Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du mercredi 28 mars 2018 à 16h30
Commission des affaires européennes

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, c'est un plaisir pour moi de vous retrouver pour échanger sur les résultats du Conseil européen. Je vous remercie de tenir cette séance à huis clos, ce qui nous permettra d'en dire plus, au moment où l'Union européenne est face à des défis : celui des États-Unis qui ont pris des mesures commerciales unilatérales, la tentative d'assassinat de citoyens britanniques à Salisbury, ou les agissements de la Turquie en mer Egée. Dans des trois cas, l'Union européenne a réussi à faire preuve de son unité, comme les Vingt-Sept l'ont fait dans les négociations du Brexit.

Plusieurs réunions se sont succédé. Je commence par celle du Conseil européen proprement dit, qui s'est tenue le jeudi 22 mars dans l'après-midi. Alors que la Commission et le Parlement sont dans la dernière année pleine de leur mandat, les conclusions du Conseil permettent de donner une impulsion politique afin de faire aboutir une série de mesures législatives relatives au marché intérieur européen : sur le numérique, sur les données, - beaucoup reste à faire –, sur l'énergie – beaucoup a été fait – ou le marché des capitaux. C'est en renforçant le marché intérieur européen, premier marché solvable au monde, que l'Union sera la mieux placée pour orienter les règles du jeu sur le plan international.

Je tiens à souligner que le Conseil a soutenu notre approche d'une Europe qui protège, en abordant de façon positive quatre domaines sensibles sur lesquels le point d'équilibre européen évolue en notre faveur.

Tout d'abord, le Conseil a fait mention d'une « forte politique industrielle européenne ». C'est une priorité pour nous, mais longtemps cela n'allait pas de soi ; aujourd'hui l'attente dans ce domaine est mieux partagée.

S'agissant du commerce, nous avons obtenu que, dans ses conclusions, le Conseil demande à la Commission d'examiner comment faire mettre en oeuvre les engagements pris par les pays tiers. Ce texte lance aussi, comme nous le souhaitions, un appel aux co-législateurs pour mieux contrôler les investissements et trouver un meilleur équilibre notamment sur l'ouverture des marchés publics. Le Président de la République a rappelé également qu'il n'était pas souhaitable de passer des accords commerciaux avec des pays qui ne sont pas signataires de l'accord de Paris sur le climat.

Sur l'Europe sociale, le Conseil européen a appelé à la mise en oeuvre de la déclaration de Göteborg pour assurer une convergence sociale par le haut. Comme nous le souhaitions – mais cela n'a pas été facile à obtenir – il cite explicitement dans ses conclusions le projet d'Autorité européenne du travail.

Enfin, sur le climat, le Conseil européen a demandé à la Commission de proposer une stratégie de long terme reflétant l'accord de Paris. Actuellement le cadre européen va jusqu'en 2030 ; nous devons nous projeter jusqu'en 2050, voire au-delà.

Naturellement, les chefs d'État et de gouvernement ont concentré leurs discussions sur la façon de réagir à la décision des États-Unis d'augmenter les droits de douane sur les importations d'aluminium et d'acier. Le Conseil européen a regretté cette décision ; il a pris note de l'exemption temporaire dont bénéficie l'Union et a rappelé que celle-ci devrait bénéficier d'une exemption permanente. En effet, les raisons de sécurité nationale invoquées par les États-Unis ne peuvent s'appliquer à des alliés et l'Union n'est pas responsable du problème réel qui est la surproduction d'acier au niveau mondial. Cet échange a permis que l'Union européenne reste unie pour refuser de s'engager dans la spirale d'une guerre commerciale mais en même temps pour affirmer qu'elle ne sera pas la variable d'ajustement du commerce international, comme l'a dit le Président de la République. Nous soutenons la volonté de la Commission de dialoguer avec nos partenaires américains, dans le respect des normes de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), tout en disant clairement qu'il ne s'agit pas là d'une négociation commerciale.

Par ailleurs, les chefs d'État et de gouvernement ont poursuivi leurs échanges sur la refondation de l'Europe. S'agissant de la fiscalité du numérique, la Commission a rendu publique le 21 mars sa proposition d'imposer aux « GAFA », les grands acteurs du numérique en Europe, une taxe de 3 % sur les revenus générés par leur activité dans l'Union. Les premiers échanges à ce propos ont été encourageants. Certes, certains États membres, notamment les Pays-Bas et le Luxembourg, demeurent réticents ; mais chacun admet que la situation actuelle n'est pas satisfaisante et un nombre important de participants ont plaidé avec la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne pour que l'Union européenne agisse sans attendre une solution globale, plus ambitieuse certes, mais plus difficile à atteindre. Le Conseil y reviendra dès sa réunion de juin. C'est donc là un sujet sur lequel nous sommes très engagés. Les choses bougent alors que l'Union ne s'était pas empressée de s'en emparer l'année dernière, comme le faisait remarquer Bruno Le Maire lors de la séance de questions au gouvernement.

Le vendredi 23 au matin, les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement ont tenu une réunion au format de l'article 50 du Traité. D'abord, le Conseil a dressé un état des lieux de la négociation de l'accord de retrait du Royaume-Uni. Il a pu ainsi saluer les progrès importants obtenus par les négociateurs sur le règlement financier, les droits des citoyens et la mise en place de la période de transition. Sur ce dernier point, nos grands principes sont respectés, qu'il s'agisse de la limitation dans le temps, avec un accord sur la date du 31 décembre 2020, de la pleine application de l'acquis dynamique ou de l'impossibilité pour le Royaume-Uni de continuer à participer au processus de décision européen.

