Intervention de Frédérique Sachwald

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Frédérique Sachwald, directrice de l'Observatoire des sciences et techniques (OST) :

– La présentation de notre étude sur la position scientifique de la France dans le monde s'organise autour de cinq axes : une contribution à la caractérisation et à l'évaluation de la production scientifique de la France ; les dimensions de l'analyse ; les poids et l'impact scientifiques de la France ; la discipline mathématique par domaine de recherche et par corpus ; enfin, une conclusion et un approfondissement du sujet.

Il nous a semblé particulièrement pertinent de diffuser un document sur la position scientifique de la France. En effet, il n'existe aucun rapport récent consacré à la mesure de notre production scientifique, au-delà des informations régulièrement publiées par l'OST. Certes, des données relatives à la France sont disponibles dans des rapports d'indicateurs produits par des pays étrangers ou des instances internationales comme l'Union européenne ou l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais elles ne peuvent être aussi complètes que celles figurant dans un document produit par un organisme français. Les données du présent rapport ont ainsi vocation à être utilisées comme repères internationaux pour des analyses institutionnelles à l'instar de celles du projet d'indicateurs de production des établissements de recherche universitaire (IPERU) ou de l'Hcéres. Elles complèteront utilement les classements des universités et en matière d'innovation, fondés sur des indicateurs synthétiques dans lesquels figure la production scientifique afin de mesurer les interactions entre performances en innovation et recherche.

L'OST, comme l'indiquait Michel Cosnard, détient de nombreuses données issues des brevets et des publications scientifiques. Il a fallu choisir des axes d'étude à partir des lauréats des prix scientifiques (Nobel et prix en mathématiques) et des publications, puis les classer par pays, par disciplines (onze) et par domaines (deux-cent-cinquante) ainsi que par indicateurs, le tout pour la période 2000-2015.

Deux grands types d'indicateurs sont utilisés pour distinguer un pays : ceux qui incluent la taille du pays et ceux qui sont corrigés de la taille. Cette distinction semble basique mais elle est importante et peut s'appliquer en tout point.

Le rapport s'intéresse aussi aux dépenses en matière de recherche publique. On peut y trouver le poids mondial de la France dans ce domaine et en examiner l'intensité par rapport au PIB.

En termes de publications, on trouvera des indicateurs de volume mais aussi des indicateurs de spécialisation, afin de déterminer dans quelle mesure la France y consacre une part relativement importante par rapport à d'autres pays ou à la moyenne mondiale.

Les indicateurs d'impact ou de qualité de la production doivent être corrigés pour être comparables entre disciplines et entre pays. Ils sont donc indépendants de la taille du pays. Le rapport prend également en compte la propension à co-publier, y compris à l'international.

J'en viens aux types de données et aux référentiels. Un premier chapitre fournit des statistiques de référence sur treize pays : le PIB, le PIB par habitant, les dépenses de recherche, les publications, les prix Nobel, etc. Il donne à la fois la valeur de l'indicateur et le classement des pays. Le reste du rapport s'appuie sur les données de publications issues de la base OST et sur les prix internationaux.

Dans le chapitre général sur la production scientifique mondiale, vingt à quarante pays sont examinés. Sont également pris en compte les lauréats scientifiques entre 1994 et 2017. Le troisième chapitre, qui est spécifiquement consacré à la France, s'appuie sur un référentiel pays : ont été choisis les pays avec lesquels la France souhaite se comparer plus précisément. Le dernier chapitre, consacré aux mathématiques, rassemble les données de publications et des lauréats des prix qui ont publié au cours de la période 2000-2015. La France est comparée à seize autres pays, différents du chapitre précédent, car l'accent est essentiellement mis sur les mathématiques. Des entretiens avec des mathématiciens complètent ce chapitre.

Quant à la position de la France, notre étude comprend un graphique général qui montre l'évolution de la production en nombre de publications des vingt premiers pays publiants. Dans plus de 50 % des cas, les publications françaises sont écrites en co-publication avec des chercheurs étrangers, ce qui a une incidence sur le mode de calcul. Ainsi, pour une co-publication franco-allemande, on compte 0,5 pour la France et 0,5 pour l'Allemagne. Ce faisant, il s'agit de ne pas biaiser les comparaisons.

Le nombre de publications entre 2000 et 2015 sur l'ensemble du monde est passé de 800 000 publications annuelles à 1,8 million, soit une multiplication par un peu plus de 2. Ce taux de croissance est très différent selon les pays. La Chine a énormément augmenté sa production durant cette période et son rang a changé : au début des années 2000, elle est passée devant un certain nombre de pays européens, dont la France, et le Japon ; elle est désormais le deuxième producteur mondial.

La France est passée de 41 000 publications annuelles en 2000 à 57 000 en 2015. Pourtant, elle a rétrogradé de la cinquième à la septième position car l'Inde, à l'instar de la Chine, l'a supplantée. En 2015, la France et l'Italie sont au même niveau de production ; la Corée du Sud se trouve juste derrière, avec une dynamique toutefois plus forte.

Deux phénomènes complémentaires importants apparaissent. Le Japon régresse dans le classement : sa publication fléchit, tout comme la qualité de sa production. Aujourd'hui, le Japon est dépassé par la Chine, à la fois qualitativement et quantitativement. La Russie recule également. Elle a perdu beaucoup de chercheurs et sa production scientifique a été un peu désorganisée, même si l'on constate un redémarrage de la production depuis le début des années 2010.

J'en viens à la spécialisation par grandes disciplines. L'indice de spécialisation d'un pays correspond à la part d'une discipline dans le total de ses publications.

