Intervention de Vincent Bru

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Bru, rapporteur :

C'est en effet un point important à souligner. Toutes les décisions, à l'OMC, se prennent par consensus, c'est-à-dire qu'il suffit de l'opposition d'un seul membre pour bloquer la machine. La conséquence de ce blocage est double.

La première, c'est que le droit de l'OMC, élaboré pour l'essentiel dans les années quatre-vingt-dix est désormais largement daté. Dans notre rapport, nous présentons plusieurs exemples dont l'un est particulièrement frappant. Il s'agit du traitement spécial et différencié dont bénéficient les pays en voie de développement. En application de l'Accord de Marrakech, ces derniers bénéficient d'un allongement des délais dans la mise en oeuvre des obligations contenues dans les différents accords de l'OMC et de seuils temporaires plus favorables impliquant un niveau moindre d'obligation, qu'il s'agisse de la baisse des droits de douane, de la réduction des subventions ou de l'application des mesures de sauvegarde. Ce n'est pas tant que les pays en voie de développement bénéficient d'un tel traitement qui pose problème que le fait qu'il repose sur une base déclaratoire, c'est-à-dire que les pays en voie de développement se déclarent comme tels vis-à-vis de leurs partenaires qui n'ont d'autres choix que d'accepter leur décision. C'est ainsi que, aujourd'hui encore, malgré ses fulgurants succès commerciaux, la Chine se considère toujours comme un pays en voie de développement, de même que l'Inde, le Brésil ou la Corée du sud, ce qui est absurde mais impossible à changer en raison de l'exigence du consensus.

La deuxième conséquence, c'est la réorientation de la politique commerciale des principales puissances économiques mondiales vers le bilatéralisme. Lorsqu'il est apparu que le cycle de Doha était enlisé, en 2006, l'Union européenne a clairement annoncé, dans une Communication, son intention de développer les accords bilatéraux de libre-échange. Depuis cette date, les résultats sont éloquents :

– des accords de libre-échange sont en vigueur avec la Corée du Sud (2011), l'Amérique centrale (2012), la Colombie et le Pérou (2013) ainsi qu'avec le Canada (2017) ;

– les négociations ayant été conclues avec le Vietnam, un accord de libre-échange devrait entrer en vigueur en 2018. Il devrait en être de même pour l'ALE UE-Japon ;

– les négociations sont en cours mais en voie de finalisation avec le Mercosur, le Chili et le Mexique ;

– enfin, la Commission envisage d'ouvrir des négociations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande d'ici à 2019, la décision en ce sens devant encore être adoptée, avec les mandats de négociation, par le Conseil.

En revanche, les négociations du PTCI-TTIP avec les États-Unis sont suspendues depuis l'élection de Donald Trump.

Si le choix du bilatéralisme a été fait, c'est qu'il présente de nombreux avantages par rapport au multilatéralisme. Le premier, évident, c'est qu'il est bien plus facile de négocier à 2 qu'à 164 et, lorsque l'une des parties a la puissance de l'Union européenne, il est également plus facile d'imposer ses conditions. C'est ainsi que l'Union européenne a pu obtenir bien plus de concessions de ses partenaires dans le cadre bilatéral qu'elle n'aurait pu en obtenir à l'OMC.

De plus, autre avantage, tous les accords négociés par l'Union européenne comportent un chapitre consacré au développement durable qui impose à l'autre partie le respect des normes fondamentales en la matière. Compte tenu des oppositions idéologiques et des divergences d'intérêts à l'OMC, jamais l'Union européenne n'aurait pu ainsi imposer ses valeurs ni même réussir à discuter droits humains, normes environnementales ou sociales à l'OMC.

Enfin, ces accords de libre-échange bilatéraux, parce qu'ils servent à la promotion des valeurs et des normes, sont aussi un instrument d'influence géopolitique. Dans le cas de la politique commerciale européenne, l'instrumentalisation du commerce au service des intérêts politiques de l'Union est visible. Les accords de libre-échange s'accompagnent ainsi fréquemment d'accords de partenariat ou d'association, ou font partie de tels accords, lesquels encadrent les relations entre l'Union européenne et ses partenaires à la fois sur le plan commercial mais aussi politique, scientifique et culturel.

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