Mais le Conseil insiste aussi dans ses conclusions – et c'était indispensable – sur le principe selon lequel il n'y a d'accord sur rien tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout. En effet, il reste des points importants à trancher ou à préciser d'ici l'automne. C'est le cas notamment de la gouvernance de l'accord, ce qui porte sur le rôle de la Cour de Justice de l'Union, et la question irlandaise. Sur ce dernier point, les négociateurs se sont mis d'accord sur l'idée qu'a minima on organise un rapprochement réglementaire entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Mme May a repris ce point dans une lettre officielle. Il y a donc là une évolution de la position britannique, qui reste à confirmer et à préciser. Il faudra que les négociateurs européens continuent dans les prochaines semaines à utiliser la volonté britannique de conclure définitivement sur la transition pour expliciter ce qui reste incomplet dans l'accord de retrait. On ne pourra pas reporter éternellement la clarification sur la frontière irlandaise, sur laquelle les progrès sont extrêmement lents.

Les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement ont également adopté les lignes directrices qui guideront le négociateur européen s'agissant du cadre général des relations futures entre Union européenne et Royaume-Uni. Nous souhaitons préserver une approche d'ensemble cohérente : bien sûr, nous préférerions que les Britanniques restent dans le marché unique ou dans l'union douanière. Mais cela supposerait qu'ils acceptent les quatre libertés ou qu'ils renoncent à passer librement leurs propres accords commerciaux. Étant donné ce qu'est la position britannique actuellement, le seul modèle possible pour l'Union européenne est celui d'un accord de libre-échange, respectant l'équilibre entre les droits et les obligations qui s'y rattachent. Cela implique notamment que dans certains domaines, comme les services financiers, l'Union prenne des mesures autonomes, ce que précise par ailleurs un texte adopté par le Conseil « Affaires générales ».

Sur d'autres thèmes comme la coopération policière et judiciaire ou la politique étrangère, des accords spécifiques pourront être conclus tout en insistant sur la nécessité de ne pas remettre en cause l'autonomie du processus de décision de l'Union européenne.

J'en viens au sommet de la zone euro, qui a réuni, comme nous l'avions demandé, dix-neuf chefs d'État et de gouvernement le vendredi matin. La France défend une approche ambitieuse, qui consiste à avancer à court terme sur l'union des marchés de capitaux et sur l'union bancaire, notamment en ce qui concerne la mise en place d'un filet de sécurité commun, mais aussi en allant vers une zone euro plus responsable et solidaire, via la création, à plus long terme, d'une capacité budgétaire propre pour maintenir les investissements en cas de crise et une meilleure stabilisation macro-économique, permettant une plus grande convergence des économies. France et Allemagne sont très investies sur ces questions, comme l'ont montré la visite de la Chancelière à Paris le 16 mars et la conférence de presse commune du président Macron et de Mme Merkel à l'issue du sommet européen. Ils ont rappelé leur objectif de faire des propositions conjointes pour parvenir à une feuille de route au Conseil européen de juin, et ont prévu de se revoir une fois, voire deux, d'ici cette date.

Ce sommet a permis de relancer une dynamique. Tous reconnaissent la nécessité de renforcer la zone euro, mais la manière et le rythme pour le faire ne sont pas encore clarifiés. Notre partenaire allemand s'est engagé à travailler pour présenter une position commune avec nous en juin.

Durant le dîner, les chefs d'État et de gouvernement ont longuement évoqué les questions internationales de voisinage et d'élargissement, et se sont, en particulier, beaucoup concertés sur les suites à apporter à l'attaque de Salisbury. Ils ont exprimé toute leur solidarité avec le Royaume-Uni, rappelé qu'il n'y avait pas d'autre explication alternative que la responsabilité de la Russie et décidé que les États membres allaient apporter une réponse coordonnée. Le lundi 27 mars, la France a notifié aux autorités russes sa décision d'expulser du territoire français quatre personnels russes sous statut diplomatique, dans un délai d'une semaine. Actuellement, dix-neuf États membres ont fait de même, Royaume-Uni compris, soit au total 58 personnels russes expulsés. C'est une réaction sans précédent par son ampleur, car jamais des pays non directement concernés sur leur territoire n'avaient pris ce type de mesures, et c'est donc, finalement, une manifestation de solidarité sans précédent.

Sur les Balkans occidentaux, notre préoccupation était de bien distinguer ce qui relève du processus d'élargissement, qui doit rester exigeant, et l'appui qui doit être apporté à ces pays, sous la forme d'un « agenda positif », qui sera l'enjeu du Sommet du 17 mai prochain à Sofia.

Enfin, les dirigeants européens ont tenu à envoyer, juste avant le sommet de Varna, qui devait suivre de près le Conseil, un message de fermeté à la Turquie, réaffirmant leur « pleine solidarité avec Chypre et la Grèce » et leur préoccupation au sujet des ressortissants européens détenus en Turquie, dont deux soldats grecs. Ce sommet de Varna n'a permis aucune avancée dans les discussions avec la Turquie.

Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos observations et questions.

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