Messieurs les présidents, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, c'est d'abord un très grand honneur pour moi de me retrouver devant vous. Cela me permet de vous rendre compte de l'évolution de notre entreprise et de la transformation qu'elle a engagée depuis plusieurs années, avant même mon mandat – depuis, en fait, une quinzaine d'années –, une transformation profonde qui touche sa raison d'être d'entreprise et qui concerne les quatre missions de service public que vous nous avez confiées par la loi.
Tout le monde connaît cette entreprise mais je voudrais donner quelques éléments de sa fiche d'identité. Le groupe réalise un chiffre d'affaires de 24 milliards d'euros, en progression de 3,5 %, et il compte 254 000 salariés, ce qui est une très bonne nouvelle car, pour la première fois depuis quinze ans, le nombre de salariés de l'ensemble du groupe – je ne parle pas simplement de La Poste –, est en croissance. Après avoir atteint un plus bas historique avec 251 000 salariés en 2016, nos effectifs croissent à nouveau en 2017, grâce à notre développement et nos acquisitions – pour un patron d'entreprise, la croissance des emplois est un très bon indicateur du développement et du succès de l'entreprise. Le groupe s'organise autour de cinq branches d'activité : la branche Services-Courrier-Colis, la plus connue de vous tous, celle qui opère le métier historique qui est le nôtre depuis plus de cinq siècles ; la branche GeoPost, dédiée à l'express et à l'international, et qui participe au développement de l'e-commerce sur la planète tout entière ; La Banque Postale, créée par une loi de 2005 ; le Réseau La Poste, avec ses 17 200 points de contact, ce qui montre que nous respectons l'obligation que vous nous avez faite de 17 000 points de contact ; la branche Numérique, qui développe les nouveaux métiers de La Poste.
La situation économique du groupe est bonne et les résultats de 2017 révèlent une croissance de 3,5 % du chiffre d'affaires. C'est remarquable, étant donné que chaque année qui commence voit La Poste elle-même perdre 560 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous allons retrouver ces chiffres, qui pèsent très lourdement, d'une autre manière. D'ici à la fin de l'année 2020, La Poste, les postières et les postiers, moi-même, nous devons trouver plus de 1,6 milliard d'euros de chiffre d'affaires, soit trois fois les 560 millions d'euros que nous perdons chaque année, pour les compenser. La croissance de notre chiffre d'affaires en 2017 prouve que nous avons été capables, par le développement de la banque, du colis, de l'international, des services numériques et des nouveaux services de compenser cette attrition qui menace le développement de notre entreprise. Le résultat d'exploitation lui-même croît de 3,5 % pour s'établir à 1 milliard d'euros. Cela s'est traduit d'ailleurs, ce n'est pas un détail, par une augmentation de l'intéressement versé à nos postiers, passé l'année dernière de 432 à 488 euros. Pour ces centaines de milliers de postiers, la progression de développement de notre groupe a donc eu une traduction pécuniaire.
La situation a l'air excellente, elle est bonne, elle est solide, mais... il y a des « mais », et ils sont très simples à comprendre. L'attrition du courrier se poursuit. Elle menace stratégiquement notre groupe et nous devons donc trouver dans nos activités actuelles et dans les activités de demain le relais de ces activités en attrition. C'est tout le coeur de notre problème stratégique, que vous voyez émerger dès le début de cette introduction : comment trouver dans nos activités actuelles et dans les activités que nous développons les relais de croissance qui viendront compenser l'attrition inéluctable, générale, mondiale, des volumes du courrier ? Quittons un instant le territoire français, où les volumes du courrier ont diminué de 6,7 % l'année dernière, entraînant cette perte de 560 millions d'euros de chiffre d'affaires : ils ont diminué de 3 %, un peu moins, donc, en Suisse, et de 15 %, beaucoup plus, au Danemark. Tandis que La Poste aura perdu en dix ans 46 % de ses volumes de courrier transporté, passant de 18 milliards à 10 milliards d'objets, au Danemark, ce sont trois quarts des volumes qui ont été perdus. Toute l'industrie postale est donc confrontée à ce questionnement stratégique.
Ce sera le deuxième point de cette introduction : que se passe-t-il ailleurs dans l'industrie postale ? Il est toujours très intéressant de regarder ce que les autres postes ont fait pour s'adapter à cet impact de la révolution numérique, d'autant que, dans tous les pays, les postes sont sinon le premier employeur du moins l'un des premiers employeurs. Parmi les postes européennes, nous distinguons trois situations et trois modèles industriels : des postes ont un modèle stabilisé et sont tirées d'affaire ; d'autres sont en déclin, et très menacées ; d'autres encore sont au milieu du gué, dont La Poste en France.
