Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du jeudi 27 juillet 2017 à 10h00
Commission des affaires européennes

Pierre Moscovici, Commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'Union douanière :

Nous nous intéressons de près au canal Seine-Nord Europe. Soyez consciente, Madame Deprez-Audebert, que la participation européenne de 40 % est déjà très élevée. Le plan Juncker est une voie à explorer. Il faut sans doute passer par la Commission européenne, par la Banque publique d'investissement (BPI) et la Banque européenne d'investissement (BEI). M. Ambroise Fayolle, vice-président de la BEI, suit ces affaires pour la France. Cela étant, le plan Juncker sert effectivement à aider au financement d'infrastructures mais aussi de projets de PME qui concourent à l'avenir.

Le plan Juncker est une formidable réussite : plus de 200 milliards d'euros ont déjà été investis sur le montant de 315 milliards d'euros prévu jusqu'à la mi-2018. La France est leader en la matière, que ce soit pour les grands projets ou ceux des PME. Je regrette que nous n'ayons pas les moyens de faire plus de publicité sur tout ce que cela a déjà apporté à nos territoires. Sans vouloir susciter d'espoirs injustifiés ou retirer au Gouvernement français sa propre responsabilité, je signale que la porte est ouverte et qu'il est possible de discuter.

Monsieur Chassaigne, il est vrai que l'aide aux banques a été massive. Il ne faut pas perdre de vue qu'elle visait aussi à sauver l'épargne des citoyens. Dans la zone euro, personne n'a perdu d'argent sur son compte en banque au moment de la crise, contrairement à ce qui s'est passé aux États-Unis. Ces plans ont produit ensuite des retours très importants.

Cela étant, je vous l'accorde, on ne peut pas rester dans l'épure budgétaire actuelle. Je plaide pour un budget de la zone euro parce que je pense que nous avons besoin d'une capacité d'investissement beaucoup plus importante, d'un bazooka d'investissements, afin de réduire les divergences qui existent encore au sein de la zone euro entre les pays, au sein des pays, entre les citoyens. En tant que parlementaire dans votre assemblée, j'ai été élu d'une région ouvrière où le Front national tangentait encore le taux de 50 % lors des dernières élections présidentielles ; je sais ce que peut ressentir un ouvrier de Sochaux à l'égard de la mondialisation. L'existence d'un tel outil est décisive et nous en discutons dans le cadre du débat sur l'Union économique et monétaire.

Peut-on transformer le budget actuel, qui représente 1 % de la richesse créée dans l'Union européenne ? Dans un univers parfait, on ne devrait pas se contenter de cela. Le fédéralisme budgétaire supposerait que l'on soit au-dessus du taux de 3 %. Dans un système où ce sont encore les États membres qui alimentent le budget, nous nous heurtons à des limites.

Cela nous conduit tout d'abord à vous engager à mener dès maintenant une réflexion sur ce qu'on appelle les ressources propres de l'Union européenne. Sous l'égide de Mario Monti, un groupe de travail – auquel j'appartenais – a rendu un très bon rapport qui offre une boîte à outils en la matière.

J'invite aussi la représentation nationale à se montrer vigilante en ce qui concerne les cadres pluriannuels financiers futurs pour les années 2020 et suivantes. Je vous incite notamment à choisir vos priorités : innovation, cohésion, éducation, recherche, etc. Il est important de défendre une stratégie dans le cadre des limites de l'épure, tout en étant conscient que ce seront les prévisions pluriannuelles les plus compliquées de l'histoire à établir compte tenu de la perte d'un État membre contributeur net, la Grande Bretagne, et de l'augmentation des contraintes : la défense, l'accueil de réfugiés, l'innovation, la recherche, le maintien de la politique agricole commune (PAC), le renforcement de la cohésion. À un moment, il faut faire entrer l'édredon dans la valise, ce qui conforte mon idée sur la nécessité d'avoir un budget d'investissement.

