Intervention de Stéphane Travert

Réunion du mercredi 26 juillet 2017 à 16h30
Commission des affaires économiques

Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Et la crise du lait, en effet, sur laquelle je reviendrai ; je reconnais là l'esprit normand, Monsieur le député, que j'ai grand plaisir à retrouver dans cette salle.

Il faut gérer le court terme, notamment restaurer, dans les plus brefs délais, la confiance dans la parole de l'État en respectant les engagements pris quant aux dates de versement des aides, comme je l'ai indiqué tout à l'heure en réponse à une question d'actualité. En effet, c'est une question essentielle pour nous : elle tient non seulement au respect de la parole de l'État mais aussi à celui de la parole publique, qui nous concerne tous en tant que responsables politiques. Cette gestion du court terme est donc très importante.

Il y a aussi la gestion du moyen terme : c'est redonner des perspectives financières à nos agriculteurs en renforçant leur position dans les négociations que nous allons entamer à l'automne avec les transformateurs et les distributeurs. Le Président de la République l'a dit à de nombreuses reprises : il faut que les agriculteurs soient payés au juste prix pour vivre dignement.

Et il y a la gestion du long terme. C'est le chantier de la politique agricole commune (PAC) et de son financement, qu'il faudra conjuguer avec le cadre nouveau que constitue le défi du Brexit ; c'est aussi le chantier du droit européen en matière de concurrence. La main invisible du marché ne saurait être notre seule boussole. Nos agriculteurs ne sauraient être livrés aux seules forces de ces marchés.

Et il reste le très long terme : notre société est traversée par des débats de nature philosophique sur la nature de notre alimentation, sur la consommation de la viande, sur le bien-être animal et sur le nécessaire respect de la biodiversité, qu'il faut conjuguer avec celui de la condition de nos agriculteurs. Je pense à cet égard à la difficile question de la cohabitation du loup et de l'élevage dans les massifs montagneux, entre autres. Il est essentiel de répertorier les sujets et leur temporalité pour bien les traiter, et les traiter au fond.

Quel est le constat chiffré ? En termes de poids économique et social, le secteur agricole et agroalimentaire représente à lui seul 11 % du produit intérieur brut et emploie 1,2 million de personnes. La France est le premier bénéficiaire des aides de la politique agricole commune, avec 9 milliards d'euros, mais aussi la première puissance agricole et agroalimentaire en Europe. Ces secteurs demeurent structurellement exportateurs, avec un excédent commercial de plus de 9 milliards d'euros en 2016, 60 % de ces exportations étant destinées à l'Union européenne.

Malgré tous ces atouts, l'agriculture et l'alimentation doivent faire face à des difficultés connues : reconnaissons que les chiffres des revenus, publiés il y a quelques jours, sont mauvais, voire très mauvais dans certaines filières. Le résultat net par actif a chuté de 21,9 % par rapport à 2015. La valeur ajoutée brute de la branche agricole a baissé de 8,4 % en 2016 par rapport à l'année précédente ; c'est un recul très marqué, alors que ce taux était positif au cours des deux dernières années. Les filières peinent à s'organiser et à se structurer de manière efficace, et le dialogue entre les différents maillons est souvent insuffisant. Nos exportations restent dominées par les vins, les spiritueux, les céréales et les produits laitiers. En dix ans, la France a glissé de la troisième à la sixième place des pays exportateurs de produits agroalimentaires. Certains secteurs, en particulier l'élevage, connaissent des retards d'investissement, notamment pour assurer leur nécessaire compétitivité. Le poids économique des industries agroalimentaires dans les outre-mer est encore fortement concentré sur quelques filières structurantes. La gestion des risques constitue un défi et une urgence pour nous, afin de faire face aux menaces naturelles. La recherche française est au meilleur niveau international et pourtant, les liens avec l'enseignement supérieur et le monde économique ne sont pas suffisants pour augmenter la création de valeur et se prémunir contre les aléas. En dépit d'un marché de l'emploi porteur, les métiers et les formations de ce secteur souffrent souvent d'un manque d'attractivité. Enfin, la succession des crises, parfois conjoncturelles, souvent structurelles, fragilise de nombreux acteurs et altère davantage l'activité et l'attractivité des métiers. L'enjeu social doit être au coeur de nos préoccupations pour chacun des maillons de la filière. J'attache une importance particulière au développement de ce volet social dans l'agriculture.

Une fois dressé et partagé le constat de nos atouts et de nos fragilités, quel est notre cap et comment le concilier avec l'urgence à laquelle nous faisons face ? L'urgence, d'abord : l'urgence est de redonner confiance dans l'action des pouvoirs publics. Cette confiance a été altérée par les retards de paiement des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), notamment. Je me suis personnellement déplacé dans les bureaux de l'Agence de services et de paiements (ASP), à Montreuil, pour faire passer le message adéquat. Un calendrier visant à résorber les retards est désormais en place et je ferai tout pour qu'il soit respecté.

