Madame la présidente, le sujet des nouvelles adhésions à la zone euro est un sujet controversé. Permettez-moi de fixer un cadre très clair. D'abord, la zone euro n'est pas un club fermé ; elle a vocation à être un jour l'Europe entière. Voilà ce que disent nos traités, quand ils affirment que l'euro est la monnaie des Européens. À l'exclusion du Danemark, qui a obtenu à son bénéfice une clause de sauvegarde ou opt-out, tous les États membres de l'Union européenne ont vocation à entrer dans la zone euro.
Pour que cela arrive, des critères doivent être respectés, car des règles s'appliquent. C'est pourquoi vous constaterez avec intérêt, madame la présidente, que, dans les documents que nous avons adoptés hier se trouve également un rapport de convergence de la Commission et un autre de la BCE. Il y est dit que nous sommes en mesure de procéder dans le futur à un élargissement de la zone euro et que les candidatures à l'entrée sont légitimes.
Lorsque, à Sofia, je me suis prononcé sur la Bulgarie, qui préside pour ce semestre l'Union européenne, j'ai dit qu'elle était probablement le prochain pays de la zone euro. Mais je n'ai pas dit quand. Pour la Bulgarie, comme pour la Croatie ou pour tous les autres pays, il est important de savoir que, tout en gardant la porte ouverte – car l'union monétaire est un club ouvert qui a vocation à être ouvert à l'Europe entière – nous tirons les enseignements de la crise, notamment de son déroulement en Grèce. Nous voulons donc éviter la précipitation.
L'élargissement n'est pas une fin en soi. Il faut faire en sorte que cet élargissement ait lieu le moment venu, de façon ordonnée et réussie. Il ne saurait constituer une déstabilisation de la zone euro dans son ensemble, ni un choc pour les pays eux-mêmes concernés. C'est pourquoi j'aborde cette perspective avec l'esprit ouvert, mais aussi avec beaucoup de réalisme et une prudence de bon sens, qu'il s'agisse de la Bulgarie, de la Croatie ou d'autres pays. Car nous nous fixons pour perspective que la zone euro soit prête à accueillir tout le monde en 2025. Cela ne signifie pas que tous les États membres y participeront obligatoirement, l'adhésion étant un processus volontaire. Nous ne forcerons personne à y entrer, mais nous adoptons une perspective délibérément inclusive, celle qui a présidé à la création de la zone euro et qui doit, à mon sens, continuer à l'animer.
J'en viens aux problèmes, ou questions, budgétaires français.
D'abord, s'agissant de la règle des 3 %, je suis conscient de ce que, dans la zone euro, nous devons être capables de répondre à des chocs asymétriques. Nous allons proposer fin mai une fonction de stabilisation à cette fin. Il est indispensable de traiter le problème. Pour autant, je continue de penser que les règles budgétaires du two-pack ou du six-pack, sans être gravées dans le marbre, constituent un cadre assez robuste. Au fond, elles poursuivent en effet une logique, celle de la maîtrise de la dette publique.
En effet, la dette publique est l'ennemie de l'économie. Que vous soyez de gauche ou de droite, voici un facteur commun à vos politiques : un pays qui s'endette est un pays qui s'affaiblit. Quand les taux remontent, quand le cycle s'inverse, quand le service de la dette devient à nouveau un des premiers postes de dépenses de l'État, c'est le reste des services publics qui en pâtit. Voilà la philosophie du pacte de stabilité et de croissance. Il n'est pas intangible : on peut le simplifier, le rendre plus intelligent et plus flexible, comme je m'y suis efforcé, par un effort d'interprétation. Mais il faudra réfléchir à ce que pourrait être un autre cadre avant de renoncer à améliorer celui-ci et à vivre avec lui. Il a en effet sa robustesse et sa pertinence.