À la fin de mon passage à la Commission européenne, j'espère avoir fait en sorte que l'appréhension des politiques budgétaires soit un peu plus intelligente que par le passé, c'est-à-dire que l'on ait introduit de la flexibilité. Je suis très heureux que nous n'ayons pas infligé des amendes à l'Espagne et au Portugal durant l'été dernier. Cela aurait été stupide. Je suis très content que l'Italie ne soit pas en procédure pour déficit excessif et je pense qu'il faut que la France trouve les moyens de respecter ses engagements. L'austérité n'est pas une solution. Sanctionner et punir ne sont pas les attitudes les plus intelligentes.

J'espère aussi que la Grèce va vraiment sortir la tête hors de l'eau, comme elle en prend le chemin. Vous parliez de dette, Monsieur Mendes. Pour le coup, je pense qu'il faut traiter la question de la dette grecque. On ne peut pas en rester à la situation actuelle. Il faudra voir comment il est possible d'alléger la dette grecque au-delà du programme qui s'achève en 2018.

J'espère enfin que nous aurons mis en place des mécanismes qui fassent reculer l'évasion fiscale de manière très sérieuse. C'est une vraie cause pour la Commission européenne et j'ai l'intention de continuer à aller dans cette direction.

Madame Auconie, vous m'avez interrogé sur l'image de l'Europe. Il n'y a pas de mystère. Il arrive que l'on entre dans la politique tout à coup mais on peut aussi y être depuis un certain temps. Pour ma part, j'appartiens à une formation politique, même si on ne peut pas dire que je la fréquente tous les jours. Je suis socialiste et, pendant vingt ans, j'ai exercé des responsabilités politiques de diverses natures – locales, nationales, européennes – dont je suis fier. À présent, je suis à la Commission européenne. Nous sommes vingt-huit collègues – quatorze conservateurs, huit socialistes, cinq libéraux et un Britannique qui est aussi conservateur – et nous fonctionnons au compromis. Nous essayons de trouver des accords entre nous. Je connais mes collègues et je les respecte même quand je ne partage pas leurs convictions. Vous en avez cité trois qui ne partagent pas mes convictions.

Jean-Claude Juncker, je l'ai rencontré pour la première fois il y a plus de vingt ans, à une époque où il était Premier ministre du Luxembourg. Il faut sortir des idées reçues et ne pas abuser des slogans. C'est un homme pont : il est un pont entre la France et l'Allemagne, entre la démocratie chrétienne et la social-démocratie. C'est un homme qui a une sensibilité sociale beaucoup plus développée que bien d'autres, y compris dans les partis que je connais. Je n'ai pas à me prononcer sur ce que le Premier ministre du Luxembourg a fait du business model luxembourgeois. En revanche, je peux dire que le président de la Commission européenne ne m'a jamais freiné dans mon action de commissaire à la fiscalité. Il m'a, au contraire, choisi en connaissance de cause. Il savait que j'avais suivi ces sujets en tant que ministre des finances. Aucun dossier n'a fait l'objet d'un blocage dans cette commission. Dans le cas du reporting par pays, contrairement à Jean-Claude Juncker, beaucoup de commissaires ne souhaitaient pas la transparence.

Mon collègue hongrois appartient, certes, au parti de M. Orbán, mais ce n'est pas trahir un secret que de dire que, lors de nos délibérations, lorsque nous abordons des sujets relatifs à la liberté, l'éducation ou la culture, il adopte une position européenne.

La commission Juncker est comme toute entité humaine, constituée de gens très forts et d'autres qui le sont moins, de personnes sympathiques et d'autres qui le sont moins. C'est un bon groupe où, honnêtement, les gens tirent dans le même sens. J'ai un très grand plaisir à en faire partie, aux côtés de collègues qui ont des convictions politiques très différentes. Il ne faut pas se livrer à des attaques un peu faciles.

S'agissant de M. Barroso, pour lequel j'ai le plus grand respect, j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur son recrutement. Que le président d'une institution soit allé dans une banque qui avait été impliquée dans l'affaire grecque à un moment donné, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus approprié. Je l'ai dit et redit et je le répète ici. En même temps, il a aussi contribué à l'action de la Commission européenne. Notez d'ailleurs que les décisions de la Commission sont collectives et non pas individuelles. Je suis un commissaire social-démocrate mais je ne prends pas les décisions tout seul. Chaque décision a été adoptée à l'unanimité.

