Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 6 juillet 2017 à 9h30
Prorogation de l'état d'urgence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Le principe même de l'état d'urgence et son utilité sont complètement dévoyés à partir du moment où il est prorogé pendant plusieurs mois et même depuis plus d'un an.

Les statistiques transmises par le ministère de l'intérieur donnent la même information : plus le temps passe, moins nombreuses sont les interventions menées grâce aux moyens de l'état d'urgence. C'est ainsi que, dans sa missive à Emmanuel Macron, le collectif de onze organisations non gouvernementales, dont Amnesty International et le Syndicat de la magistrature, a relevé : « L'état d'urgence ne favorise en rien la protection de nos concitoyens et empêche au contraire de concevoir une réponse de long terme à la menace du terrorisme international. » Il ne s'agit ni de gauchistes ni d'irresponsables mais de personnes qui ont en tête les dangers et les responsabilités.

Cette affirmation fait également écho au bilan dressé par la commission des lois en décembre 2016 dans le cadre du contrôle parlementaire et par des autorités indépendantes comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme ou encore le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe.

En contournant la justice antiterroriste, en épuisant les forces de sécurité, l'état d'urgence perpétué pendant plusieurs mois s'avère non seulement inefficace mais encore contre-productif. Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été donnés : les quelque 4 500 perquisitions administratives menées n'ont débouché que sur une vingtaine à peine d'enquêtes ouvertes pour association de malfaiteurs à but terroriste. Les conclusions du rapport parlementaire que j'ai cité montrent aussi cette faible proportion des perquisitions ayant donné lieu à des suites.

Rappelons en outre que les huit lois antiterroristes des trois dernières années s'inscrivent dans un corpus de plus de trente lois, depuis le premier texte de septembre 1986, qui a mis en place des procédures particulières pour lutter contre le terrorisme. Nous ne vivons donc pas dans un vide juridique ni sécuritaire, bien au contraire. La fin de l'état d'urgence ne signifie pas que nos services de sécurité n'auront pas les moyens de mener leurs missions à bien. Ces lois nécessiteraient d'ailleurs, au rythme avec lequel elles sont adoptées, de faire l'objet d'une mise à plat, d'une réflexion plus large sur la nécessité de les adapter, en fonction de ce qui marche et de ce qui ne marche pas, plutôt que de se précipiter à nouveau, comme il l'est proposé aujourd'hui, non seulement pour proroger l'état d'urgence, mais aussi intégrer dans le droit commun encore plus de situations dérogatoires et attentatoires aux libertés.

Par ailleurs, on ne peut pas dire que l'état d'urgence ne remette pas en cause les libertés publiques et démocratiques dans notre pays. D'ailleurs, la France le reconnaît elle-même, lorsqu'elle réactive l'article 15 de la convention européenne des droits de l'homme, lequel lui permet de déroger aux droits humains fondamentaux. On ne peut pas donc dire que l'état d'urgence n'est pas une atteinte aux libertés publiques et démocratiques.

Si aucun bilan de l'efficacité de l'état d'urgence n'existe, un autre a montré qu'il fait reculer les libertés. Depuis un an et demi, les préfets ont eu recours aux pouvoirs de l'état d'urgence pour signer 155 arrêtés interdisant des rassemblements, soit un tous les trois jours, et pour restreindre la liberté de 639 personnes, dont 574 dans le cadre du mouvement contre la loi travail. En 2016, 40 % des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence ont été contestées devant un tribunal et déclarées illégales. L'État remet donc largement en cause un certain nombre de libertés.

Enfin, le problème le plus important, si l'on a vraiment à coeur de construire l'unité de la société contre les divisions et la violence, renvoie à l'atmosphère de suspicion généralisée et à la stigmatisation des militants associatifs et écologistes, mis en cause et assignés à résidence, mais également d'une partie de nos concitoyens de confession musulmane. L'instrumentalisation des événements tragiques et la confusion systématique entre une religion et des actes violents entretiennent un climat délétère pour l'ensemble de la société.

On observe une fragilisation du lien social et des libertés démocratiques, là où il devrait y avoir plus de droits et plus de libertés. Plus que jamais, on devrait veiller aujourd'hui au respect du droit à la sûreté – un des droits fondamentaux de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 –, qui garantit à tout citoyen une protection contre l'arbitraire de l'État,

1 commentaire :

Le 07/07/2017 à 23:00, Laïc1 a dit :

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"Plus que jamais, on devrait veiller aujourd'hui au respect du droit à la sûreté – un des droits fondamentaux de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 –, qui garantit à tout citoyen une protection contre l'arbitraire de l'État,"

On est ici en plein sophisme, le soit-disant arbitraire de l'Etat est justement là pour lutter contre les attentats contre la sécurité et la sûreté.

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