Trois modèles stratégiques se sont développés depuis vingt-huit ans que les postes se transforment.
L'un est purement logistique. C'est le modèle de la poste allemande. Il n'y a plus de banque postale en Allemagne, la banque postale appartient désormais à Deutsche Bank, et il n'y a plus de bureau de poste, puisqu'il n'y a plus de banque. Ce modèle purement logistique est stabilisé et fonctionne bien. La poste allemande est ainsi plus puissante que nous, réalisant un chiffre d'affaires de 60 milliards d'euros quand le nôtre est de 24 milliards d'euros.
Un deuxième modèle stratégique industriel est celui de la poste italienne, stabilisé également. C'est essentiellement une poste de services financiers, une grosse compagnie d'assurance vie, une moyenne banque, un peu de courrier et très peu de colis. Ce modèle très stabilisé gagne beaucoup d'argent, essentiellement grâce aux services financiers.
Et puis il y a un modèle mixte, multi-activités, qui est le nôtre, et celui des postes suisse, belge et japonaise, mais notre modèle n'est pas encore stabilisé.
Ce qui fait la différence entre les postes, la question stratégique essentielle, c'est le poids du courrier traditionnel dans le chiffre d'affaires, et c'est finalement assez logique. Combien pèse l'activité historique, en attrition, dans le chiffre d'affaires global des groupes ? Plus elle pèse, plus elle menace l'avenir du groupe ; moins elle pèse, plus on peut dire que la situation est stabilisée. Ce qui permet aux Allemands et aux Italiens, avec deux modèles industriels très différents, d'être plus sûrs de leur avenir que nous-mêmes, c'est que le courrier traditionnel ne pèse que 11 % du chiffre d'affaires de la poste italienne, c'est-à-dire très peu, et 14 % du chiffre d'affaires de la poste allemande. Chez nous, il pèse plus de 30 %. C'est la raison pour laquelle l'objectif stratégique n° 1 du plan « La Poste 2020 : Conquérir l'avenir » n'est pas un objectif de profit. Le profit est essentiel, mais l'objectif n° 1 est un objectif de diversification : amener le courrier traditionnel à un poids inférieur à 20 % du chiffre d'affaires, pour qu'il ne pèse pas sur l'avenir de notre groupe. Vous le voyez, cette conclusion stratégique, absolument essentielle pour notre avenir, est fondée sur notre histoire, notre développement, les choix que nous avons faits, les choix qu'ont permis l'État et le législateur mais également l'observation des autres postes en Europe.
Je vous ai parlé des postes stabilisées. Je veux vous parler de celles qui rencontrent de véritables difficultés. Un exemple, que je ne prends pas au hasard, en est la poste néerlandaise, première à se libéraliser dans les années 1990. Elle a vendu sa banque, elle n'a donc plus de banque, et elle vient de vendre à FedEx son activité de colis à l'international, TNT, cette marque orange – ce n'est pas un hasard aux Pays-Bas – que vous connaissez tous, et n'a donc plus d'espoir de croissance liée à l'international. Elle réalise donc 75 % de son chiffre d'affaires avec le courrier traditionnel... qui diminue de 11 % par an.
Cette diversité des situations est un formidable encouragement à l'esprit d'entreprise. Car si l'on prend son destin en main et c'est ce que les postiers et les postières ont décidé de faire, si l'on bénéficie du soutien de ses actionnaires et si l'on a des projets de développement, on peut transformer le modèle stratégique de La Poste, et c'est ce qui est au coeur de notre démarche collective. Nous l'avons fait avec une démarche participative. Celle-ci s'est traduite, à mon arrivée, par la participation de 150 000 des 220 000 postiers qui travaillaient en France à des groupes de travail de dix personnes sur l'avenir du groupe. La plupart de vos facteurs – j'emploie à dessein cette expression – ont été réunis par groupes de dix pour répondre aux mêmes questions : que sait faire le groupe ? Quel peut être son avenir ? En quoi avez-vous confiance ? Quelles vous paraissent être les menaces et les opportunités ?
C'est comme cela que nous avons construit notre plan stratégique de développement. Ensuite, nous l'avons partagé avec les managers, en réalisant un tour de France. Nous avons déjà réuni à deux reprises les 7 000 cadres supérieurs de notre groupe, dans le cadre d'un tour de France en neuf étapes. Chaque fois, nous avons réuni entre 300 et 1 000 personnes pour expliquer ce que nous étions en train de faire. Enfin, nous avons signé des accords sociaux absolument majeurs qui permettent cette transformation.
