Intervention de Christophe Naegelen

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 10h20
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Naegelen, rapporteur d'information :

Je tenais moi aussi à remercier M. Ludovic Mendes, pour le travail commun que nous avons fait ensemble, en tant que co-rapporteurs. Nous sommes d'accord presque sur tout, mais je vais maintenant aborder les points qui me tiennent le plus à coeur.

Je tiens à faire valoir une position tout à fait équilibrée au sujet de l'Espace Schengen et vis-à-vis du principe de libre circulation des personnes à l'intérieur de cet espace. Je suis profondément européen, mais il n'est pas antithétique d'affirmer que le territoire Européen n'est pas un espace uniquement tourné vers un projet européen idéaliste. Au contraire, l'Union européenne est l'association de plusieurs pays, riches de leurs traditions et de leurs cultures spécifiques. Nous pouvons nous affirmer Européens, sans oublier que nous sommes d'abord ancrés dans une Nation et soucieux de préserver la sécurité de nos concitoyens. Ensemble, nous sommes incontestablement plus forts pour faire face aux menaces transnationales de la criminalité organisée ou du terrorisme ou encore pour organiser nos économies au sein d'un grand marché de 550 millions de consommateurs.

En revanche, les États membres doivent rester libres de définir les meilleurs moyens pour assurer la sécurité publique sur leur territoire national. Comment peut-on considérer que la sécurité de la Grèce par exemple, territoire constitué de plus de 4 000 îles au milieu de la Méditerranée et à proximité du Moyen Orient, peut être comparée à la situation de la Pologne qui est un État continental, sans phénomène connu de grande criminalité ou de trafic d'armes ?

De même, en termes de menaces, la situation de la France est très différente de l'Allemagne, du fait de son positionnement géographique, de l'existence d'un État fédéral d'un côté et centralisé de l'autre et d'une implication différente sur le terrain des opérations extérieures, comme au Sahel par exemple.

Si l'Union européenne peut apporter des outils efficaces à la lutte anti-terroriste, chaque État membre doit rester libre de déterminer avec quelles armes il combat une menace qui le touche directement.

Je le dis d'emblée, je pense que l'Union européenne a été trop laxiste et a longtemps vécu dans le déni des menaces terroristes ou de l'importance de la criminalité transfrontalière comme on le constate avec la prolifération des réseaux de passeurs qui organisent des filières pour acheminer en Europe des migrants clandestins, au péril de la vie de ces personnes.

L'Espace Schengen doit se réformer et renforcer son volet sécuritaire. C'est une construction qui a été progressive et il est donc indispensable que l'Espace Schengen s'adapte lorsqu'il est confronté à de nouveaux phénomènes. La pression migratoire et les attaques terroristes constituent des menaces inédites par leur ampleur, il faut donc mettre en oeuvre sans tarder les réformes déjà décidées et accélérer l'adoption des projets de réforme actuellement en cours de discussion au sein des institutions européennes.

Félicitons nous des nouvelles missions attribuées à l'Agence Frontex depuis l'adoption du nouveau Règlement européen relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, de septembre 2016, mais constatons aussi que les États membres ne remplissent toujours pas leurs engagements pour mettre à disposition de cette Agence les garde-frontières et surtout les équipements techniques pour la constitution des réserves de réaction rapide. Au 1er janvier 2018 par exemple, seuls 14 États membres contribuaient au parc d'équipement. Ce sont souvent les mêmes États qui déplorent le manque d'efficacité de l'Union européenne, mais qui tardent aussi à tenir leurs engagements européens.

Après m'être rendu au siège de l'Agence Frontex, en décembre 2017, je peux témoigner de la forte implication de son équipe de direction pour faire de cette Agence un instrument opérationnel de la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne. Cette agence connaît une forte montée en puissance puisqu'elle va passer de 380 agents en début 2017 à plus de 1 000 personnes à l'horizon 2020, sans compter les 5 000 garde-frontières que les États membres peuvent mettre à disposition de l'Agence et qui sont mobilisables en quelques jours pour apporter leurs concours dans les hotspots, ou pour la surveillance maritime en Méditerranée.

Cette Agence exerce de nouvelles missions pour analyser les risques de vulnérabilités dans la gestion des frontières de chaque État membre et elle pourra faire des recommandations pour que l'État défaillant concerné modifie sa politique de gestion des frontières. Cette nouvelle compétence qui nécessite un recueil de données méthodique auprès de chaque État membre n'est pas encore pleinement opérationnelle, mais elle représentera un progrès majeur si elle permet à l'Union de mieux détecter les faiblesses des États membres dans leur capacité à faire face à une nouvelle crise migratoire. À terme, il serait souhaitable que Frontex devienne l'autorité européenne responsable d'un véritable corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, mais cette évolution doit se faire par étapes car certains États membres ne sont pas prêts aujourd'hui à renoncer à leur souveraineté en matière d'organisation de leurs forces de sécurité.

Lors de la mise en place de l'Espace Schengen, on a confondu la totale liberté de circulation avec l'absence de contrôle. La liberté de circulation est bénéfique, mais ne doit pas aller sans contrôle. Les contrôles aléatoires sont le meilleur moyen pour faire face à la criminalité transfrontalière, aux candidats aux voyages à visée terroriste ou aux réseaux de passeurs de migrants. Il faut faire en sorte que quelqu'un qui veut traverser l'Espace Schengen et qui a déjà passé un premier contrôle à la frontière extérieure puisse en trouver un deuxième, voire plusieurs, à tout moment lors de ses déplacements.

C'est pourquoi je plaide aussi pour un renforcement de la coopération policière entre États membres pour parvenir à disposer de davantage d'informations sur les personnes ayant un profil terroriste ou de délinquant de droit commun et aussi sur la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières nationales, sans que la procédure de rétablissement ne soit trop complexe.

Il me paraît tout à fait indispensable que la France maintienne les contrôles aux frontières nationales, mise en place depuis le 13 novembre 2015, sur le fondement de l'Article 25 du Code frontières Schengen, c'est à dire en raison de menaces graves pour la sécurité intérieure, même si le délai maximal de deux ans est aujourd'hui dépassé. La Commission européenne a d'ailleurs présenté un nouveau projet de règlement pour revoir les règles relatives à la réintroduction des contrôles aux frontières nationales en septembre 2017. Le texte proposé comporte des contraintes procédurales beaucoup trop fortes, mais il représente un progrès néanmoins car la durée maximale pourrait être portée à 3 ans. L'objectif ne doit pas être de prolonger les contrôles indéfiniment, mais d'apporter une réponse exceptionnelle à une situation exceptionnelle. Cette proposition rejoint la position des ministres français et allemand de l'intérieur, qui ont appelé, le 20 février 2017 dans une lettre commune, à une telle révision : même si les négociations s'annoncent difficiles entre les autorités européennes, il est indispensable que ce texte soit adopté dans des délais rapides.

En conclusion, la libre circulation des personnes et des marchandises est au coeur de la construction européenne, mais il faut résolument armer l'Espace Schengen pour le rendre plus solide face aux menaces. Laissons faire à l'Union européenne ce pour quoi elle est vraiment efficace et laissons aussi aux États membres la responsabilité de leur sécurité intérieure. Oui à plus d'Europe pour parvenir à améliorer et rendre interopérables les systèmes d'information grâce à une interface de recherche unique au niveau européen. Oui à plus d'Europe pour une coopération policière efficace, grâce à une Agence Europol renforcée. Donnons-nous les moyens financiers et humains pour assumer pleinement le fonctionnement optimal de l'Espace Schengen.

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