Si régler l'urgence est important, penser l'avenir l'est tout autant. C'est pour penser l'avenir que, conformément aux engagements pris par le Président de la République, nous avons lancé le 20 juillet dernier les états généraux de l'alimentation. Cette démarche innovante et transversale associe de nombreux membres du Gouvernement : santé, économie, environnement, enseignement supérieur, affaires européennes et recherche. Je souhaite également mobiliser les parlementaires, les experts, les filières, les transformateurs et les distributeurs. Je remercie d'ailleurs les parlementaires qui ont largement contribué à la réussite des débats de jeudi dernier. Nous mobiliserons les deux extrémités de la chaîne, c'est-à-dire les producteurs et les consommateurs.

Ces états généraux de l'alimentation seront d'abord consacrés à la création et à la répartition de la valeur. On entend souvent parler de la nécessité de mieux répartir la valeur, et j'en suis profondément convaincu. Cependant, si l'on veut aboutir sur ce sujet capital, il faut aussi trouver les voies et les moyens d'accroître la création de valeur. Pour cette raison, j'attache beaucoup d'importance à ce que les deux facettes du chantier de la valeur fassent l'objet d'un travail simultané lors des états généraux de l'alimentation. Les premières orientations réglementaires et, le cas échéant, législatives, seront connues dès la fin des états généraux et viseront notamment à renforcer le rôle des organisations de producteurs dans la perspective des futures négociations commerciales.

Dès la rentrée, nous poursuivrons le travail sur les questions alimentaires. Comment garantir une alimentation plus saine, plus sûre, plus durable et accessible à tous ? Beaucoup a déjà été fait, mais nous devons sans cesse monter en gamme pour conserver et accroître notre excellence. Les questions sociétales, la sécurité sanitaire ou le gaspillage trouveront aussi toute leur place dans les états généraux de l'alimentation.

Pour conclure, je souhaite vous affirmer une conviction que j'ai chevillée au corps. Sans production, il n'y a pas de transformation ; sans transformation, pas de mise au marché ; sans marché, pas de création d'emplois ni de répartition des richesses ; sans qualité des produits, il n'y a pas de fidélisation des consommateurs ; sans agriculteurs, enfin, il n'y a pas de territoires ruraux. Si j'affirme ces convictions devant votre commission, c'est parce que je sais combien vous êtes attachés à ces territoires ruraux. Je viens moi-même d'un territoire rural, le département de la Manche, qui est l'un des premiers bassins laitiers d'Europe. Je sais à quel point le maillage de notre agriculture donne une richesse, une âme, une identité à ces territoires. Je sais les efforts que nous devons consentir pour que celles et ceux qui assurent le maillage et aménagent ce territoire puissent effectuer leur travail au quotidien. Nos éleveurs et nos agriculteurs se lèvent tôt le matin, travaillent durement et longtemps pour, à la fin, gagner peu. Qui peut continuer d'accepter qu'en France, une personne travaillant soixante-dix heures par semaine se contente d'un revenu équivalent à 400 euros par mois ? Personne. Dès lors, notre seule boussole, c'est de mettre tout le monde autour de la table – distributeurs, transformateurs, producteurs – et de renforcer ce triptyque dans un seul but : trouver des accords gagnants pour tous, étant entendu que chacun devra prendre ses responsabilités. L'État peut apporter sa contribution en matière réglementaire et législative et formuler des propositions, mais l'État et le Gouvernement constituent un ensemble lié qui ne doit pas faire oublier que tous les acteurs participant aux états généraux de l'alimentation ont une responsabilité éminente pour trouver des solutions. Nous sommes là pour les fédérer, les faire travailler ensemble et sortir de cette espèce de culture du conflit qui prévaut et qui veut qu'à chaque négociation, il y a toujours un des acteurs qui en sort broyé. Je crois à la culture du compromis, car elle peut permettre à chacune et à chacun de sortir d'une négociation la tête haute. Nul n'est naturellement ennemi de son porte-monnaie ni de ses finances, mais qu'est-ce qui nous anime aujourd'hui ? C'est de veiller à ce que nos agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail, que nos transformateurs dégagent suffisamment de marges pour payer leurs salariés et investir, que les distributeurs continuent à faire leur métier, c'est-à-dire la promotion des produits et l'animation des territoires afin de valoriser les productions et le travail de nos éleveurs.

Au milieu de tout cela, il y a l'innovation et la formation. Nous devons faire entrer notre agriculture dans le XXIe siècle. De ce point de vue, l'innovation et la formation sont des enjeux capitaux. La France a l'agriculture la plus belle et la plus performante du monde. Nous sommes observés à l'étranger pour ce que nous défendons dans le domaine agricole. La semaine dernière, j'ai participé à mon premier Conseil européen de la pêche et de l'agriculture, et j'ai vu à quel point la voix de la France est attendue sur ce volet. La PAC reste le creuset de la construction européenne. C'est la première des politiques communes. Pour déployer une politique agricole ambitieuse, nous devons mettre tous les moyens de notre côté.

C'est à ces objectifs que je souhaite travailler avec vous en écoutant chacun d'entre vous, dans le respect de la diversité de vos sensibilités. Personne ne doit être oublié sur aucun territoire. Tels sont les engagements que je prends devant vous. Le défi est immense et, qui plus est, urgent pour de nombreuses filières et de nombreux agriculteurs. Nous sommes au travail depuis un mois ; nous allons le poursuivre. (Applaudissements.)

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