Je veux mettre en exergue devant vous l'accord sur les conditions de travail et les métiers des facteurs et de leurs encadrants. Signé en 2017 avec nos organisations syndicales et applicable puisque le syndicat qui a tenté de s'y opposer n'était pas majoritaire, cet accord est absolument historique : il est stipulé dans un contrat écrit que le métier de la lettre, métier traditionnel des facteurs, les salariés au coeur de notre groupe, qui sont 85 000 de nos 253 000 postiers, ne constituerait plus que moins de la moitié de leur activité en 2020. Or la plupart des facteurs ont été embauchés non pas simplement comme facteurs mais comme « facteurs lettres ». C'était le nom de leur métier et nous avons écrit, dans un contrat signé avec les organisations syndicales, qu'en 2020 plus de la moitié de leur temps de travail serait consacré à autre chose que la lettre : au colis, aux services à domicile. J'insiste sur ce point parce que c'est fondamental : les forces syndicales de l'entreprise et, au-delà, les postières et les postiers ont pris conscience de la nécessité de faire évoluer leur emploi et de passer du facteur lettres au facteur services, l'avenir de La Poste résidant dans les services – ce sera mon troisième et dernier point.
En fait, pour assurer, dans le cadre que j'ai décrit, l'avenir d'une très grande entreprise, il faut une vision partagée. Notre vision, pas simplement celle du président-directeur général de l'entreprise qui s'exprime devant vous aujourd'hui mais celle de La Poste, des postières et des postiers, c'est que nous sommes en train de construire, au-delà de la lettre qui était notre mission historique mais qui est en attrition, la première entreprise française, et sans doute européenne, de services de proximité humaine.
Considérant les besoins de la société, les besoins économiques, les besoins solvables, nous pensons profondément que le vieillissement de la population et la numérisation de la société engendrent des besoins de proximité humaine auxquels nos postières et nos postiers sont particulièrement bien armés pour répondre parce qu'ils ont la confiance de millions de personnes tous les jours, parce qu'ils ont une connaissance exceptionnelle du territoire et parce qu'ils ont un vrai lien de proximité, sur la totalité du territoire. Nous pensons donc réellement que ces services de proximité qui s'appellent lettres, colis et visites à domicile, mais également les services numériques de La Poste, peuvent faire l'avenir de notre grande entreprise, même si le courrier, déjà entré en attrition, va doucement disparaître – le plus doucement possible, je l'espère.
Voilà le pari que nous faisons. Comment construire cet avenir ? À partir de cinq vagues de croissance. Puisque nous faisons face à la vague de l'attrition du courrier, avec bientôt 50 % de volume en moins, de 18 milliards d'objets en 2008 à 10 milliards cette année et à 9 milliards l'année prochaine, il nous faut construire notre avenir sur des vagues de croissance. Il en est qui soutiennent les revenus futurs et actuels de La Poste.
La première est évidemment l'e-commerce, dont vous êtes tous, mesdames et messieurs les députés, comme moi-même, clients. L'e-commerce implique, après l'acte d'achat et le paiement, une livraison. Cette livraison, nous en sommes le leader en France et nous en sommes devenus le leader en Europe. C'est un fait peu connu : aujourd'hui, en Europe, la première entreprise de livraison de colis aux particuliers n'est pas notre rivale, que nous venons de détrôner, Deutsche Post DHL, c'est la poste française, à travers La Poste en France et sa filiale GeoPost partout en Europe. Si vous vous promenez dans les rues de Londres, vous y verrez nos véhicules rouges et blancs, ornés du sigle DPD : nous y sommes le numéro deux, derrière Royal Mail, de la livraison de colis. Nous sommes le numéro deux en Espagne – à Barcelone, vous verrez notre filiale SEUR. En Russie, avec notre filiale DPD Russia, nous sommes numéro deux. En Pologne, avec DPD Poland, nous sommes également numéro deux. Nous avons donc une force de distribution du colis partout en Europe et notre chiffre d'affaires en la matière dépassera 7 milliards d'euros, alors qu'il était de 1 milliard d'euros il y a quinze ans. Nous nous préparons à cette attrition du courrier, d'une part avec le colis depuis quinze ans, d'autre part avec la banque depuis presque quinze ans. L'attrition est plus rapide que nous le prévoyions, mais cette vague de croissance de l'e-commerce est fondamentale.
La deuxième vague de croissance est la logistique urbaine, et cela concernera les élus des grandes villes. Le développement de l'e-commerce asphyxie doucement les métropoles : les volumes de colis se multiplient, donc les livraisons se multiplient, donc il y a, au coeur des métropoles, de plus en plus de véhicules de livraison. De même que le transport public de personnes a été régulé et organisé, il faudra réguler la livraison des marchandises. Nous sommes un acteur majeur de ce nouveau marché.
