Mes chers collègues, c'est un honneur pour moi de vous présenter ce rapport aujourd'hui, sur le texte porté par la ministre du travail Mme Muriel Pénicaud, qui vise à rénover le modèle social français dans un double mouvement : libération des énergies dans le pays et mise en place des protections qui sont nécessaires.
Notre commission s'est saisie de ce texte, comme l'en autorise le règlement de l'Assemblée nationale, sur les deux points suivants : la formation professionnelle en relation avec la mobilité européenne des apprentis et les questions relatives au détachement des travailleurs. Les dispositions du projet de loi s'inscrivent dans les engagements de campagne du Président de la République, mis en oeuvre par le Gouvernement de M. Edouard Philippe.
Concernant les dispositions relatives à la formation professionnelle, le constat actuel est celui d'une faiblesse de la mobilité des apprentis et des personnes en contrats de professionnalisation, notamment en comparaison avec les étudiants des filières universitaires. En France, 615 000 étudiants ont bénéficié du programme Erasmus alors que c'est le cas de seulement 25 600 apprentis depuis la création du programme qui leur est destiné, pour des durées bien plus faibles – les apprentis partent en moyenne deux à trois semaines. Il s'agit là d'une inégalité vis-à-vis des opportunités que l'on offre à la jeunesse, mais aussi d'une perte de chances par rapport à la valeur qu'apporte une mobilité internationale dans un parcours professionnel.
Le projet de loi, prenant en compte de manière très pertinente les préconisations du rapport Arthuis, complète le « statut de l'apprenti mobile », déjà inscrit dans la loi en janvier dernier, et l'étend aux contrats de professionnalisation. Les centres de formation d'apprentis (CFA) auront dans leur mission la promotion de la mobilité internationale, tandis que la mobilité européenne est explicitement inscrite dans le champ de la formation des apprentis. Un certain nombre de mesures facilite la mobilité des apprentis, notamment la nomination d'un référent dédié à cette mobilité européenne dans les CFA. Le texte étend les dispositions qui s'appliquent aux apprentis aux contrats de professionnalisation : contrat en partie exécutable à l'étranger, obligations de l'employeur suspendues pendant la durée de la mobilité, garantie d'avoir une couverture sociale pour le salarié notamment.
Ces dispositions excessivement positives font écho aux remarques et témoignages sur le sujet, par exemple lors des consultations citoyennes sur l'Europe telles que celles que j'ai organisées à Strasbourg le 16 mai dernier sur le thème des opportunités pour la jeunesse en Europe – les jeunes apprentis qui bénéficient aujourd'hui de ces possibilités de mobilité témoignent de l'importance pour eux, dans leur parcours professionnel, de ces possibilités de mobilité. C'est également absolument essentiel pour la création d'un sentiment européen : quoi de plus positif pour l'Europe que d'avoir des jeunes Français qui partent ambassadeurs de notre pays et reviennent ambassadeurs du pays qui les a accueillis pour leur mobilité ? C'est quelque chose de très fort pour la construction européenne, de très symbolique, et qui doit être absolument encouragé de manière forte.
Autre point très positif : la France crée le début d'un statut de l'apprenti européen ; on espère évidemment que la France va être suivie par les autres pays de l'Union européenne sur ce point. Il faudra être vigilant toutefois et s'assurer que ces facilités administratives se traduisent dans les faits. Il est absolument essentiel de travailler sur l'accompagnement linguistique des jeunes volontaires : quels supports supplémentaires peut-on leur apporter ? Et, de manière symétrique, quid des jeunes apprentis étrangers venant en France ? J'ai déjà évoqué le rôle essentiel des référents dans les CFA ; on peut également noter que les CFA pourront participer au financement de la mobilité et se demander quelle sera la part de financement supplémentaire des CFA à ce titre. Au-delà des dispositions légales, il est important que tous les acteurs – branches, CFA – s'emparent de ces nouvelles possibilités. Il faudra faire preuve de beaucoup de volontarisme pour avoir le plus d'apprentis possible effectuant un cursus à l'étranger.
Au-delà de la mobilité sortante de nos apprentis, il faut aussi créer les conditions d'une mobilité entrante des apprentis en provenance des pays européens. Comment créer les conditions favorables pour faire de la France un pays d'accueil d'apprentis d'autres pays européens ? Nous avons en France des filières d'excellence à faire valoir, connues de manière historique – restauration, hôtellerie, métiers d'art notamment – mais aussi dans lesquelles la France est en pointe, par exemple l'innovation numérique dans le domaine de la santé. Il faut encourager nos partenaires à mettre en place des dispositions analogues aux nôtres.