Pour ce qui concerne les mathématiques, la part de la France est de 70 % plus importante que la moyenne mondiale. La physique, les sciences de l'univers et l'informatique se trouvent à peu près au même niveau. En revanche, en biologie fondamentale-recherche médicale, sa spécialisation est très faible, la France se situant dans la moyenne mondiale. En chimie, en biologie appliquée-écologie et en sciences sociales, elle n'est pas spécialisée.

Le profil des États-Unis est sensiblement différent, avec une forte spécialisation en sciences humaines et en sciences sociales, mais aussi en sciences médicales et en biologie fondamentale. Nos graphiques permettent d'élaborer des comparaisons internationales.

On constate une très forte progression de la Chine, dont la production atteint près de 20 % de la production de la publication mondiale. La dynamique de la Chine a un impact non négligeable sur la composition disciplinaire de la production scientifique mondiale et sur la spécialisation des pays. La Chine est spécialisée en chimie et en sciences pour l'ingénieur, ce qui rend automatiquement les autres pays moins spécialisés dans ces matières. C'est vrai à la fois en dynamique et à l'instant t. C'est l'inverse pour les sciences humaines et sociales.

L'Allemagne a un profil très compact ; c'est une caractéristique du système de recherche allemand. Le profil anglais est, quant à lui, proche du profil américain, avec moins de force sur le médical.

Un mot de la diversité au sein des sciences humaines et sociales. Si la moyenne mondiale est à 1, la France est à 0,97 en sciences humaines et à 0,58 en sciences sociales. En sciences humaines, la France apparaît spécialisée en lettres, en histoire, mais peu spécialisée en psychologie, ce qui peut sembler étonnant puisqu'elle produit beaucoup d'articles dans cette discipline. En sciences sociales, la France est peu spécialisée, sauf en sciences économiques, ce qui constitue une évolution depuis le début des années 2000. Elle se retrouve au même niveau que les États-Unis, grands pays des sciences économiques.

Les indicateurs d'impact permettent de connaître la part mondiale des pays qui publient. Les États-Unis et la Chine sont, bien évidemment, en tête et la France figure en huitième position parmi les vingt premiers pays publiants.

L'indice d'impact permet de connaître le nombre de citations par publication d'un pays, corrigé par ce même ratio à l'échelon mondial. On voit très clairement qu'il n'y a pas de corrélation entre le nombre de publications et l'impact : le positionnement est différent en termes de taille et d'impact. La Suisse, les Pays-Bas, les États-Unis, la Grande-Bretagne se trouvent à plus de 20 % au-dessus de la moyenne mondiale, la France et l'Italie étant à moins de 10 % au-dessus. La Chine est à 0,85, c'est-à-dire à 15 % en dessous de la moyenne mondiale, mais elle devance le Japon.

Si l'on s'intéresse au centile des publications les plus citées au monde, qui est en somme un critère d'excellence, on constate la présence d'un certain nombre de petits pays européens, comme le Danemark, et de pays émergents. La France se situe entre le onzième et le quinzième rang mondial, selon le nombre de pays recensés.

Pour les mathématiques, il a été décidé de réaliser plusieurs corpus de publications pour déterminer si cela modifiait les résultats. Il a donc été procédé à une analyse par domaine de recherche.

Il s'agit de définir l'impact des publications à cinq ans par domaine des mathématiques. On dénombre trois domaines de recherche : les mathématiques fondamentales, les mathématiques appliquées, les statistiques et probabilités. L'application interdisciplinaire des mathématiques, qui constitue le quatrième domaine, ne figure pas sur le graphique car cela représente peu de publications à l'échelle mondiale.

En mathématiques fondamentales, la France est 15 % au-dessus de la moyenne mondiale. En revanche, dans les autres domaines, l'impact des publications françaises est beaucoup plus faible.

Que conclure de ces analyses sur les mathématiques ? La France apparaît spécialisée dans tous les domaines des mathématiques. Sa part de publications est élevée dans les quatre domaines mais ses performances en termes d'impact sont tirées par les mathématiques fondamentales.

En revanche, plus le corpus est centré sur les mathématiques fondamentales, plus il est sélectif, plus la France est représentée. Dans l'ensemble des mathématiques, la France produit un peu plus de 6 % des publications mondiales.

Dans les corpus spécifiques, comme la France a relativement beaucoup de primés, sa part dans la publication des primés est élevée mais elle est très concentrée sur les mathématiques fondamentales. L'impact des publications françaises des primés est très élevé par rapport aux publications françaises mais il n'est pas plus élevé que celui des primés américains ou belges.

Dans le domaine de recherche des statistiques et probabilités, l'impact de la France est assez faible. Néanmoins, il faudrait distinguer les statistiques des probabilités : les résultats seraient sans doute différents. La France est plutôt mieux positionnée en probabilités qu'en statistiques ; quand on agrège les deux, cela a tendance à détériorer la performance. Néanmoins, la statistique est aujourd'hui une discipline importante, notamment au regard de l'intelligence artificielle, du big data...

En conclusion, la position de la France est similaire en matière de recherche, d'une part, et d'innovation, d'autre part, si l'on s'appuie sur des indicateurs qualitatifs. Elle se situe au quinzième ou seizième rang à l'échelon mondial.

La production scientifique française semble moins dynamique que celle d'autres pays européens, en particulier l'Italie ou l'Espagne, en termes d'évolution de la production, de spécialisation et de co-publications (sur ce dernier point, la France n'a pas énormément évolué depuis l'explosion de la Chine).

Enfin, il faut prêter une attention particulière aux grains d'analyse, c'est-à-dire au niveau de détail auquel on descend en sciences humaines et sociales et en mathématiques. Il faut travailler à des grains plus fins.

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