Intervention de Vincent Bru

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Bru, rapporteur :

« Joyau de la couronne », le système de règlement des différends est cependant menacé. En effet, les États-Unis, le considérant comme une atteinte à leur souveraineté, ont entrepris d'étrangler l'Organe d'appel en bloquant la nomination de ses membres. Normalement au nombre de sept, ils ne sont plus que quatre et seront trois en septembre, soit le minimum pour constituer une formation de jugement, ce qui les expose à une récusation en cas de conflit d'intérêt. Cet étranglement de l'Organe d'appel va de pair, nous semble-t-il, avec le retour en force de l'unilatéralisme américain via l'imposition de droits de douane sur l'acier et l'aluminium, tel qu'annoncé par le gouvernement américain la semaine dernière. En effet, en l'absence de système de règlement des différends efficace, comme l'a dit mon collègue, ne reste plus entre les États que le rapport de force, à coup de représailles, dont personne ne sortira gagnant, pas même les États-Unis dont les chaînes de production sont aussi internationalisées que celles de leurs concurrents. Il faut donc absolument sauver le système de règlement des différends de l'OMC et le temps presse. Toutefois, les solutions évoquées devant nous à Genève sont toutes insatisfaisantes tant la volonté des États-Unis apparaît inflexible. En outre, le sauvetage de l'Organe s'insère désormais dans la résolution d'une crise commerciale globale opposant les États-Unis au reste du monde.

Outre cette urgence, notre rapport définit cinq priorités d'action pour redonner un sens à l'OMC et revitaliser le multilatéralisme commercial.

Première priorité : en finir officiellement avec le cycle de Doha. En effet, certains membres de l'OMC considèrent que ce cycle est mort, parfois depuis longtemps, mais d'autres le considèrent toujours ouvert et comme constituant le cadre normal des négociations multilatérales. Nous estimons pour notre part qu'il faut être réaliste et abandonner l'ambition, inaccessible à 164, d'une négociation globale sur l'accès au marché. Au contraire, l'OMC devrait se concentrer sur les « petits » accords multilatéraux susceptibles de réunir un consensus pour leur adoption. Ceux-ci porteront sur les maux publics que sont, notamment, l'interdiction des subventions, par exemple à la pêche illégale.

Deuxième priorité : soutenir et encadrer les négociations plurilatérales. En effet, nous sommes convaincus qu'au-delà de ces « petits » accords multilatéraux, l'avenir de l'OMC passe par le plurilatéralisme, c'est-à-dire une pluralité d'États volontaires qui décident d'aller de l'avant sur un des aspects essentiels du commerce international, en contournant l'exigence du consensus. Ce fut d'ailleurs le cas à Buenos Aires puisque 43 membres de l'OMC ont en effet déclaré être favorables à l'ouverture de négociations sur les implications du commerce électronique pour le commerce international. Parmi eux, il y a à la fois des membres appartenant au groupe des pays développés, comme l'Union européenne, les États-Unis ou le Japon, mais également deux des BRICS (Russie et Brésil) et des pays en voie de développement (Nigéria, Myanmar, Laos…). Le plurilatéralisme permet donc de dépasser à la fois la contrainte du consensus mais également les différents clivages.

Troisième priorité : abandonner l'idéologie, briser les tabous et restaurer la confiance. Il y a un vrai clivage idéologique à l'OMC puisque de nombreux pays en voie de développement considèrent que les règles commerciales multilatérales sont mauvaises en tant que telles pour le développement et bloquent par conséquent leur élaboration. Or, cette position est stérile. Toutes les expériences réussies de développement se fondent sur l'ouverture aux échanges et l'intégration à l'économie mondiale. À l'inverse, toutes les expériences de développement autocentré ont dramatiquement échoué. De plus, cette position idéologique de certains pays en voie de développement les empêche de voir et de traiter les véritables problèmes. Ils dénoncent ainsi systématiquement les subventions dont bénéficient les agriculteurs européens et américains et passent sous silence les subventions encore plus importantes que la Chine et l'Inde octroient à leurs exploitants, y compris pour le coton qui est une ressource essentielle pour de nombreux pays africains. Mais il y a en quelque sorte un tabou à mettre ainsi en accusation la Chine pour les pays africains attachés à l'unité du tiers-monde. Cela dit, il appartient également aux pays développés de prendre en compte les demandes des pays en voie de développement, afin de restaurer la confiance dans le multilatéralisme. Le traitement spécial et différencié doit ainsi être réformé mais ciblé sur les pays les moins avancés et peut-être renforcé.

Quatrième priorité d'action : accroître la transparence. La transparence de l'ensemble des trois activités – législative, exécutive et juridictionnelle – de l'OMC laisse clairement à désirer, nourrissant la méfiance des peuples. Elle doit être améliorée, avec cette précision que cette amélioration n'est pas du ressort de l'OMC mais de ses membres. C'est donc sur eux, à commencer par l'Union européenne, qu'il faut mettre la pression, plus que sur l'OMC elle-même. La transparence fonctionne également en sens inverse, des membres vers l'OMC, et elle aussi doit être améliorée. Ceux-ci, on l'a dit, doivent lui notifier les mesures qu'ils adoptent en matière commerciale et en particulier celles qui pourraient être considérées comme des obstacles au commerce. Or, cette procédure fonctionne mal et en l'absence d'informations précises sur ces derniers, il est difficile de négocier sereinement et efficacement.

Enfin, cinquième priorité d'action : réintroduire le politique à l'OMC. Nous avons en effet constaté que l'OMC est, pour l'essentiel, une organisation d'experts qui négocient entre eux, les ministres ne se réunissant que tous les deux ans. Il nous semble essentiel qu'ils se voient plus souvent et qu'ils créent entre eux des liens de confiance de nature à faciliter les compromis. Mais réintroduire le politique, c'est aussi évoquer le contrôle démocratique sur l'OMC et les accords multilatéraux. S'agissant d'une compétence exclusive de l'Union européenne, le contrôle des peuples ne peut être qu'indirect, via le contrôle de l'action européenne des gouvernements nationaux En effet jamais le Parlement français ne se prononcera sur les accords multilatéraux signés à l'OMC qui ne sont par nature jamais mixtes, comme peut l'être par exemple l'AECG-CETA. On pourrait donc penser que la politique commerciale européenne dans sa dimension bilatérale est mieux contrôlée mais ce ne sera probablement plus le cas. En effet, instruite par le psychodrame de la signature de l'AECG-CETA, bloquée par le Parlement Wallon, et les incertitudes entourant les 28 ratifications nationales, la Commission européenne souhaite désormais ne plus négocier que des accords commerciaux relevant de sa compétence exclusive et, par conséquent, en finir avec l'unanimité du Conseil et les ratifications nationales. C'est un point qui, Madame la Présidente, chers Collègues, devra faire l'objet d'une grande attention de notre commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.