Est-ce à dire que l'avenir est au bilatéralisme et que le multilatéralisme est, comme l'OMC, une survivance inutile du passé ? Après six mois à travailler sur ces sujets, nous sommes convaincus au contraire que l'OMC est plus que jamais nécessaire au bon fonctionnement du commerce international. D'ailleurs, à Buenos Aires, malgré l'échec, le consensus s'est fait entre les membres de l'organisation sur la nécessité de préserver l'OMC et l'unilatéralisme américain nous renforce dans notre conviction.
Première raison, l'OMC est nécessaire pour fixer des règles communes légitimes du commerce international, ce que les accords bilatéraux ne peuvent faire par eux-mêmes. En effet, au-delà des règles particulières concernant l'accès au marché et notamment les barrières tarifaires et non tarifaires, lesquelles peuvent être déterminées dans un cadre bilatéral, de très nombreuses notions clés du commerce international (règles d'origine, de mesures de sauvegarde, de règles antidumping et antisubventions, de règles douanières ou de mesures SPS) sont définies dans le droit de l'OMC. Or, c'est à celles-ci que renvoient tous les accords bilatéraux. Le droit de l'OMC constitue donc le socle sur lequel repose le bilatéralisme et, parce qu'il est solide, il apporte une grande sécurité juridique aux entreprises exportatrices et une grande facilité dans la gestion de ces notions qui sont ainsi identiques d'un accord bilatéral à l'autre. De plus, au-delà des notions clés précitées, un certain nombre de sujets sont bien mieux traités au niveau multilatéral qu'au niveau bilatéral, voire même ne peuvent être traités qu'à ce niveau. C'est en particulier le cas de ce qu'on appelle les « maux publics » que sont, par exemple, les subventions. En effet, celles-ci ne peuvent être encadrées qu'au niveau multilatéral car toute concession au niveau bilatéral aurait des effets erga omnes. Enfin, les règles multilatérales sont, de notre point de vue, les plus légitimes en raison du caractère universel et démocratique de l'OMC. Les règles multilatérales, comme on le sait, doivent être adoptées par consensus entre les 164 membres de l'OMC, c'est-à-dire qu'il est impossible d'imposer une quelconque règle à un membre qui ne le voudrait pas. Ainsi, contrairement à l'opinion commune entretenue notamment par les organisations altermondialistes, l'OMC n'est pas défavorable, bien au contraire, aux pays en voie de développement qui peuvent mieux défendre leurs intérêts dans le cadre multilatéral qu'en bilatéral face aux grandes puissances commerciales.
La deuxième raison qui rend l'OMC incontournable c'est qu'elle est nécessaire à la régulation du commerce international. En effet, il ne faut pas s'arrêter à la fonction « législative » de l'OMC dont le blocage actuel laisserait à penser que l'organisation est inutile. L'OMC a aussi une fonction « exécutive », c'est-à-dire qu'elle veille à ce que les règles multilatérales soient convenablement mises en oeuvre par ses membres. Pour accomplir cette mission, ces derniers ont l'obligation d'assurer la transparence de leurs politiques commerciales en notifiant à l'OMC les mesures adoptées en matière commerciale. Elles sont examinées par les divers conseils et comités dont l'activité représente 80 % de l'activité de l'OMC. Cette activité est essentielle car, dans bien des cas, elle permet de régler des problèmes sans attendre et sans passer par la phase contentieuse de l'ORD. S'il n'est pas possible d'éviter le contentieux, l'OMC dispose d'une activité judiciaire via son système de règlement des différends. L'activité de l'ORD et de l'Organe d'appel n'est pas aussi méconnue que celle des conseils et comités de l'OMC mais elle est aussi essentielle. Plusieurs fois, lors des auditions à Genève, ce système de règlement des différends a été appelé le « joyau de la couronne » de l'OMC. Parce qu'il est contraignant, il constitue la principale avancée de l'accord de Marrakech et la clé de voûte du multilatéralisme commercial. En effet, à quoi bon avoir les meilleures règles possibles si la violation de celles-ci n'est pas sanctionnée ? Sur ce point, nous soulignons que tant les pays en voie de développement que les pays développés ont d'ailleurs intérêt à voir leurs différends commerciaux réglés sur la base du droit. Les premiers, parce que le rapport de force leur est défavorable et les derniers, parce que dans un cycle sans fin des représailles, il n'est pas certain qu'ils gagnent, par exemple contre la Chine alors même que celle-ci, jusqu'à présent, a toujours respecté les décisions de l'ORD et de l'Organe d'appel.