Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 11 juillet 2017 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Je vous remercie, madame la présidente, pour vos compliments auxquels je suis sensible. J'essaierai, pendant cette nouvelle mission, d'être digne de ce que j'ai pu faire dans le passé.

Je suis effectivement un habitué de ces lieux, où j'ai été entendu bien des fois par la commission de la défense nationale et des forces armées et, aussi, par celle des Affaires étrangères. Passer du ministère de la défense au ministère de l'Europe et des affaires étrangères – en quelque sorte de l'art de la guerre à l'art de la paix – ne rend pas les crises moins prégnantes ; c'est sur leur description que je m'attarderai au cours de cette première rencontre, réservant à des auditions ultérieures des échanges sur l'Europe et sur le développement international. J'ai voulu que cette audition se déroule à huis clos pour que nos propos, les miens en particulier, soient plus libres. Je souhaite que ce huis clos soit préservé ; s'il ne l'était pas, je serais tenu à l'avenir à des propos plus contraints car je sais que tout ce que je puis vous dire est étudié et discuté partout sur la planète.

Aux foyers de crise que vous avez mentionnés, madame la présidente, j'ajouterai l'Iran et la Corée du Nord. Je laisserai pour l'instant de côté la situation en Ukraine, qui comporte une dimension européenne, et dont nous parlerons lors d'une prochaine rencontre consacrée à l'Europe.

J'ai pour habitude de parler « cash » et de dire les choses de façon directe, parfois peu diplomatique, mais ainsi les choses seront ainsi plus simples et plus claires pour la représentation nationale.

La situation internationale est marquée par des ruptures profondes. Les crises liées au terrorisme, les politiques de puissance militaire et du fait accompli, la montée des défis de sécurité globaux tels que le changement climatique, les migrations ou la cyber-menace créent un sentiment général d'insécurité jusqu'au coeur de l'Europe.

Ces crises engagent toutes, à un titre ou à un autre, les intérêts de la France et la sécurité des Français. La première priorité de la politique étrangère de la France que le Président de la République m'a demandé de mettre en oeuvre sera donc de faire face à ces crises avec pragmatisme, de définir des démarches politiques nouvelles pour y répondre, de contribuer à des processus de paix et de conduire une diplomatie efficace pour défendre au mieux nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs.

Mon premier souci sera bien sûr de contrer le terrorisme. En dépit des défaites significatives infligées à Daech et à al-Qaïda tant au Levant qu'au Sahel, le phénomène tend à s'étendre géographiquement. L'Europe est en première ligne – n'oublions pas que des attentats ont été commis à Stockholm, Berlin, Manchester, Londres comme aux Champs-Elysées – mais aucun continent n'y échappe ; en témoignent les attentats qui ont eu lieu à Saint-Pétersbourg, au Bengladesh, et en Afghanistan. Ces événements nous rappellent régulièrement et tristement le niveau très élevé de cette menace ; ma première priorité, en liaison étroite avec la ministre des Armées, sera de garantir la sécurité des Français où qu'ils soient dans le monde.

J'en viens à la situation sur les théâtres de crise et pour commencer au Levant.

La Syrie vit une situation dramatique. Six années de guerre ininterrompue depuis 2011 ont causé plus de 300 000 morts – nombre qui ne cesse de grandir –, cinq millions de réfugiés et six millions de déplacés internes. La Syrie est devenue un des foyers du terrorisme islamiste qui y a trouvé une emprise territoriale et une base arrière d'où lancer des attaques contre nous et d'autres, et diffuser sa propagande mortifère.

Le chaos syrien crée une insécurité tragique pour le peuple syrien mais qui nous concerne aussi au premier chef en raison de la présence de Daech et d'al-Qaïda en Syrie. Je l'ai dit, la lutte contre ces ennemis déclarés de la France est pour nous une priorité absolue.

Le conflit syrien est aussi source de mouvements migratoires forcés – les plus marqués ont eu lieu à travers la Turquie vers l'Allemagne en 2016 – qui exercent une pression sur l'Union européenne et créent des difficultés nouvelles.