La troisième vague de croissance, le troisième marché de croissance, est la bancassurance. Notre banque s'est développée à partir de la loi de 2005. Ce n'est pas encore une banque complète, et elle a besoin de compléter son offre. Nous y travaillons.
La quatrième vague de croissance tient au vieillissement de la population. La phrase, que je répète souvent, peut faire sourire : le vieillissement de la population est une chance pour La Poste. Il engendre des besoins de service et de proximité auxquels les femmes et les hommes de La Poste et nos réseaux sont capables de répondre.
La dernière vague de croissance tient aux besoins numériques. Je bénéficie au moment où je vous en parle de la campagne de pré-marketing faite pour nous par l'entreprise Cambridge Analytica. Elle a montré qu'avec Facebook la protection des données était un sujet pour tout le monde. Lorsque j'évoquais cette question il y a trois ans, on se demandait de quoi je parlais. La protection des données privées, des données intimes – la vie familiale, les données de santé –, est un enjeu majeur de notre société. Nous pensons, nous, postiers, que La Poste, qui a été un acteur de confiance, un tiers de confiance majeur dans la société physique, peut devenir un acteur, un tiers de confiance de la société numérique – nous faisons tout pour cela. Nous avons ainsi développé un produit : le coffre-fort digital, qui permet de conserver vos données au secret postal. Cela veut dire que nous ne les utiliserons pas comme Cambridge Analytica. Nous ne les vendrons pas si vous ne nous autorisez pas explicitement à les vendre ou à les partager et, dans quatre-vingts ans, lorsque les GAFA auront été démantelés par les régulateurs et que vous courrez le cas échéant après les informations que vous leur aviez laissées, La Poste sera toujours là pour livrer à vos enfants et à vos petits-enfants les données qu'elles auront maintenues. Je le dis avec le sourire, mais l'enjeu de la sécurité numérique est un enjeu majeur pour nos sociétés. Le scandale Cambridge Analytica me permet d'être plus convaincant en vous montrant que c'est un enjeu économique et un enjeu de souveraineté nationale majeure. Vous avez l'outil pour y répondre et nous avons des propositions pour y répondre.
e-commerce, bancassurance, logistique urbaine, vieillissement de la population, services numériques : La Poste est une entreprise-solutions, non seulement pour les Français, mais pour les territoires et pour l'État.
Vous connaissez notre investissement dans les territoires. En 2011, lors de la crise financière des banques, nous avons créé une banque des collectivités locales. Je vous donnerai deux chiffres qui s'imposent par leur clarté, leur puissance : zéro euro de crédit aux collectivités locales en 2011, 6,5 milliards en 2016, avec une part de marché de 25 %. Lorsque les collectivités locales ont eu besoin de leur banque publique, nous l'avons fabriquée à partir de rien, puisque nous n'avions pas ce savoir-faire, et nous avons construit une banque qui est devenue leader du financement des collectivités locales.
Nous avons également créé, notamment en nous fondant sur un rapport de votre commission des finances et dans le délai qui nous était imparti par l'accord que nous avions passé avec le Gouvernement, 500 maisons de services au public (MSAP) sur la totalité du territoire, et nous travaillons, à la fois avec l'Association des maires de France (AMF) et l'État, pour préparer un nouveau mouvement de création de ces maisons de services au public, qui tienne compte à la fois des habitudes des citoyens et des clients, lesquelles passent moins dans les lieux physiques, et des besoins de proximité et de lutte contre l'exclusion numérique.
Voilà donc le projet de notre entreprise. Les postiers et les postières font les efforts nécessaires pour développer leur groupe, ils font les efforts nécessaires, par pression sur les effectifs, pour contrôler ses coûts. Ils ont besoin, mesdames et messieurs les députés, du soutien de toutes les institutions de la République et du soutien leurs actionnaires, car nous ne pourrons pas continuer ce développement sans un apport de fonds propres : nous sommes une entreprise, nous sommes une société anonyme, nous avons un capital et lorsqu'une entreprise a un capital, elle a besoin d'augmentations de capital. L'avenir du développement suppose donc que nos actionnaires nous fassent confiance et nous apportent les moyens de poursuivre cette transformation du modèle stratégique de La Poste.
Bien sûr, la situation en 2017 est bonne et solide, mais nous n'avons pas encore transformé le modèle stratégique de La Poste. N'y voyez pas une fausse modestie – nous sommes très fiers de ce que nous avons fait –, mais, tant que le courrier traditionnel représentera plus de 20 % de notre chiffre d'affaires, ce sera une épée de Damoclès stratégique au-dessus de nous-mêmes et des services que vous nous avez confiés.