Ce projet de loi fait naître un certain nombre de questions au sein de notre organisation.
La première porte sur le compte personnel de formation (CPF) « transition professionnelle ». La disparition du congé individuel de formation (CIF), au profit d'une formule réservée à la seule formation professionnelle, n'offre pas les mêmes garanties aux salariés. Comme son nom l'indique, le CPF de transition professionnelle permettrait aux bénéficiaires d'effectuer une formation longue, mais à condition qu'elle n'ait qu'un but professionnel. De plus, il ne garantit pas forcément la prise en charge de l'intégralité des salaires, comme c'était le cas auparavant grâce au CIF. Les salariés se posent des questions sur ce point et nous n'avons pas de réponse à apporter.
Le second problème est celui de la monétisation du CPF, alors que l'accord national interprofessionnel (ANI) du 22 février 2018 le comptabilisait en heures. Le CIF monétisé offrirait une prise en charge de l'heure de formation à 14,28 euros. Or, les partenaires sociaux avaient fixé des droits de formation de 35 heures par an sur le CPF, le plafond total des heures de formation étant établi à 400 heures, voire 550 heures pour les publics les plus éloignés de l'emploi.
Dans le CPF qui existait jusqu'à présent, l'heure de formation était calculée sur la base de 40 euros de l'heure. La monétisation réduit ainsi les droits pour les individus, en contradiction avec les annonces faites. Nous sommes extrêmement inquiets. Tel qu'il est construit, le CPF fait l'objet de pas moins de douze abondements. Le dispositif de 2014 en prévoyait déjà neuf, qui se révélaient difficiles à obtenir. Aussi nous faisons-nous du souci d'autant qu'il est plus facile de négocier avec les entreprises en termes d'heures que d'argent, car la corrélation avec le coût est alors immédiatement établie.
Le CPF, qui constitue décidément pour nous le point noir de ce projet, comprenait également jusqu'à présent un bilan de compétences, dont le coût oscille entre 1 500 et 2 200 euros – je ramène le bilan de compétences à sa valeur en euros pour mieux vous faire mesurer qu'il faudra désormais trois ans pour obtenir un bilan de compétences et le payer sur son CPF. Une fois ce bilan dressé, le salarié n'aura plus la possibilité d'enchaîner sur une formation, puisqu'il aura épuisé ses droits de CPF monétisés : il devra attendre trois ans de plus pour accumuler de nouveau 1 500 euros de crédits sur son CPF. Son bilan de compétences sera-t-il encore à la page, notamment au vu des formations technologiques et numériques nouvellement offertes ?
Nous émettons également de vives réserves sur l'application numérique proposée par le Gouvernement, que nous avons surnommée « le trip advisor de la formation professionnelle ». Nous pensons qu'elle risque d'orienter les personnes concernées vers des formations dont elles n'auraient pas obligatoirement besoin. Surtout, elles pourraient se trouver coupées de l'accompagnement du conseil en évolution professionnelle (CEP), qui est un point très important de la formation professionnelle. Les formations courtes proposées par le trip advisor seront retenues sans qu'il soit fait appel au CEP, peut-être au détriment de formations dont le salarié aurait besoin pour se reclasser en cas de difficultés.
S'agissant de la gouvernance, nous nous interrogeons beaucoup sur France compétences. Nous avons compris que l'État serait au sommet de la structure de cet établissement public administratif. Mais nous ne voyons pas quelle part et quel rôle sont réservés aux partenaires sociaux. Comment allons-nous y travailler ? Si des commissions sont créées, quelles seront-elles ? Quel rôle décisionnel nous sera imparti, dans cette instance qui regroupe le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP), le Comité paritaire interprofessionnel régional pour l'emploi et la formation professionnelle (COPAREF), le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) et la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) ?
Toujours en ce qui concerne encore la gouvernance, l'État évoque des « filières ». Nous nous interrogeons sur ce qu'est une filière, d'autant que les commissions paritaires nationales de l'emploi et de la formation professionnelle (CPNE) ne connaissent que les accords de branche, et non les filières. Pour éviter de perturber nos branches professionnelles, nous avons donc besoin d'éclaircissements sur cette notion.