Intervention de Marguerite Deprez-Audebert

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarguerite Deprez-Audebert, référente :

La Commission des affaires européennes a décidé, lors de sa réunion du 22 février dernier, de réserver la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) nº 18292003 en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d'interdire sur leur territoire l'utilisation de denrées alimentaires et d'aliments génétiquement modifiés pour animaux. Ce texte étend aux denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés la solution adoptée pour la culture d'organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l'Union européenne. Seuls les OGM ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché en tant que produit ou élément de produit peuvent être cultivés ou utilisés en matière alimentaire sur le territoire de l'Union européenne. L'autorisation de mise sur le marché de produits contenant des OGM - dont le but est de garantir qu'ils ne présentent pas de risques pour la santé humaine ou animale, ou pour l'environnement - prend la forme d'une décision adoptée par la Commission européenne au titre des mesures d'exécution de la directive ou du règlement, mais les États membres interviennent dans le processus décisionnel, qui suit en effet la procédure de comité, ou « comitologie ».

Le bilan de la mise en oeuvre de la directive 200118CE relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement comme du règlement n° 1829203 concernant les denrées alimentaires et les aliments génétiquement modifiés se caractérise par un dysfonctionnement fondamental du dispositif. En effet, depuis l'entrée en vigueur de la directive de 2001 et du règlement de 2003, les États membres ne sont jamais parvenus à former une majorité qualifiée sur un projet de décision autorisant des OGM, que ce soit pour la culture ou pour des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux. Le résultat de la procédure a toujours été l'absence d'avis, tant au niveau du comité permanent qu'au sein du Conseil, faisant peser de fait sur la seule Commission la responsabilité politique de la mise sur le marché des OGM. En conséquence, la Commission a proposé en 2010 une révision de la directive de 2001, en opérant un changement de logique : tout en conservant le dispositif d'autorisation au niveau européen, elle a proposé d'élargir l'éventail des motifs pour lesquels les États membres auraient le droit de restreindre ou d'interdire sur leur territoire la culture d'OGM autorisés.

À cette fin, la directive du 11 mars 2015 donne aux États membres de nouveaux moyens pour restreindre ou interdire sur leur territoire la culture d'un OGM. Depuis le printemps 2015, chaque État membre a ainsi la possibilité de tenir compte du contexte national où peuvent exister des raisons, légitimes mais non liées à la santé ou à l'environnement, de restreindre ou d'interdire la culture d'un OGM. La Commission a donc proposé le 27 avril 2015 une révision du règlement de 2003 sur les denrées alimentaires génétiquement modifiées et les aliments génétiquement modifiés pour animaux, qui ne sont pas dans le champ couvert par la directive. Au moment où la Commission a présenté sa proposition de règlement, 58 denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés étaient autorisés dans l'Union européenne, essentiellement pour permettre les importations de protéines végétales pour le bétail issues de la culture d'OGM, dont l'Union européenne est très dépendante. La Commission a donc proposé une démarche similaire, avec des pouvoirs donnés aux États membres pour restreindre ou interdire sur leur territoire l'utilisation de denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés une fois que ces produits ont été autorisés.

À la différence du champ couvert par la directive de 2001, les cultures d'OGM, par définition « attachées » au sol, pour lequel « commerce » et « utilisation » étaient dissociables, le champ couvert par le règlement de 2003 se caractérise par l'impossibilité de distinguer entre les deux notions de commerce et d'utilisation. Et c'est cela qui rend le dispositif inefficace : l'autorisation d'importation d'un tel produit donnée par l'un des État membre ouvre l'accès au marché de tous les États membres ; l'activation par un État membre de son droit de restriction ou d'interdiction implique de rétablir des contrôles aux frontières, en contradiction donc avec les règles du marché unique.

Au Conseil Agriculture et pêche du 13 juillet 2015, une très grande majorité de délégations - dont la France - a ouvertement critiqué la proposition, en raison notamment de l'insécurité juridique qu'elle crée, du manque de clarté de son champ d'application et d'un éventuel conflit avec les règles du marché intérieur et celles de l'OMC. Le 28 octobre 2015, le Parlement européen a rejeté à une large majorité cette proposition de révision. Une majorité des députés européens s'est en effet inquiétée de l'impact que j'ai mentionné plus haut sur le marché unique. À l'issue du vote, le commissaire européen à la santé et à la sécurité alimentaire, M. Vytenis Andriukaitis, a réaffirmé son refus de faire une nouvelle proposition qui n'aurait pas le soutien d'un nombre suffisant d'États membres, et a annoncé vouloir poursuivre les discussions avec le Conseil sur le texte rejeté par le Parlement européen.

Aujourd'hui, les discussions sur ce texte sont au point mort. La dernière réunion au Conseil remonte à mai 2016, sous Présidence luxembourgeoise. Depuis, aucune des présidences successives n'a voulu mettre le sujet à son ordre du jour. La Commission européenne maintient son texte dans la mesure où tout retrait impliquerait qu'elle fasse une proposition alternative. Or, aucun autre dispositif ne semble susceptible de pouvoir remplacer ce dispositif qui est inopérant. La probabilité est donc très forte que ce texte qui n'est pas applicable reste en sommeil jusqu'à la fin de la Commission Juncker en 2019, puis tombe avec la fin du mandat de cette dernière.

Telles étaient les raisons pour lesquelles il vous a été initialement proposé, chers collègues, lors de notre dernière réunion, que notre Commission acte ce texte, et telles sont les raisons qui me conduisent à maintenir cette proposition aujourd'hui.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.