Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du mardi 25 juillet 2017 à 14h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Madame Dumas, votre question est très importante. J'ai indiqué que le périmètre de la régulation devait être remis en question, mais le temps ne m'a pas permis de souligner un autre point : nous n'avons pas de compétences directes sur de nombreux aspects de cette régulation. C'est le cas des droits d'auteurs, mais également de la chronologie des médias, dont nous parlons beaucoup en ce moment. Nous ne pouvons même pas assister aux réunions de dialogue sur cette question, qui est pourtant un facteur très important de l'équilibre entre les acteurs de la communication audiovisuelle et leur financement.

De la même façon, d'autres aspects financiers, touchant par exemple à la contribution à l'audiovisuel public, n'entrent plus dans nos compétences depuis la loi de janvier 2017, alors qu'aux termes de la loi de septembre 1986, nous pouvions émettre des avis.

Or, c'est l'essence même d'une régulation que de pouvoir, face à un secteur complexe, prendre la mesure de tous les aspects de la vie de ce secteur. Précisément, et comme je l'ai indiqué, l'audiovisuel est une chaîne de valeurs, au sens économique et culturel. Nous ne devons donc pas nous enfermer dans un dialogue avec les éditeurs : nous devons également veiller à l'équilibre économique et culturel de tous les autres acteurs – ayants droit en amont, scénaristes, producteurs, distributeurs, publicitaires avec leurs régies, car c'est là que se situe la source essentielle de financement de l'audiovisuel.

S'agissant des droits d'auteurs, nos pouvoirs gagneraient à être précisés. La législation européenne qui nous régit procède en effet de sphères très différentes : certains textes, résolutions, directives, recommandations sont relatifs aux droits d'auteurs, d'autres au droit des télécommunications, d'autres encore aux services de médias audiovisuels. Des commissions et des parlementaires différents s'occupent de chacun de ces sujets, ce qui explique nos difficultés à mettre en place, avec eux, une approche transversale.

Le respect du droit d'auteur figure parmi les finalités de la loi du 30 septembre 1986 modifiée. Nous ne sommes donc pas incompétents. D'ailleurs, nous sommes déjà intervenus, par exemple lorsqu'un opérateur a emprunté, sans lui en demander l'autorisation, le signal d'un autre pour diffuser une manifestation sportive. Selon notre interprétation, nous pouvons également intervenir, si nous sommes directement saisis, au titre de notre procédure d'avertissement, voire de sanction. Mais, en l'absence de saisine directe, il nous faut l'accord des parties pour intervenir, car le litige demeure, à ce stade, un litige de droit privé, et n'ouvre pas ainsi droit à l'intervention directe d'une autorité publique, sauf habilitation législative.

Pour répondre plus directement à votre question, effectivement, nous souhaiterions que cette possibilité nous soit ménagée. En effet, nous nous préoccupons très vivement de l'équilibre économique de certains acteurs très importants de la création audiovisuelle, dont la rémunération n'est pas toujours à la hauteur de la plus-value qu'ils apportent.

Madame Essayan, nous attachons une grande importance aux émissions populaires comme Touche pas à mon poste. Nous sommes bien conscients qu'il est des degrés d'humour admissibles. Néanmoins, il est toujours délicat pour nous de distinguer entre ce qui peut ou doit être perçu au premier ou au second degré, car, malheureusement, selon les publics, la perception peut être différente. Du reste, c'est toujours le droit à l'humour que nos interlocuteurs invoquent lorsqu'ils se défendent d'avoir enfreint la loi… Mais pour reprendre le parallèle avec l'école, si des jeunes assistent dans la cour à des agissements gravement préjudiciables – propos sexistes, homophobes par exemple –, auront-ils le recul nécessaire pour ne pas les reproduire ? Faut-il aller jusqu'à une intervention a priori ? J'aurais tendance à renvoyer cette question au Parlement, le CSA ne disposant actuellement que d'un pouvoir d'intervention a posteriori, une fois la diffusion effectuée. Il peut y avoir des exceptions à cette règle, mais c'est à vous d'en décider. Le CSA, pour sa part, est tenu d'agir dans le cadre juridique qui est le sien. Pour autant, dans l'exemple que vous citez, la résonance de l'intervention du CSA a des vertus pédagogiques : si des anomalies sont décelées, l'intérêt bien compris des opérateurs peut être de ne pas y revenir.