Monsieur Bricout, vous m'avez interrogé sur les efforts encore à faire. Je pense que le combat sur les 3 % est un combat d'arrière-garde. À mes yeux, l'effort structurel ne correspond pas à je ne sais quel dommage fait aux services publics, ni à je ne sais quelle politique d'austérité, mais à une meilleure qualité de la dépense publique. Sur ce point, nous avons assurément des marges de manoeuvre. Dans un entretien accordé à un quotidien économique français ce matin, j'évoquais ce point. Il faut élever le niveau du débat sur l'évaluation de la qualité de la dépense publique. Le travail que vous faites ici, en lien avec des institutions publiques telles que la Cour des comptes, est tout à fait décisif. Nous devons mener ce débat de manière sereine et non idéologique. Oui, il y a des marges de manoeuvre. Mais nous devons procéder de la façon la plus intelligente possible.
En tout cas, le statu quo n'est pas la bonne réponse. On ne saurait considérer qu'une fois passé sous 3 %, les efforts sont finis. Non ! Quand la dette publique s'élève à 97 % du PIB, on doit persévérer. Il faut ainsi réfléchir à une application des règles dans la durée.
D'autres questions portaient sur l'Italie. Je reviendrai devant vous aux étapes cruciales du cycle budgétaire européen. Le prochain rendez-vous aura donc lieu quand seront examinés les avant-projets de budget. Nous pourrons alors reparler de l'Italie. Aujourd'hui, je refuse formellement de spéculer sur les décisions du futur gouvernement. Je refuse totalement de me prononcer sur des annonces. Certes, je peux avoir mes opinions comme citoyen et je ne serais électeur ni de la Ligue du Nord ni du Mouvement cinq étoiles si j'étais Italien. Comme citoyen, certaines évolutions peuvent m'interroger ; comme responsable, certains chiffrages peuvent m'inquiéter.
Mais, le moment venu, les investisseurs, comme la Commission, se feront un avis sur la base des faits et des actes. Il est important de les attendre. Le projet de loi de finances pour 2019 sera un moment important en Italie. Il devra fatalement s'inscrire dans le cadre de nos règles. Nous mènerons donc aussi une discussion sur ce point à ce moment-là. Mon attention et ma vigilance se concentrent sur la dette publique. Ce n'est pas une obsession. Mais je sais que la crise financière est venue de l'accumulation des dettes. Le désendettement doit donc être une perspective positive pour l'ensemble de nos économies.
J'en viens au projet de budget de l'Union européenne. Mme de Montchalin me lira sans doute : il est vrai que nous avons proposé un calendrier rapide. C'était notre responsabilité institutionnelle. On n'aurait pas compris que la Commission actuelle ne propose pas de projet de budget pour l'Union européenne. Cela dit, le rythme des discussions sera décidé de manière démocratique.
À vrai dire, je peux comprendre les deux raisonnements. Dans le premier, le Parlement européen d'aujourd'hui approuverait le projet de budget et le Conseil l'adopterait rapidement. Dans le deuxième, on considère qu'il est préférable d'attendre les prochaines élections européennes. Il ne nous revient pas de trancher entre les deux. Il y a sans doute une logique politique qui incline à penser que le deuxième pourrait l'emporter. Mais les propositions de la Commission sont désormais sur la table.
Mesdames et messieurs les députés, ne les regardez pas de manière caricaturale ! Certains éléments sont discutables, certains autres sont assurément positifs, et vont d'ailleurs dans le sens des orientations françaises : un budget à 1,11 % du PIB européen, et non 1 % comme le souhaitaient certains pays de l'Union européenne, voilà qui n'est pas négatif ; les crédits alloués à Erasmus sont doublés ; une politique de défense européenne dotée de moyens consistants voit le jour, puisque son budget est multiplié par 22 dans nos perspectives ; la politique migratoire met l'accent tant sur l'accueil que sur la sécurité des frontières ; les fonds d'investissement sont développés…
Mais comment concilier des priorités nouvelles dans un cadre forcément restreint, au moment où le Royaume-Uni nous quitte et en respectant les politiques traditionnelles ? Sur la PAC, je suis lié par un devoir de solidarité comme membre du collège des commissaires, même si je suis aussi le commissaire français. Les fondamentaux de la PAC sont préservés, tandis que les objectifs de la PAC restent les mêmes : elle doit garantir un filet de sécurité aux agriculteurs et assurer la souveraineté alimentaire. Chacun sait cependant que le statu quo n'est pas possible.
