Intervention de Julian King

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 16h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Julian King, commissaire européen chargé de l'Union de la sécurité :

Merci de l'intérêt que vous manifestez pour ces questions. Comme je l'ai dit au début de mon intervention : ce sont les États membres qui demeurent en première ligne pour lutter contre les menaces terroristes et les menaces cyber ; reste que, selon moi, il est un certain nombre d'actions que nous devons mener de façon plus collective – au niveau de l'Union européenne –, afin d'aider les États à faire face à ces menaces. Et c'est seulement avec le soutien des Parlements que nous pourrons avancer. Il est en effet arrivé que nous trouvions un accord politique mais que son application soit insuffisante.

En ce qui concerne le budget, monsieur Pueyo, j'hésite un peu à vous répondre car je ne serai malheureusement plus là… Cela reviendrait à me mêler des dépenses des autres. Vous avez toutefois complètement raison. La sécurité est l'une des premières priorités pour nos concitoyens. Il faut réagir et, pour renforcer la lutte contre le terrorisme, contre les menaces cyber et pour accentuer nos efforts dans le domaine de la défense, il faut un budget adéquat. Il ne me revient pas de fixer tous les chiffres. La Commission européenne a déjà lancé quelques propositions s'agissant d'un budget de la défense. Si tous les États membres sont d'accord, alors nous pourrons avancer.

Nous faisons déjà pas mal de choses dans la lutte contre les menaces cyber, en matière de recherche notamment ; mais nous devons renforcer notre coopération et cela aura un coût. Quant à la lutte contre le terrorisme, certaines mesures ne sont pas onéreuses – réseaux de soutien, échanges de bonnes pratiques… – et se révèlent très utiles. D'autres mesures en revanche, et j'y insiste, ont un coût : on veut renforcer la protection de nos espaces publics et l'on a débloqué 120 millions d'euros, mais ce n'est pas assez car la demande des villes est bien supérieure aux fonds engagés. Il faudra donc, je le répète, prévoir un budget.

J'en viens aux agences : on connaît Eurojust, Europol… mais il en existe également de nombreuses dans le domaine cyber. Or nous allons créer une agence européenne de la cybersécurité. Ici aussi, pour que ces agences soient vraiment efficaces, il faut prévoir un budget. On parle beaucoup de l'échange d'informations. Je suis complètement d'accord sur la nécessité d'encourager les États membres à partager l'information, encore faut-il que l'échange soit utile et pour cela que les fichiers fonctionnent. Ainsi avons-nous fait des propositions sur l'interopérabilité des systèmes afin qu'un agent de police ou un agent travaillant à la frontière extérieure de l'Europe ait accès en temps réel aux informations dont il a besoin – un tel dispositif aura un coût, là encore, et qui ne sera pas que de quelques centaines de millions d'euros.

Je réponds à présent à la question de M. Pieyre-Alexandre Anglade sur les fausses informations et en particulier sur l'affaire Cambridge Analytica. Je trouve cette histoire choquante. Pour la Commission, Mme Jourová l'a souligné, il est inacceptable que des données personnelles appartenant à Facebook aient pu être détournées. Selon les derniers chiffres publiés par ce groupe, sur 87 millions de personnes concernées, on compte au moins 2,5 millions d'Européens. C'est beaucoup trop. La commissaire Jourová a demandé des clarifications à Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook – qui a manifesté sa volonté de collaborer avec la Commission. On verra quelle suite y sera donnée mais nous ne laisserons pas tomber.

L'affaire Cambridge Analytica montre que la protection des données personnelles est étroitement liée à la préservation du débat démocratique. Je suis d'accord avec vous pour considérer que le règlement général sur la protection des données personnelles, qui entrera en vigueur fin mai, arrive, et c'est le moins que l'on puisse dire, au moment opportun. Mais, là encore, tous les États membres doivent l'appliquer – ce qui n'est pas gagné. En principe ces nouvelles règles vont rendre les entreprises du numérique plus responsables dans leur manière de gérer les données, sous peine de se voir infliger, vous l'avez souligné, des amendes importantes – dont nous aurons besoin pour alimenter le budget.

D'une manière plus générale, dans les quelques semaines à venir, nous allons faire des propositions au sujet des fausses informations. Une de mes collègues commissaires, Mme Gabriel, a constitué un groupe d'experts dont nous sommes en train d'étudier les propositions avant de proposer nous-mêmes des mesures structurelles, de long terme, touchant en particulier à l'éducation, à l'indépendance et à la qualité des médias. J'espère que nous allons également trouver un accord sur des mesures plus immédiates : nous devons renforcer la transparence, surtout s'agissant des contenus sponsorisés mais également de la façon dont est « boostée » telle ou telle information. Je suis convaincu que c'est très important au moment des élections. D'ici aux élections européennes de 2019, précisément, nous allons lancer le débat et il appartiendra ensuite aux États membres de nous indiquer comment ils entendent agir. Et, là encore, nous n'allons pas laisser tomber.

On m'a interrogé sur les identités multiples, y compris pour les ressortissants européens. Les bases de données que nous sommes en train d'établir et de consolider concernent pour la plupart des ressortissants des pays tiers. Toutefois, le système d'information Schengen concerne aussi les ressortissants européens. Les autorités françaises ont récemment fait part de leur souhait d'un nouvel instrument permettant d'enregistrer le franchissement des frontières extérieures par les ressortissants européens aussi bien que par les ressortissants des pays tiers. Nous sommes convenus de lancer un travail préparatoire qu'accompagnera une étude de suivi afin de savoir si le dispositif envisagé respecte le cadre européen de protection des données. Cette question est donc sur la table.

En ce qui concerne la police européenne, nous avons déjà sensiblement accru la coopération entre les forces de police, à travers l'échange d'informations notamment, mais aussi à travers le renforcement de l'académie consacrée à l'entraînement de toutes nos forces de police. Ce sont les premiers pas.

Pour ce qui est du retrait des contenus illicites – liés au terrorisme – nous y travaillons depuis un moment. Les GAFA ont compris que c'était essentiel pour eux aussi. J'estime que cette question mérite en effet d'être traitée à vingt-huit – vingt-sept à l'avenir – parce que tout le monde sait que si l'on ne trouve pas une solution au niveau européen, il y a un risque de fragmentation avec des législations qui partent un peu dans tous les sens. Je suis très fier que nous ayons défini, pour la première fois, ensemble, au niveau européen, des objectifs très précis, très opérationnels sur cette question des contenus terroristes. Nous avons rédigé des recommandations : utilisation des outils automatisés de détection et de retrait, amélioration de la coopération avec les grandes plateformes, qui font d'ailleurs beaucoup de progrès, mais aussi avec les plus petites, afin de parer au risque de migration des contenus incriminés, coopération systématique avec les forces de l'ordre... Nous allons examiner jusqu'à la fin mai les progrès accomplis pour réaliser ces objectifs très précis. En cas de progrès insuffisants, nous avons la possibilité de relancer la question d'une législation. Si nous n'avons pas entamé de processus législatif, c'est parce que c'est compliqué et long – or il s'agit ici d'avancer vite.

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