Madame Le Grip, ce n'est pas au CSA d'intervenir dans la programmation d'émissions de fiction, d'information politique et générale ou de débats des chaînes de télévision ou stations de radio. Nous n'avons absolument pas à dire s'il est bien ou mal de faire appel, plus ou moins fréquemment, à certains chroniqueurs ou chroniqueuses de la vie publique ou intellectuelle. Au regard du pluralisme, notre seul devoir est de faire respecter l'équilibre général, par formation et personnalité politiques, entre les différentes tendances de pensée.

Les deux cas précis sur lesquels vous m'avez interrogé sont sensibles. Ce n'est pas le fait qu'un chroniqueur bien connu ait soutenu des opinions, qu'il exprime du reste par bien d'autres moyens et avec l'audience que vous avez soulignée, qui explique la décision du CSA. Ce sont deux autres éléments dont je peux parler car nous ne sommes plus en cours d'instruction, la décision étant derrière nous.

En premier lieu, ce chroniqueur a soutenu que la lutte contre la non-discrimination était un phénomène qu'il a décrit comme pernicieux. Il s'est inspiré pour cela de la critique des valeurs de notre État de droit, telles qu'elles sont exprimées par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, celle du Conseil d'État et celle du Conseil constitutionnel. Or le législateur a explicitement donné pour mission au CSA de lutter contre la discrimination. Nous avons donc considéré que nous étions dans notre sphère d'intervention.

En second lieu, nous veillons à ce que même des opinions contradictoires avec l'énoncé de nos missions soient contrebalancées par la « contextualisation ». L'opinion, la chronique, la déclaration doivent être remises dans leur contexte, et son auteur doit manifester qu'elles n'ont qu'une portée relative et peuvent être contredites. C'est ce qui nous permet de considérer que le pluralisme a été respecté. Ici, l'organisateur des chroniques n'a marqué aucune réticence sur le sens et le contenu de ce qui avait été exprimé et manifestement très soigneusement préparé. Ce sont ces deux considérations cumulées qui nous ont conduits à estimer qu'il y avait lieu, non pas à sanction, mais à avertissement. Nous nous sommes considérés – à juste titre ou pas – comme les interprètes de la volonté du législateur.

J'en viens à notre décision de juin 2015 relative au clip faisant intervenir des enfants trisomiques, qui a été considérée comme une remise en cause du choix de ces familles. Ce fût un moment professionnel et personnel extrêmement douloureux. Jamais le CSA n'a eu l'intention d'émettre le moindre jugement sur les choix individuels que sont amenés à faire les parents confrontés à de telles situations. La seule question à laquelle nous avions à répondre était formelle : des reportages de ce type devaient-ils figurer dans les plages dites « publicitaires » – je vous prie de bien vouloir excuser ce terme compte tenu de la nature du sujet – ou plutôt dans celles dédiées aux informations d'intérêt général ? Nous n'avons émis aucun jugement de fond, nous ne nous le serions pas permis : nous avons traité un simple problème d'application de la réglementation. Il serait d'ailleurs utile que la loi ou un règlement précise ce point : de quel type de programme ces messages sociaux ou sociétaux, mettant en avant des situations douloureuses pour les familles et les jeunes concernés, doivent-ils relever ? Je vous prie de croire, madame la députée, que le CSA n'a jamais voulu exprimer une réaction négative à l'égard de ces jeunes et de leurs parents.

Monsieur Larive, vous m'interrogez sur l'attitude du CSA face à d'éventuelles pressions, en évoquant la financiarisation et la programmation. S'agissant de cette dernière, je le répète, le CSA n'est pas compétent en la matière. Concernant la financiarisation, lorsque le CSA a été conçu comme une autorité indépendante et impartiale, c'était clairement à l'égard tant du pouvoir politique qu'économique ! Lorsque nous avons dû prendre des décisions à l'encontre de grands groupes, nous n'avons jamais hésité à le faire – je ne les citerai pas, mais vous les avez tous à l'esprit. Ainsi, nous avons répondu par la négative à TF1 sur certaines questions, mais positivement sur d'autres. Le fait que cette entreprise soit le plus gros opérateur audiovisuel privé français n'a nullement influé sur nos décisions.

Sommes-nous légitimes à exercer nos responsabilités ? C'est au Parlement d'en décider ! Dès lors qu'il nous confie cette mission, nous la remplissons avec une haute conscience de nos devoirs, sans subir de pressions économiques, et sans admettre même qu'une telle pression puisse nous être imposée. Pour autant, beaucoup d'autres formes de contrôle sont possibles… Chacune présente ses inconvénients.

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