Intervention de Pieyre-Alexandre Anglade

Réunion du mercredi 16 mai 2018 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPieyre-Alexandre Anglade, rapporteur :

Ce rapport d'observations sur les projets de loi relatifs à la lutte contre les fausses informations témoigne de ce que notre Commission peut apporter une dimension européenne au débat qui va s'ouvrir à l'Assemblée nationale. C'est une pratique qu'il faut poursuivre pour de nombreux sujets.

Toutes les informations ne se valent pas. Ce constat ne date pas d'hier, mais ce qui est nouveau en revanche, c'est la caisse de résonance que constitue Internet. Aujourd'hui, pour 40 000 euros, vous pouvez lancer des opérations de propagande politique sur les réseaux sociaux ; pour 5 000 euros, vous pouvez acheter 20 000 commentaires haineux ; et pour 2 600 euros, vous pouvez acheter 300 000 followers sur Twitter. À ce prix-là, des sites entiers, des pages Facebook, des fils Twitter colportent des fausses informations et sèment le trouble dans l'esprit de nos concitoyens. Ce prix-là, c'est celui du passage dans l'ère de la post-vérité, où les fondations, les valeurs et l'avenir de notre vie démocratique sont plus que jamais menacés. Parce qu'à ce prix, la relation de confiance qui existe entre les citoyens et leurs élus se trouve sapée, et les populismes et complotismes de toutes sortes irriguent nos sociétés, dans un contexte de grands bouleversements économiques et sociaux, de divisions politiques marquées, de manque de confiance dans les institutions et de manque de sens pour l'Union européenne.

Derrière ces fausses informations, il y a parfois une véritable stratégie politique, financée parfois par des États tiers, visant à déstabiliser nos démocraties. Et l'Europe est en première ligne. Les exemples récents de périodes électorales déstabilisées ne manquent pas – au Royaume-Uni, en Catalogne et en Italie notamment – et l'origine géographique des fauteurs de trouble est souvent la même : le voisinage immédiat de l'Union européenne.

Face à cette guerre hybride qui expose les peuples européens à des peurs irrationnelles et à l'obscurantisme, la réponse se doit d'être globale et inclusive. Dans cette perspective, les propositions de loi que nous examinerons dans les semaines à venir visent à fournir des éléments de réponse, sachant qu'en période électorale en particulier, la frontière entre ce qui sépare l'opinion de sa manipulation est poreuse.

L'action des plateformes en ligne, sur lesquelles les fausses informations se répandent le plus vite, est à ce titre cruciale. Et les obligations de transparence que comprennent les propositions de loi seront un outil supplémentaire entre les mains de nos concitoyens pour savoir qui finance des contenus politiques sponsorisés, et dans quel but.

Mais j'estime que la réponse au problème de la désinformation ne peut s'arrêter aux frontières nationales. Le problème des fausses informations, global par essence, doit faire l'objet d'une réponse européenne commune, d'un socle commun sur lequel les États membres pourront s'appuyer pour leurs stratégies nationales. La récente communication de la Commission européenne est d'ailleurs prometteuse, dans la mesure où elle conserve sa capacité d'action européenne en cas d'insuffisance avérée des progrès effectués par les plateformes en ligne.

Par ailleurs, je propose au sein de mon rapport de renforcer les moyens et capacités d'action du Service Européen d'Action Extérieure (SEAE), et en particulier, de l'East Stratcomm task force. Ce groupe d'action, intégré au SEAE, s'attache à préserver les pays d'Europe centrale et orientale de toute forme d'ingérence extérieure, susceptible de saper la confiance des citoyens envers leurs institutions. La tâche de ce groupe d'action est cruciale, notamment pour assurer la cohésion au sein de l'Union européenne, à l'heure où certains partenaires d'Europe centrale peuvent constituer des proies faciles pour des acteurs cherchant à les déstabiliser. Il faudra élargir les compétences du SEAE dans ce domaine.

Mais, par-delà sa dimension européenne, la réponse à apporter aux fausses informations doit être inclusive et dépasser le seul stade de la répression. Toutes les sociétés, tous les pays, ne sont pas égaux face aux fausses informations. Le niveau d'éducation, la culture démocratique, les inégalités, jouent un rôle décisif dans leur degré de propagation. C'est donc aussi et surtout par l'éducation aux médias numériques que l'Union européenne peut lutter plus efficacement contre les fausses informations. C'est pourquoi je considère dans mon projet de rapport que le programme Europe Créative pourrait participer au financement des programmes nationaux d'éducation numérique et soutenir les projets menés dans ce sens par les ONG, les associations ou les start-up.

Par ailleurs, parmi les fragilités structurelles de nos sociétés, il en est une qui est particulièrement importante : c'est la transformation inachevée du secteur de la presse vers le numérique. Afin de maintenir la diversité des points de vue médiatiques et la promotion des médias garantissant l'authenticité des informations communiquées, il est de notre ressort de protéger et de valoriser le secteur de la presse. L'enjeu est considérable, puisqu'il s'agit de protéger le pluralisme des médias, la diversité d'opinion et leur corollaire, la liberté d'expression.

Dans cette optique, je formule deux propositions dans ce projet de rapport :

- d'une part, prolonger l'idée de la labellisation des contenus authentiques en s'appuyant sur la « Journalism Trust Initiative », initiée en avril par l'association Reporters sans frontières, afin d'identifier les médias respectant des principes déontologiques stricts dans la gestion de leurs informations ;

- d'autre part, soutenir l'idée d'une aide financière européenne au secteur de la presse, afin d'accompagner l'évolution du secteur vers le numérique. Cette transition n'est pas achevée, nous devons y travailler.

Le combat européen contre les fausses informations est crucial, surtout dans la perspective des échéances à venir. Les élections européennes qui se tiendront en 2019 doivent permettre aux Européens de choisir la forme que prendra l'Union européenne dans les dix ans à venir, à un moment où les désordres internationaux sont nombreux et où l'Union doit être une force politique. Or, l'accumulation de scrutins nationaux ainsi que la méconnaissance de nombreux citoyens sur ce que fait et ce qu'est l'Union européenne constituent un terreau favorable à la propagation de fausses informations, durant cette période électorale. Les institutions européennes doivent y travailler, à l'instar de ce que fait le Parlement européen. J'estime que le partage d'expérience et la lutte de tous les États membres contre les stratégies de déstabilisation du scrutin sont la condition sine qua non pour en garantir la sincérité. L'Union européenne est à un moment charnière de sa construction. La cohésion de l'Union européenne pour garantir la sincérité des scrutins ne se négocie pas. Dès aujourd'hui, la mobilisation nationale et européenne contre les fausses informations doit être entière, afin d'offrir à la vie démocratique européenne des lendemains sereins. C'est la condition d'un débat apaisé pour 2019.

Je vous remercie.

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