Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, présenté en conseil des ministres le 27 avril dernier, constitue une réponse pragmatique aux bouleversements du marché du travail et, plus particulièrement, aux changements rapides de la nature même des emplois aujourd'hui occupés par nos concitoyens. Le défi est de taille : dans les dix prochaines années, 50 % des emplois existant actuellement auront changé, 10 % à 20 % des emplois seront complètement nouveaux et une part équivalente est susceptible de disparaître.
Armer les actifs pour leur permettre de s'adapter à ces nouveaux métiers et à ces nouveaux types de carrières constitue une priorité. Le PDG de La Poste, M. Wahl, vient de nous en donner la démonstration : lorsque les métiers changent, l'enjeu principal devient la formation.
Pour ce faire, le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis s'articule autour d'un triptyque qui allie la volonté d'investir massivement dans les compétences et la formation professionnelle, de protéger les plus fragiles en garantissant une assurance chômage plus universelle et plus juste, et enfin de favoriser l'emploi pour tous.
La commission des affaires économiques a choisi de s'intéresser à sept des 66 articles du projet de loi, qui composent deux blocs distincts.
Le premier bloc concerne le contrat et l'aide à l'apprentissage : articles 7 à 9 et 12. Le second porte sur le financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage : articles 17 à 19.
À ce propos, certains amendements déposés par des membres de la commission n'ont pu être rattachés aux articles compris dans la saisine et ont dû être déclarés irrecevables. J'invite bien évidemment nos collègues concernés par ces irrecevabilités à redéposer leurs amendements en commission des affaires sociales ou en séance publique.
L'appréciation générale que je porte sur les articles que j'ai eus à examiner est extrêmement favorable et fait écho à la satisfaction des acteurs du monde économique que j'ai eu l'occasion d'auditionner. Tous ont affirmé, à quelques réserves près, que le projet de loi allait dans le bon sens et répondait à des demandes depuis longtemps exprimées par les employeurs, les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
Cette appréciation se vérifie particulièrement en ce qui concerne l'apprentissage qui constitue en France un paradoxe : bien que l'alternance soit perçue comme une voie d'excellence favorisant de manière spectaculaire l'insertion professionnelle des jeunes, le nombre de contrats signés ne cesse de diminuer, particulièrement dans le cas des jeunes préparant des diplômes équivalant aux niveaux IV et V.
Or, la France se caractérise par un taux de chômage de 24 % des moins de 25 ans en 2016, 17 % des 15-29 ans n'étaient, en 2015, ni en emploi, ni en étude. Devant ce constat inquiétant, l'apprentissage offre une voie facilitant l'insertion des jeunes dans le monde du travail puisque dans les sept mois suivant la fin du contrat d'apprentissage, 70 % des apprentis trouvent un emploi, dont 60 % en contrat à durée indéterminée (CDI). Il importait donc de lever les obstacles à l'embauche d'apprentis.
Ainsi, l'article 7 du projet de loi remplace la procédure d'enregistrement du contrat d'apprentissage auprès des chambres consulaires, trop lourde et trop longue, par un simple dépôt auprès de l'opérateur de compétences.
L'article 8 tend à adapter les conditions d'exécution du contrat aux réalités de la vie de l'entreprise. La durée maximale de travail hebdomadaire est portée à 40 heures, des dérogations à la durée maximale de travail quotidienne, qui font l'objet de contrôle et de compensation, sont autorisées. Le projet de loi ouvre davantage l'accès à l'apprentissage en repoussant le plafond d'âge, actuellement fixé à 25 ans, à 29 ans révolus.
Si l'apprentissage constitue une voie de réussite jusqu'à l'âge de 29 ans, il me paraîtrait judicieux d'ouvrir son accès au-delà de cet âge, aux chômeurs de longue durée quel que soit leur âge. Je proposerai un amendement demandant l'expérimentation de cette mesure.
L'article 9 simplifie les conditions de rupture des contrats d'apprentissage. Le recours systématique aux prud'hommes, jugé trop lourd, est remplacé par une procédure de licenciement de droit commun dans trois cas bien définis : la faute lourde, l'inaptitude constatée par le médecin du travail et l'exclusion définitive du jeune de son centre de formation. La démission du jeune est symétriquement rendue possible avec l'appui d'un médiateur consulaire.
Enfin, la concertation de 2017 avait souligné l'inefficacité et l'illisibilité du système d'aides publiques destinées aux employeurs d'apprentis. L'article 12 du projet de loi substitue à ce dispositif complexe une aide unique, destinée aux TPE et PME et concentrée sur les contrats conclus avec des jeunes préparant un diplôme équivalent au plus au baccalauréat, car c'est là que se concentrent les besoins.
Je considère cette unification et ce ciblage de l'aide comme particulièrement pertinents.