Vous n'avez pas eu l'occasion de poser votre question – très importante – sur l'influence française. À la Commission européenne, nous veillons à l'influence française qui est plutôt bonne : il y a sept directeurs généraux français – ce sont les plus nombreux – ; le management est assez largement français ; les Français sont très présents dans les cabinets, y compris dans celui du président, même si nous avons moins de chefs de cabinet que les Allemands. En revanche, vous devez être vigilants sur la présence du français dans les institutions européennes. Reconnaissons que le reflux est extrêmement préoccupant dans ce domaine. Quand vous avez, comme moi, le recul d'une vingtaine d'années, vous constatez une chute vertigineuse de l'usage de la langue française. Avec le Brexit, théoriquement, la langue de l'Union européenne est le français avec l'allemand. Il faut y veiller de manière sérieuse.

Madame Obono, vous m'avez interrogé sur l'harmonisation fiscale, sujet tout à fait décisif. En la matière, les limites tiennent à nos procédures de décision et à nos compétences. Dans le registre fiscal, les décisions doivent être prises à l'unanimité, ce qui constitue une très puissante limite. En outre, nous n'avons pas de compétence sur les taux. Je peux avoir mon sentiment – qui peut d'ailleurs être le même que le vôtre – sur les taux d'imposition de tel ou tel pays de l'Union européenne. En tant que commissaire, je suis obligé de concéder que nous n'y pouvons rien, que nous ne pouvons pas y toucher.

Venons-en à l'assiette commune consolidée, essentielle pour que nous puissions offrir un cadre commun aux entreprises. La déclaration commune permettra aux États membre de vérifier les bénéfices par pays des entreprises. La mise en place de cette ACCIS constituera une première étape vers une harmonisation qui ne dit pas son nom.

S'agissant des taux, on peut tout de même définir des seuils minimums, des fourchettes. Le travail effectué par mes services et ceux de la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, vise à définir un taux effectif. Il s'agit de faire en sorte qu'il n'y ait pas de taux zéro, d'entreprises qui ne paient pas des impôts appropriés et qui seraient donc considérées comme bénéficiant d'une aide d'État, comme c'est le cas pour Apple en Irlande. À l'issue de nombre d'enquêtes menées par les services de la commissaire à la concurrence, nous avons pu au moins imposer ce taux effectif qui n'est pas un taux minimal.

Pour terminer, j'en viens à la taxe sur les transactions financières qui n'est plus une affaire de la Commission puisque sa proposition n'a pas abouti. Onze États membres, dont la France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, ont proposé une coopération renforcée. J'étais à l'origine de cette initiative avec mon homologue allemand, Wolfgang Schäuble, entre la fin de 2012 et le début de 2013. Nous avons beaucoup travaillé depuis trois ans. En l'état de l'art, si on veut, on peut. Un projet est pratiquement prêt. Comme il ne regroupe que des pays de la zone euro, il ne dépend pas du Brexit dont il faut, malgré tout, examiner les impacts économiques et financiers. À titre personnel et en tant que participant à cette coopération renforcée où la Commission est présente, je continue de penser que l'instauration d'une taxe sur les transactions financières reste un objectif politique tout à fait souhaitable, à un moment où l'on constate le caractère crucial des défis du développement, de la lutte contre le réchauffement climatique. Je ne peux qu'encourager les différents États membres à avancer. S'ils le font, nous sommes disponibles pour avancer avec eux.

Je continue de croire à la pertinence de cette taxe, même s'il ne faut pas négliger les obstacles nés du Brexit. On peut gérer le calendrier et intégrer le Brexit dans la réflexion mais il ne faut pas tuer la taxe sur les transactions financières. En outre, cette taxe peut faire partie des ressources propres d'un budget de la zone euro, permettant d'investir davantage. Voilà une ressource disponible. André Chassaigne a parlé des banques. Il ne paraît pas totalement illégitime que le secteur financier contribue à la lutte contre le réchauffement climatique et au développement.

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