'examen du titre Ier modifiant le code électoral – les articles 1 à 3 – et du titre IV relatif à l'outre-mer – l'article 10. La commission des Lois s'est également saisie pour avis du titre III – l'article 9.

À l'article 1er, nous vous soumettrons deux mesures phares devant s'appliquer pendant la période électorale. D'une part, nous proposons de renforcer les obligations de transparence financière imposées aux opérateurs de plateformes pour qu'ils rendent publique, au-delà d'un certain seuil, l'identité des annonceurs qui les ont rémunérées en contrepartie de la promotion de contenus d'information, outre la mention du montant de ces rémunérations.

D'autre part, une nouvelle voie de référé civil est créée, qui permettra de faire cesser la diffusion artificielle et massive de fausses informations de nature à altérer la sincérité d'un scrutin. Il s'agit de lutter contre les contenus sponsorisés et les systèmes robotisés, les « fermes à clics », qui véhiculent ces fausses informations et qui le feraient sciemment, en sachant que l'information est fausse. Ce ne sont donc pas, dans l'esprit de la loi, les journalistes de métier, professionnels et scrupuleux dans leur enquête qui sont visés, ni les contenus satiriques ou parodiques.

L'article 9, enfin, modernise les dispositions prévues par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, en étendant à la lutte contre les fausses informations les dispositifs prévus au titre du devoir de coopération des fournisseurs d'accès et des hébergeurs de contenus sur internet sur les infractions odieuses.

L'ensemble de ces leviers, auxquels s'ajouteront toutes les mesures proposées par mon collègue Bruno Studer, permettront de combattre avec efficacité la diffusion virale des fausses informations.

Cependant, à l'issue du travail que j'ai conduit, il me semble que certains points restent perfectibles. Sans remettre en cause l'équilibre de ce texte, des améliorations sont possibles. Je les présenterai demain sous la forme de plusieurs amendements, et je souhaite en évoquer quelques-unes avec vous.

Premièrement, des précisions doivent être apportées afin d'encadrer rigoureusement les dispositifs que nous souhaitons mettre en oeuvre. Par exemple, la délimitation des périodes électorales et la définition de ce qui constitue une fausse information doivent être utilement précisées.

Deuxièmement, les obligations de transparence financière renforcée ne concernent, en l'état du texte, que les plateformes. Madame la ministre, que pensez-vous d'une extension de ce dispositif aux annonceurs eux-mêmes, pour que soit dévoilée l'identité réelle de tous les acteurs participant directement ou indirectement à la promotion de contenus d'information ? Les internautes méritent de savoir ce qui est à l'origine de l'information qui leur est présentée, dans l'ordre où elle leur est présentée.

Troisièmement, la nouvelle voie de référé civil ouverte par l'article 1er appelle quelques éclaircissements. Les mesures susceptibles d'être prononcées par le juge des référés doivent notamment s'inscrire dans un objectif de proportionnalité. L'effet utile de cette procédure de référé conduit également à encadrer aussi bien les voies de recours et l'intérêt à agir que les modalités de saisine du tribunal compétent. Je formulerai à cet égard plusieurs propositions.

Quatrièmement, le devoir de coopération prévu à l'article 9 doit être revu : il ne peut pas se calquer par analogie sur ce que la loi pour la confiance dans l'économie numérique prévoit en matière de crimes odieux.

Comme vous le voyez, madame la ministre, nos préoccupations se rejoignent. Si les textes doivent être enrichis, je demeure absolument convaincue de toute leur nécessité comme de leur utilité, car ils ont vocation, non pas à remettre en cause l'ensemble de notre arsenal législatif mais à le compléter, en l'adaptant efficacement aux enjeux auxquels notre démocratie doit désormais faire face. Nous serons extrêmement soucieux de protéger cet équilibre fondamental.

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