Cela étant, je peux comprendre qu'il y ait une sensibilité particulière sur ce sujet, dans ce pays et dans d'autres, je peux entendre certains arguments. Mais le débat ne fait que commencer. Les décisions seront prises au Conseil et au Parlement européen. Les propositions de la Commission ne sont justement que cela, bien qu'elles prennent aussi en compte un impératif de réforme qui ne saurait être négligé.
La lutte contre la fraude et l'évasion fiscale constitue assurément pour moi une priorité majeure. Permettez-moi de revenir d'abord sur la distinction entre fraude fiscale, évasion fiscale, optimisation fiscale, planification fiscale agressive. Quand j'ai dit qu'il n'y a pas de paradis fiscal au sein de l'Union européenne, c'est parce que c'est en effet le cas au sens des institutions internationales. Mais il y a des pratiques de planification fiscale agressive. Voilà ce à quoi je m'attaque dans les propositions que j'ai présentées hier.
Quant à la taxe sur les transactions financières, elle n'est pas morte. Mais je constate que cela fait cinq ans que la coopération existe, une réunion devant encore avoir lieu ce soir. Si les États membres le veulent, ils peuvent le faire demain.
La taxe sur le secteur numérique et le projet de directive ACCIS constituent pour moi des priorités absolues. Je souhaite que ces dossiers aboutissent avant la fin 2018. La convergence fiscale est un objectif que nous devons poursuivre à travers ces réformes structurelles que sont précisément l'ACCIS et la refonte d'un régime de TVA.
Quant à la gestion des listes noires, elle constitue à mes yeux un processus dynamique. En effet, je ne peux me contenter d'engagements. Je souhaite que nous vérifiions plutôt s'ils sont respectés. En fonction de ce paramètre, les pays sortiront de toute liste ou bien passeront de la liste grise à la liste noire ou encore de la liste noire à la liste grise. C'est un processus dynamique. J'attends des États membres qu'ils prennent des sanctions, dès lors que l'Union européenne a défini les siennes.
Il est très important que la réforme de l'UEM aille à son terme.
S'agissant de l'Iran, l'Union européenne regrette la décision de Donald Trump. L'accord qu'il a dénoncé est d'abord nécessaire pour la sécurité de la région ; ce n'est pas un accord bilatéral auquel un seul pays pourrait mettre fin unilatéralement. Nous regrettons et nous condamnons les mesures extraterritoriales adoptées par les États-Unis. C'est pourquoi nous avons présenté l'arsenal de réponses dont nous disposons. Nous devons maintenant le mettre en oeuvre pour montrer que nous avons nos propres exigences, à savoir le maintien de l'accord et des garanties pour nos entreprises. Mais sera-ce suffisant ?
Plusieurs d'entre vous m'ont posé des questions sur les accords commerciaux. Une discussion est en cours au Conseil à ce sujet. Je ne vois pas d'engagement idéologique en faveur d'accords se renfermant dans le champ de la compétence exclusive de l'Union européenne, ou accords EU-only n'étant pas soumis à l'examen des parlements nationaux.
Au contraire, les parlements nationaux sont de plus en plus concernés par cette discussion. Mais il y a une distinction qui s'opère entre des accords plus légers et d'autres accords plus lourds, adoptés en suivant des filières plus ou moins rapides.
Je continue de penser que le libre-échange est un atout pour nos économies. Mais celui-ci doit être très maîtrisé. Il ne peut y avoir, à l'avenir, d'accords commerciaux ne tenant pas compte des impératifs de préservation de l'agriculture, de la santé, de l'environnement. Un contrôle démocratique doit s'exercer. Voilà dans quel sens nous pouvons continuer d'avancer, en adoptant une approche exigeante et citoyenne – j'y suis personnellement très attaché.
Quant à la défense européenne, son temps est venu. La Commission européenne le prend en compte dans son projet de budget.
Pardon d'avoir été si bref. Mais je dois maintenant me rendre à Bruxelles, où se tient une importante réunion de l'Eurogroupe, où la Commission va rapporter sur la situation de la Grèce. Mais je serai heureux de revenir devant vous au moment où nous pourrons porter sur la trajectoire des finances publiques, sur la qualité de la dépense publique ou encore sur l'Italie une appréciation plus fondée sur des actes.