Le problème de la dette est répandu mais de manière inégale dans la zone euro. La dette se situe en moyenne à 90 % du PIB dans la zone euro et à près de 97 % du PIB en France, tandis que ce taux atteint 187 % en Grèce, 133 % en Italie et 120 % au Portugal.
Les dettes sont faites pour être remboursées et il faut renoncer aux idées généreuses de moratoires. S'agissant de la dette grecque dont on parle depuis tant d'années, la question est de savoir comment on l'allège, comment on en réduit la charge, comment on en diminue le service. Mais quand on commence à parler de haircut, c'est-à-dire de décote, ce sont les citoyens qui sont concernés en bout de chaîne.
Comment nous désendetter ? Comment combiner réduction et partage des risques ? Il faut donner plusieurs impulsions et prendre le problème sous divers angles.
D'abord, il est très important de couper le lien entre la dette souveraine et le secteur bancaire, ce qui est le sens même de l'Union bancaire, conçue dans les années 2012-2013 pour aller vers une supervision du secteur et une résolution bancaire intelligente. Les mécanismes fonctionnent et ils le feront encore mieux le jour où ils s'appuieront sur un fonds, même si ce dernier est un peu différent de celui qu'André Chassaigne appelle de ses voeux. La question de la garantie des dépôts se pose, même si le contexte des élections allemandes ne permet pas d'engager le débat. La Commission européenne veut finaliser l'Union bancaire.
Il faut réduire l'endettement par l'assainissement financier et les réformes. Il existe un lien évident entre le déficit public et la dette. C'est pourquoi il a été établi que le déficit public ne devait pas dépasser 3 % du PIB, niveau à partir duquel la courbe de la dette peut s'inverser. Observons que la moyenne est actuellement à 1,3 %. S'il y avait un lien direct entre l'augmentation des déficits et la croissance, cela se saurait. Les pays qui bénéficient de la plus forte croissance en Europe ne sont pas ceux qui enregistrent les déficits les plus élevés, ni ceux qui sont les plus endettés. Pour ma part, je suis même convaincu que la dette est l'ennemie des services publics. Tout euro consacré au remboursement de la dette est un euro en moins dans le budget que vous allez adopter pour l'éducation, la sécurité, la justice, l'hôpital. Il faut donc des réformes – je vais revenir plus tard sur le rabot.
Il faut relancer la croissance, ce qui passe par l'investissement. Il faut aussi compléter l'union économique et monétaire, afin qu'elle intègre les dimensions politiques, économiques et démocratiques précédemment évoquées. Mais au coeur de tout, il y a la question de la dette. Nous vivons dans un régime de dette – publique et privée – excessive.
Monsieur Abad, vous avez raison de souligner le paradoxe sur la critique et le besoin de l'Europe. Cela étant, il y a une prise de conscience du fait que nous ne pouvons pas avancer sans l'Europe. Monsieur Chassaigne, vous avez fait référence à Victor Hugo. Je ne crois pas que l'Europe soit une grande France mais je pense qu'on ne peut pas construire la France sans l'Europe ni que l'on puisse construire l'Europe sans la France. Les deux dimensions s'articulent de manière tout à fait étroite. Nous avons besoin d'idées françaises pour l'Europe et nous avons aussi besoin d'idées européennes en France. Il nous faut créer cette culture commune.
En ce qui concerne le budget, je n'ai pas à me prononcer sur les moyens. Quelle baisse d'impôt faut-il privilégier ? Quelle coupe faut-il faire dans les dépenses ? Je ne vais pas entrer dans ces débats. En revanche, j'ai la solide conviction que la France doit respecter ses engagements sur la réduction de son déficit nominal et de son déficit structurel, que ce soit en 2017, en 2018 ou au cours des années suivantes.
Je persiste aussi à penser qu'une réduction de la dépense publique maîtrisée et intelligente est une voie à privilégier. J'en ai fait l'expérience à plusieurs niveaux, ayant été un parlementaire comme vous, ministre des finances puis commissaire. Mon message ne s'adresse d'ailleurs pas seulement à la France.
En Europe, nous essayons de mettre en place des examens de dépenses – des spending reviews. On peut faire des choses plus intelligentes en procédant à des examens par politiques plutôt qu'en donnant des coups de rabot. Avec cette dernière technique ont réduit uniformément les dépenses mais, à un moment donné, on arrive à l'os et on est obligé de trancher dans le vif. Ce n'est pas la meilleure méthode. Il faut inventer – et pas seulement en France – une gouvernance budgétaire plus intelligente et plus structurelle. Les réformes structurelles ne font pas forcément mal ; elles ne sont pas punitives ; elles privilégient ce qui prépare l'avenir. En la matière, le maître mot est l'investissement, tout ce qui concourt à développer le capital humain. Il faut, sans aucun doute, un changement de méthode.
Vous m'avez aussi interrogé, Monsieur Abad, sur la filière équestre dont je suis conscient des difficultés pour avoir rencontré ses responsables lorsque j'étais à Bercy. Lorsque je suis allé au salon de l'agriculture, j'ai choisi le stand de cette filière. Mes services ont aidé les autorités françaises à utiliser toutes les flexibilités permises par la directive TVA pour autoriser l'usage le plus large possible du taux réduit dans le secteur équin. Cependant, en l'état actuel du droit européen, il n'est pas possible d'aller au-delà.
L'an dernier, j'ai proposé une réforme ambitieuse de la TVA au niveau européen, permettant d'octroyer une plus grande autonomie aux États membres dans l'utilisation des taux réduits. Je pense que la liste ne doit pas être fixée à Bruxelles. Il faut décentraliser et rendre cette compétence aux États membres. Je souhaite sortir de la situation ubuesque actuelle : l'unanimité empêche toute mise à jour de la liste des produits éligibles au taux réduit de TVA. Je travaille à une proposition législative qui devrait être adoptée par la Commission européenne d'ici à la fin de l'année. Elle permettra au Gouvernement français de dire ensuite ce que sont ses propres priorités.