Je vais porter des amendements en commission des affaires sociales visant d'une part à faire évaluer l'efficacité des dispositifs adoptés en vue d'améliorer la mobilité internationale des apprentis et personnes en contrats de professionnalisation, et, d'autre part, à mettre en avant Campus France, pour que cet organisme puisse, comme il le fait déjà pour l'enseignement supérieur, mettre en place des dispositifs qui feraient la promotion de nos formations professionnelles à l'étranger.
Concernant les dispositions relatives au détachement des travailleurs, le texte s'inscrit dans la philosophie des engagements du Président de la République depuis un an et est en cohérence avec tout le travail mené par la France au niveau européen sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs 9671CE. Il s'agit bien de revenir à la philosophie originelle de la directive « détachement », qui est de favoriser les prestations de services ponctuelles et non de s'exposer à une concurrence déloyale du fait des différences de niveau social dans les différents pays de l'Union européenne.
Le texte du projet de loi s'articule selon une double philosophie : d'une part, une amélioration des conditions de détachement par allégement des contraintes administratives dans certains cas spécifiques – prestation de services réellement ponctuelle – et, d'autre part, un renforcement des sanctions en cas de fraude.
Concernant l'assouplissement des contraintes administratives, il s'agit en premier lieu de permettre aux entreprises établies en zones frontalières de travailler de manière plus pertinente. La situation se caractérise par la multiplicité des échanges de part et d'autre de la frontière, et des pays comme l'Allemagne et l'Autriche ont déjà des dispositions de ce type.
L'allégement des contraintes administratives concerne aussi, en second lieu, les entreprises intervenant pour de courtes durées ou exerçant des activités non susceptibles de fraude comme les voyages d'affaires, les festivals. Il concerne aussi le détachement pour compte propre, comme par exemple, une société allemande qui procède pour son compte à des opérations de maintenance sur un établissement industriel de son entreprise qui se trouve sur le territoire français. Cette forme de détachement est d'ailleurs particulièrement importante en zone frontalière, puisque constituant 17 % des déclarations de détachement.
Enfin, le texte prévoit la suppression du droit de timbre – prévu par la loi, mais qui n'a jamais trouvé de traduction réglementaire – et qui est perçu par nos partenaires comme une contrainte excessive tout en n'étant probablement pas conforme au droit européen.
Concernant l'approfondissement des sanctions, le texte prévoit la hausse des amendes administratives en cas de fraude au « noyau dur » ou de manquement aux obligations déclaratives, l' extension des cas de décision préfectorale de cessation d'activité pour travail illégal, la création d'un nouveau cas d'infraction de travail dissimulé pour des entreprises établies en France qui se prévaudraient néanmoins de la directive sur le détachement des travailleurs, la diffusion automatique de certaines condamnations pour travail dissimulé.
Il est important que les entreprises coupables d'activité frauduleuse soient désignées et il faut a contrario favoriser celles qui sont vertueuses, ainsi que l'extension des pouvoirs de l'Inspection du travail par l'accès aux données informatisées et des nouveaux pouvoirs d'enquête. Il faut donner plus de moyens à l'administration pour pouvoir jouer son rôle.
Ces mesures, pragmatiques, doivent être soutenues. Il faut revenir à l'esprit du détachement des travailleurs : la France n'est pas contre le détachement des travailleurs, mais lutte contre la fraude au détachement des travailleurs : il faut rappeler qu'effectivement beaucoup de salariés français sont eux-mêmes détachés, que ce soit dans les zones frontalières ou dans le reste du territoire.
Restons toutefois vigilants sur les négociations bilatérales qui vont concerner les zones frontalières, de manière à ce que les accords soient équilibrés et préservent nos intérêts nationaux. Par ailleurs, l'assouplissement des formalités pour certaines catégories de détachement doit permettre de redéployer les moyens de l'Inspection du travail en direction de la lutte contre les fraudes au détachement des travailleurs. Cette lutte devra être impitoyable, notamment dans les secteurs où l'on sait que les fraudes sont nombreuses (bâtiment, transport, agriculture). Je propose que l'on mette en place une évaluation de ces dispositifs au bout d'un certain temps – deux ans – afin que l'on s'assure de leur effectivité et de leur pertinence.
De manière plus générale, nous devons absolument poursuivre au niveau européen le travail engagé pour aboutir à une convergence sociale réelle, afin que les dévoiements actuels de la directive sur le détachement des travailleurs ne soient plus possibles pour les fraudeurs, et donc, finalement, aller vers un salaire minimum européen ou une assurance chômage européenne. Je salue à cet égard le travail qui va s'engager au sein de notre commission sur le socle européen des droits sociaux.