Le régime de Bachar el-Assad est épuisé mais conforté par ses alliés et l'intervention de milices rassemblées par l'Iran. Le territoire est fragmenté en une multitude de fronts. L'opposition est divisée, démoralisée et radicalisée, et ses factions se battent entre elles. Le processus politique, cinq ans après l'ouverture des négociations de Genève, piétine.. La Syrie est aussi le champ clos d'un affrontement entre des forces extérieures : la Russie, l'Iran, la Turquie, les pays arabes, les Occidentaux et les Américains. Au fil des ans, depuis 2011, nous avons assisté à l'internationalisation croissante de ce conflit.

Face à ce panorama peu réjouissant, la priorité absolue, clairement énoncée par le Président de la République, est de poursuivre les opérations contre Daech, d'une part, d'essayer de trouver les voies d'une solution politique inclusive et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne d'autre part.

Frappée sur son territoire, la France est membre de la coalition qui intervient contre Daech en Irak et en Syrie. La bataille de Raqqa est à présent engagée. La ville, creuset stratégique de Daech et d'où sont venus les ordres et parfois les combattants qui ont commis des attentats en France, est encerclée par les Forces démocratiques syriennes, composées de Kurdes et d'Arabes. Cette bataille sera gagnée, au terme de combats très durs. Les quelque 2 000 combattants de Daech encore présents à Raqqa se replieront vraisemblablement dans la moyenne vallée de l'Euphrate, là où convergent désormais tous les acteurs du conflit, à la limite de la frontière avec l'Irak, si bien qu'une nouvelle concentration de Daech peut se former demain dans cette zone. La bataille de Raqqa est d'une extrême importance et la France s'est beaucoup mobilisée pour obtenir de la coalition et des acteurs au sol que ce combat soit considéré comme une priorité.

Une fois acquise la victoire militaire se posera la question de la gouvernance de la ville. Les Forces démocratiques syriennes sont, je vous l'ai dit, composées de Kurdes et d'Arabes ; les Turcs sont juste au Nord. Si, d'aventure, les Kurdes se mettaient à diriger la ville de Raqqa libérée, un nouvel affrontement risquerait de se produire entre Turcs et Kurdes dans cette zone ; nous devons donc être particulièrement attentifs aux questions de gouvernance. Tout doit être pensé pour éviter la naissance d'un nouveau conflit après la reprise de Raqqa, dans quelques semaines. Quant au combat contre Daech, il devra se poursuivre quand ses combattants, chassés de Raqqa, se seront regroupés autour de Deir ez-Zor.

Mais il n'y aura pas de victoire durable contre le terrorisme sans perspectives politiques nouvelles en Syrie. Disons les choses clairement, nous devons apprécier la situation telle qu'elle est, tout en affirmant quatre impératifs : premièrement, donner la priorité à la lutte contre le terrorisme, c'est-à-dire contre Daech et les « filiales » d'al-Qaïda que l'on retrouve pour partie dans certains groupes qui, tel le Front Fatah al-Cham, participent à l'opposition à Bachar al-Assad ; deuxièmement, prohiber absolument la production et l'usage d'armes chimiques ; troisièmement, garantir l'accès, partout en Syrie, de l'aide humanitaire ; quatrièmement, être acteur d'un indispensable processus de transition politique.

Tels sont les éléments majeurs de la politique définie par le président de la République, qui propose à tous ceux qui s'accordent sur ces bases de donner l'impulsion nécessaire à un processus politique. Nous avons donc évoqué ces principes avec plusieurs pays, en précisant que nous considérions que si ces quatre impératifs étaient acceptés, le départ de Bachar el-Assad n'était pas une condition préalable à l'engagement du processus politique. Les intentions de ceux qui font de son départ un préalable à toute discussion sont respectables, mais force est de constater que cette approche n'a pas fonctionné : Bachar al-Assad étant toujours là et la Syrie comptant plus de 300 000 morts à ce jour, il faut trouver un moyen d'engager les discussions – mais pas avec Bachar el-Assad.

Je plaide en faveur d'un double réalisme. Le réalisme ne peut pas être de considérer que le départ de Bachar el-Assad est un préalable indispensable à toute négociation ; il ne peut pas non plus être de considérer que Bachar el-Assad sera la solution au processus politique de sortie de crise. C'est sur ces bases que des discussions ont eu lieu et continuent d'avoir lieu, d'abord entre le président Macron et le président Poutine, puis entre mon homologue Sergueï Lavrov et moi-même. Elles n'ont pas abouti, mais ces efforts ont débouché sur une première réunion, hier, à Genève, des ambassadeurs des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, avant l'ouverture d'une nouvelle session des discussions inter-syriennes autour de M. Staffan de Mistura.

