S'agissant de la rupture d'approvisionnement en médicaments, la loi fait obligation aux industriels de disposer de plans de prévention et de gestion des pénuries. Ces plans ne sont pas contrôlés de façon systématique, mais peuvent l'être à l'occasion d'une inspection. En cas de défaut de ces plans, l'entreprise peut être sanctionnée.
Le tiers de confiance n'a pas vraiment été mis en place ; en revanche, en cas de risque de pénurie, l'exportation des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur est interdite, de façon à privilégier le marché français. La difficulté est celle de la gestion de ces situations : comment intervenir, en quelque sorte, autrement qu'en pompier, in extremis, pour trouver des solutions ?
La loi prévoit l'information de l'Agence de la façon la plus précoce possible, nous intervenons auprès de l'industriel afin de déterminer si des médicaments de substitution aux médicaments en pénurie sont disponibles. À défaut, à titre exceptionnel, nous pouvons décider d'importations ; de façon tout aussi exceptionnelle des contingentements ainsi qu'une organisation particulière des soins peuvent être arrêtés. C'est là l'essentiel du rôle de l'Agence.
Il ne s'agit donc pas de prévention très en amont, car, à ce stade, nous sommes dans le domaine de la production. Et si la pression mise sur les industriels a nettement augmenté, le monde de l'industrie n'en demeure pas moins immense – on parle parfois de Big pharma – et très mondialisé ; il nous est difficile d'intervenir à tous les niveaux.
Au titre des éléments de sécurisation, nous pouvons intervenir pour faire en sorte qu'il n'y ait pas un lieu unique de production, car c'est un élément de fragilité. Nous connaissons des situations où il n'existe qu'un seul lieu de production, parfois pour plusieurs spécialités. Il peut ainsi se produire que des inondations, des incendies ou des déstabilisations, éventuellement dues à des conflits, interrompent la production, ce qui rend la matière première indisponible. C'est pourquoi la diversification des lieux de production constitue une garantie de sécurité importante.
Nous restons toujours en retard dans l'utilisation des médicaments génériques par rapport aux autres pays européens. Une campagne a récemment été menée à ce sujet ; elle visait autant les patients que les prescripteurs, car on constate une réticence collective à recourir aux génériques. Or il n'y a aucune raison de ne pas utiliser ces médicaments qui sont tout à fait équivalents aux princeps. Bien plus, le prix moindre des médicaments génériques conduit parfois à faire baisser celui du princeps, alors conduit à s'aligner. Ce qui permet de réaliser des économies dans le domaine de l'assurance maladie, et de réinvestir ces économies dans l'innovation, grande consommatrice de financements.
L'extension de l'obligation de vaccination à onze valences relève de l'autorité gouvernementale, dont je partage le point de vue. En tant que directeur général de l'ANSM, je rappelle que les vaccins sont des produits extrêmement sûrs. Ce sont des médicaments, à ce titre, ils bénéficient d'une AMM ; actuellement tous les nouveaux vaccins bénéficient d'une autorisation centralisée à l'échelon européen, ce qui constitue un élément de sécurité supplémentaire.
Chaque nouveau vaccin fait automatiquement l'objet d'un plan de gestion du risque. Dans la mesure où ce sont des médicaments biologiques, tous les lots de vaccins sans exception font l'objet d'une libération, c'est-à-dire d'une analyse à la fois documentaire et en laboratoire. Cette libération est réalisée par un réseau de laboratoires européens, dont font partie les laboratoires de l'Agence ; à cet égard nous sommes les premiers en Europe, car nous libérons 40 % des vaccins sur le territoire européen, et 50 % sur le territoire national.
Par ailleurs, les vaccins sont très suivis dans le cadre de plans de vigilance.
Enfin, l'observation montre que les vaccins sont sûrs. Il serait toutefois excessif d'affirmer qu'ils ne comportent jamais de risque : ils sont effectivement susceptibles d'emporter des effets secondaires. Ces effets secondaires sont rares, et, dans la plupart des cas, bénins : de la fièvre, des douleurs, une gêne générale… Il arrive parfois que les conséquences soient sérieuses, mais cela est rarissime.
J'insisterai sur le fait que, lorsque l'on met un médicament sur le marché, on évalue ce qui est appelé le rapport entre les bénéfices et les risques qu'il présente. Le bénéfice-risque des vaccins est en quelque sorte incommensurable. Il n'y a pas photo : vous prévenez des maladies potentiellement mortelles ! Cela doit être mis en balance avec des effets secondaires qui sont rares, et le plus souvent bénins.
Pour exprimer un point de vue plus personnel, j'évoquerai une expérience vécue, avant que j'intègre l'administration française, alors que j'exerçais pour l'association Médecins sans frontières. Je suis intervenu dans divers pays connaissant des situations difficiles où j'ai parfois été confronté à des épidémies de rougeole touchant des populations non vaccinées : 30 % des enfants étaient emportés.