Toutefois, je m'interroge sur le sort réservé aux primes prévues pour les employeurs d'apprentis travailleurs handicapés.
L'actuelle rédaction de l'article 12 semble induire une suppression pure et simple de cette prime, valorisée en 2018 à un million d'euros. Il sera donc utile de savoir si une compensation d'une autre nature pour ces employeurs favorables à l'inclusion est prévue.
Le deuxième volet des travaux que j'ai menés porte sur les articles 17 à 19 relatifs au financement de la formation professionnelle et de l'alternance. La ministre du travail, Mme Muriel Pénicaud, a décrit la réforme comme une « révolution copernicienne », ce qui est bien le cas.
Le système administré essentiellement par l'État et les régions va se transformer en un système dans lequel les branches professionnelles et les entreprises jouent enfin un rôle central. Je salue la pertinence de changement, conforté par la comparaison internationale : dans des pays où l'apprentissage fonctionne, notamment l'Allemagne pour citer l'exemple le plus connu, ce sont bien les branches qui pilotent le système.
Les articles 17 et 18 procèdent à une simplification très opportune.
Les actuelles contributions pour la formation professionnelle continue et la taxe d'apprentissage sont fusionnées en une contribution unique dont le taux variera en fonction de la taille des entreprises. Elle sera recouvrée par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF).
Une part de cette contribution sera versée à l'agence France compétences pour le financement de la formation professionnelle et le solde reviendra au financement de l'alternance, via les opérateurs de compétences et France compétences. La part destinée à la formation professionnelle financera le conseil en évolution professionnelle et le développement des compétences ainsi que la formation des demandeurs d'emploi et au financement de compte personnel de formation (CPF).
Quant à la part consacrée au financement de l'alternance, elle sera versée aux opérateurs de compétences et à l'agence France compétences pour la péréquation des fonds dédiés à l'alternance, le financement du versement aux régions prévu à l'article 15 du projet de loi et le financement du conseil en évolution professionnelle des actifs occupés du secteur privé décrit à l'article 16.
À cette contribution s'ajoutent trois autres contributions, qui sont détaillées dans le rapport.
Dans ce nouveau schéma, les opérateurs de compétences (OPCOM), qui remplacent les actuels organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), jouent un rôle majeur. Au service des branches, les opérateurs de compétences sont restructurés autour d'une logique de filières économique cohérente. Ils sont déchargés de leur mission de collecteur, et sont désormais principalement chargés du financement des contrats d'apprentissage et de professionnalisation, du soutien technique aux branches dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Le défi est donc de taille pour ces organismes, qui vont devoir achever très vite une véritable mue impliquant simultanément une restructuration du réseau, un changement de mission et une modification de périmètre. Il importe donc d'être extrêmement attentifs à cette transformation sur le succès de laquelle repose l'efficacité des dispositifs prévus dans ce projet de loi.
Cette nouvelle architecture a le mérite d'identifier clairement un objet à un financement et de simplifier, en fusionnant la taxe d'apprentissage et la contribution pour la formation professionnelle continue, un circuit de financement auparavant trop complexe. Cette mesure de simplification en levant les freins ne peut qu'inciter les employeurs à développer les compétences de leurs apprentis et salariés.
Néanmoins, cette modification simultanée des taux, des assiettes, des modalités de collecte et de l'affectation de ces contributions, si elle est souhaitable, doit être progressive, comme le prévoit le projet de loi qui procède par palier sur une période courant de 2019 à 2024. Les enjeux de cette transition sont évidemment cruciaux et il faudra y être particulièrement attentif. Certains acteurs ont ainsi fait part de leur inquiétude, dans différents domaines, concernant notamment les centres de formation d'apprentis (CFA) aujourd'hui financés en partie par les régions, et demain au contrat. Ce « coût unique » sera déterminé par les branches et financé par les opérateurs de compétences. Toutefois, les éléments qui le composent ne sont pas clairement définis à ce jour.
Le passage d'un financement à l'autre, au 1er janvier 2020, suscite à juste titre chez les acteurs de l'apprentissage une certaine appréhension.
La « révolution copernicienne » commence donc, et sa réussite dépend de la bonne gestion de la transition d'un système à l'autre, de la capacité des branches et des entreprises à se saisir des opportunités et des défis qui leur sont proposés.
Les articles 7 à 9, 12 et 17 à 19 du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel apportent une réponse adaptée et satisfaisante aux enjeux du marché du travail de demain. Ce texte constitue une réponse pragmatique et volontariste aux inquiétudes de nos contemporains face à ces mutations technologiques, organisationnelles et professionnelles. Il importe d'armer nos concitoyens en leur permettant d'accéder aux compétences dont ils auront besoin demain ; tâche immense à laquelle ce projet de loi s'attelle avec audace et réalisme.