Intervention de Brigitte Kuster

Réunion du mardi 22 mai 2018 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Kuster :

Avant de nous pencher sur le fond de la proposition de loi relative aux fausses informations, deux questions préalables devraient se poser à nous. Y a-t-il vraiment lieu de légiférer et, si tel est le cas, sommes-nous absolument certains que les bienfaits de la loi sont de très loin supérieurs aux dérives qu'elle est susceptible d'engendrer ? Par dérives, je veux parler d'atteintes à la liberté d'expression, à la liberté de commercer ou même à celle d'entreprendre, rien de moins.

À la première question, « faut-il légiférer ? », le groupe Les Républicains est bien entendu tenté de répondre oui. L'actualité récente, notamment aux États-Unis, a démontré que les élections majeures pouvaient faire l'objet de campagnes massives de désinformation, y compris émanant d'un pays étranger, au point, même si cela reste à prouver, de remettre en cause la sincérité des résultats. La clé de voûte et l'unique source de légitimité de la démocratie, ce sont les élections libres. Jeter le discrédit sur une élection, c'est risquer de voir la démocratie s'effondrer tel un château de cartes. Les enjeux, nous en sommes tous d'accord, sont donc considérables.

Bien sûr, en France, le droit positif n'est pas muet, s'agissant de la lutte contre la diffamation, l'injure, la provocation, mais, comme le Conseil d'État le précise dans son avis, la diffusion de fausses informations s'effectue désormais selon des logiques et des vecteurs nouveaux que la législation en vigueur ne parvient pas à appréhender dans toute leur diversité. Dans cette perspective, et dans cette perspective d'abord, la nécessité de légiférer semble donc s'imposer.

Cela étant, les vraies difficultés ne font que commencer. Sur quelle base juridique se fondent les nouvelles obligations imposées aux plateformes, des obligations qui vont jusqu'à constituer des restrictions à la libre expression des services de la société de l'information ? Le Conseil d'État invoque une notion inédite, celle de « raison impérieuse d'intérêt général », qu'il assortit de trois limites qui, pour l'une, apparaît d'ailleurs dans la proposition de loi mais en des termes différents, et pour les deux autres n'y figurent tout simplement pas, ce qui est pour nous regrettable.

Première limite : la durée durant laquelle s'exerce ce régime d'obligations et de contrôle. Le texte évoque un délai à compter de la publication du décret de convocation des électeurs et la fin des opérations de vote. Le Conseil d'État préfère lui substituer un délai plus précis de trois mois, ce qui semble en effet une mesure de bon sens.

Deuxième limite : la haute juridiction estime que la notion de fausses informations doit être rattachée à celle de « débat d'intérêt général », et ce afin de restreindre le champ d'application des obligations et d'éviter d'éventuelles atteintes à la liberté d'expression. Là encore, nous serions bien avisés de faire nôtre cette rédaction plus rigoureuse.

Troisième limite : le Conseil d'État souligne qu'en elle-même, la notion de fausse information ne révèle aucune intentionnalité. L'intention de nuire devrait pourtant être l'élément caractéristique de l'infraction, ce qui n'est pas le cas dans la proposition de loi. Il est donc indispensable, toujours dans un souci de respect de la liberté d'expression, que cette intention soit mentionnée expressément dans le texte.

Mais plus préoccupantes encore sont les observations du Conseil d'État s'agissant du nouveau référé, qui constitue pourtant le coeur de la réforme. D'après lui, la réponse du juge des référés, aussi rapide soit-elle, n'empêchera pas la propagation des fausses informations. Dès lors, la seule utilité du référé sera d'offrir aux candidats diffamés l'opportunité de se prévaloir d'une décision juridictionnelle pour répliquer dans le débat public. Peut-on se satisfaire d'un rôle aussi limité ? La position du Gouvernement, madame la ministre, sur ce point précis comme sur les trois que j'ai précédemment mentionnés, vous le comprendrez, est pour nous particulièrement importante et même essentielle.

De la même façon, je crois qu'il est indispensable d'être très attentif aux difficultés que risque de rencontrer le CSA aux différents stades d'intervention qui seront les siens. Qu'il s'agisse de son rôle en matière de refus de suspension ou de résiliation de conventionnement, le CSA est exposé à d'importantes difficultés, notamment en matière d'interprétation de la loi. Comment établir à la fois le caractère mensonger de l'information et l'intention de nuire ? Comment articuler les notions d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et de déstabilisation de ses institutions avec celle de l'altération de la sincérité du scrutin ? Comment assurer un contrôle le plus large possible en y intégrant des contenus diffusés par les filiales des plateformes ? Enfin, le CSA est-il capable d'assumer un nouveau mécanisme de conventionnement avec cette plateforme ? Le CSA est la cheville ouvrière de la réforme ; il est donc important et primordial de clarifier ses compétences.

En conclusion, il ne faut pas trop attendre de cette loi. Elle constitue sans doute une mise à niveau nécessaire de notre arsenal législatif face à un phénomène en plein essor mais elle ne peut en aucune manière être l'alpha et l'oméga de la lutte contre les désinformations.

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