Je voudrais d'une part signaler une tension et d'autre part apporter une précision. La tension trouve son illustration dans nos débats de ce jour : nous convenons tous que nous avons passionnément besoin de décisions multilatérales parce que les grands enjeux économiques, humains, migratoires, financiers, militaires sont de plus en plus transnationaux. Dans le même temps, il est absolument paradoxal de tenter de concilier l'approche multilatérale avec les droits de 164 États souverains. Et, à cet égard, le rapport essaie de définir des voies médianes tel le plurilatéralisme. En dépit des solutions proposées, il n'en demeure pas moins que la difficulté de conciliation de tendances opposées est réelle. J'illustrerai mon propos en attirant l'attention de la commission sur les deux rapports qui lui sont soumis au cours de la séance d'aujourd'hui : l'on s'apprête en effet à adopter le présent rapport résolument multilatéral après avoir précédemment adopté une proposition de résolution ayant pour objet, à l'inverse, de dénoncer un projet de règlement européen au motif qu'il serait contraire au principe de subsidiarité. Or, il faut être bien conscient que l'on ne parviendra pas à faire perdurer un système multilatéral si l'on ne consent pas au sacrifice d'un certain nombre de compétences, nationales, parlementaires. Il s'agit du prix à payer pour l'efficacité multilatérale.
Sur la question des négociations dites mixtes, j'appelle à une grande vigilance : je ne voudrais pas que s'accrédite au sein de notre Parlement et notamment au sein de notre Commission des affaires européennes l'idée que la Commission européenne aurait une stratégie d'évitement du contrôle des Parlements nationaux en ne menant que des négociations commerciales dans le champ de sa compétence exclusive. Notre rapporteur Vincent Bru a bien insisté sur ce point lors de sa réponse à notre collègue Marietta Karamanli, et je l'en remercie, mais peut-être conviendrait-il de le faire aussi dans le rapport. Car que dit la Commission européenne ? Qu'elle ne veut pas mélanger des négociations dans lesquelles l'Union européenne - c'est-à-dire les États membres et le Parlement européen – a le dernier mot, et des négociations sur lesquelles les États et les Parlements nationaux ont le dernier mot. Pourquoi ? Pour éviter que les États membres « prennent en otage » les compétences relevant du niveau européen (les règles commerciales, par exemple) par le biais de la ratification des règles relevant du niveau national (comme celles relatives aux investissements).
Le fait que nous ne soyons pas compétents en dernier ressort, à travers la procédure de ratification, ne signifie ni qu'une assemblée parlementaire n'exerce aucun contrôle, puisque le Parlement européen intervient dans la procédure, ni que nous soyons totalement écartés, puisque nous contrôlons un acteur fondamental, notre gouvernement. Ce sont les gouvernements nationaux qui donnent à la Commission son mandat de négociation, ce sont eux qui signent l'accord. Décrire la Commission comme un croquemitaine négociant contre tous les Parlements et tous les États membres des accords technocratiques, ce n'est pas décrire la réalité, il est bon que notre rapporteur Vincent Bru le dise, il serait encore meilleur que nos deux rapporteurs l'écrivent !