Aujourd'hui nous évaluons le ratio bénéfice-risque sur la base d'une couverture vaccinale existante, alors que nous bénéficions déjà d'une couverture vaccinale non négligeable. Chacun bénéficie de cette couverture, et le vaccin protège à titre individuel, mais il protège aussi la collectivité. Aussi notre raisonnement doit-il être replacé dans son contexte, car, si nous abandonnions ces vaccinations, nous tomberions dans des situations catastrophiques. La ministre vous l'a certainement dit : parce que notre couverture vaccinale est insuffisante pour la rougeole et d'autres maladies, nous connaissons une recrudescence des pathologies. C'est une réalité.
Il faut donc que la couverture vaccinale de chacune des valences soit suffisante pour protéger chaque individu et pour protéger la collectivité : c'est un contrat social auquel nous participons tous.
En tant que directeur général de l'ANSM, j'affirme que les vaccins sont des produits de santé tout à fait sûrs, dont le ratio bénéfice-risque est indiscutable. En revanche, la vigilance sur les effets secondaires doit continuer à s'exercer ; un renforcement de la politique de vigilance est d'ailleurs prévu, avec une rencontre annuelle sous l'égide de la ministre, qui permettra de faire le point sur cette question de façon permanente.
Pour répondre à M. Véran sur les aspects globaux de la rupture médicamenteuse, je dirais que je suis effectivement inquiet. Nous sommes confrontés à une situation qui se dégrade. Il y a une augmentation des situations de rupture, probablement due à la généralisation des flux tendus et au fait que les matières premières, et même les médicaments, sont produits dans des pays qui ne sont pas nécessairement stables et peuvent être en proie à des problématiques climatiques ainsi qu'à d'autres difficultés.
Disposons-nous de réponses globales ? C'est difficile à dire, je ne sais pas me mettre à votre place ; vous l'avez rappelé, plusieurs lois ont été adoptées, mais elles ne suffisent pas. Le sujet devrait être traité sur le plan européen, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, alors que, lorsqu'une rupture survient pour un médicament, elle est souvent de dimension européenne, voire mondiale. Les pays se retrouvent alors en situation de compétition : quel est celui qui trouvera le plus rapidement le médicament de substitution afin de l'importer sur son sol ?
Ainsi nous trouvons-nous en situation de compétition au sein de l'Europe, plutôt que de coopération ; c'est probablement un des missions dont l'AEM doit se saisir.
Vous avez évoqué la possibilité d'une relocalisation des productions sur le territoire européen. Idéalement, je tends à vous suivre, mais les industriels répondront qu'il s'agit d'une question de coûts ; nous entrons là dans un terrain qui n'est pas le mien. En tout état de cause, la sécurisation des lieux de production doit être prise en compte. Toutefois, il ne saurait y avoir une seule solution, et celle-ci ne peut pas être uniquement nationale, mais, a mes yeux, relève plutôt de l'échelon européen.
À M. Dharréville, je répondrai que la politique conduite par les industriels excède quelque peu mon champ de compétence, en dehors de ce que je viens de mentionner. Les entreprises du médicament relèvent du droit privé ; il s'agit d'un monde industriel s'inscrivant dans l'économie qui est la nôtre aujourd'hui. Au demeurant, certains éléments sont très encadrés, comme le prix, la sécurité ou les autorisations.
Très formalisées, nos relations avec les industriels se déroulent dans le cadre de ce qui est appelé comité d'interface, et font l'objet de comptes rendus publics, de façon à garantir le caractère déontologique de nos relations avec nos interlocuteurs.
Il est difficile de porter une appréciation sur la politique même des industriels. Je constate toutefois que notre période connaît de nombreuses innovations, que nous sommes confrontés au rythme de ces innovations ainsi qu'à la question de leur prix. Ainsi est-il de notoriété publique que les nouveaux produits anticancéreux, notamment, atteignent parfois des coûts très élevés, ce qui est susceptible de poser un problème de modèle économique si l'on veut, aujourd'hui comme à l'avenir, assurer l'accès pour tous à ces nouveaux médicaments.
Concilier santé publique et service public signifie à mes yeux que l'Agence est tenue à deux obligations. La première, de santé publique, est la sécurité des patients ainsi que l'accès aux innovations. En second lieu, outre les patients, nous avons des obligations de service public à l'égard des praticiens et des industriels. Nous rencontrons ainsi des problèmes sur les délais d'autorisation particulièrement. Nous éprouvons par ailleurs de grandes difficultés à faire passer nos messages auprès des professionnels de santé. La faute en incombe en premier lieu à l'Agence, nous pouvons la partager avec le Collège de médecine générale ; mais notre capacité à communiquer avec les praticiens reste à construire. L'environnement français est assez complexe, car c'est un grand pays sur le plan démographique, qui comprend plus de 10 000 spécialités, qui a ses propres habitudes dans les pratiques thérapeutiques, et où l'on ne craint pas le « hors AMM ». Il est donc primordial de parvenir à faire passer les informations.
Les obligations de service public consistent à travailler avec les usagers, mais aussi à être capables de transmettre les informations aux professionnels plus que nous le faisons aujourd'hui, et de fournir en temps et en heure aux industriels les autorisations qui sont attendues de nous.
Ces deux obligations doivent être conciliées, car on considère parfois qu'il faut privilégier la sécurité, et que le reste viendra par surcroît. Je pense au contraire que les deux sont liés, et qu'il faut les concilier. C'est là le sens de l'expression « concilier santé publique et service public ».