Je tiens à vous signaler, chose rare, une bonne nouvelle en provenance de la Syrie : dimanche dernier ont eu lieu des discussions relatives à la sécurisation d'une région située au Sud-Ouest de la Syrie, près de la frontière jordanienne, et cette zone vient de faire l'objet d'un accord de désescalade, et donc de cessez-le-feu, conclu par les Américains, les Russes et les Jordaniens, Israël faisant preuve de compréhension. C'est la première fois ; souhaitons que ce cessez-le-feu soit respecté.

Parallèlement, et en complément de la réunion de Genève, se déroule une autre négociation, que l'on appelle le processus d'Astana, qui encadre des discussions entre la Russie, la Turquie, l'Iran et des groupes d'opposition visant à créer des zones de désescalade, et donc de cessez-le-feu, dans la provinces d'Idlib, dans Ghouta orientale et à Homs, mais elle n'a pas abouti pour l'instant.

Tel est l'état le plus récent de la situation en Syrie, et telles sont nos orientations pour ce qui concerne ce pays.

En Irak, la grande et bonne nouvelle est la libération de Mossoul, après neuf mois de combats auxquels la France a participé par son aviation et par son artillerie. Ma collègue ministre des Armées vous parlera de l'action militaire de la France, qui forme des unités irakiennes – ce sont des Irakiens, et en particulier la Golden Division, qui ont repris Mossoul. Cette victoire a été obtenue après de longs combats qui ont fait de nombreux morts. Quant aux personnes déplacées, on en dénombre 450 000 pour la seule ville de Mossoul. Abritées dans des camps situés au pourtour de la ville, elles ont venues s'ajouter aux centaines de milliers de déplacés que comptait déjà l'Irak.

Mossoul était la capitale du califat proclamé par Abou Bakr Al-Baghdadi en juillet 2014. Daech reste présent dans certaines poches de résistance, la vallée d'al-Anbar et les alentours de Tal Afar par exemple, mais la libération de Mossoul marque une avancée décisive contre Daech, car c'était le coeur de sa propagande, et aussi une référence pour tous les soutiens de Daech dans le monde. La portée symbolique de la reprise de la ville est donc très forte. Pour autant, la tâche n'est pas achevée. Il faut en finir sur le plan militaire ; faire face au risque de concentration des combattants de Daech qui ont quitté Mossoul pour rejoindre ceux qui ont fui Raqqa ; poursuivre la sécurisation militaire en cours par l'armée irakienne ; faire face aux problèmes de gouvernance qui, là aussi, ne manqueront pas de se poser, singulièrement dans la zone de Mossoul et dans le gouvernorat de Ninive où devront cohabiter les populations sunnites, chiites, yezidies, kurdes et les minorités chrétiennes.

Dans l'ensemble de l'Irak devra s'imposer le respect de la Constitution fédérale de 2008, et donc des droits des diverses communautés. Le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, est sur cette ligne, il l'affirme régulièrement. Mais le défi est de taille, d'autant qu'au même moment, le président du gouvernement régional kurde irakien, Massoud Barzani, dont les hommes ont participé à la reprise de Mossoul, annonce son intention d'organiser en septembre un référendum sur l'indépendance du Kurdistan irakien.

D'autres questions restent très prégnantes, à commencer par la question humanitaire. Pour l'instant, les camps abritant les personnes déplacées sont en nombre suffisant, mais il faudra soutenir les organisations humanitaires ; la France y participera. Enfin, il faudra engager la reconstruction de l'Irak, et les images de Mossoul après la reconquête disent assez que ce sera un long travail – vous avez vu les images comme moi.

J'en viens à la Libye, qui souffre de l'absence d'État et de l'anarchie qui en découle. Alors ministre de la défense, j'avais tôt alerté sur les conséquences qu'emporterait cette situation, et sur le risque de voir Daech s'implanter en Libye – ce qui s'est produit, ainsi que pour d'autres groupes djihadistes, à Benghazi, Derna et Syrte –, pour reproduire le califat à partir d'autres bases à mesure qu'il rencontrait des difficultés au Levant. Aujourd'hui, grâce à l'action conjuguée des forces du maréchal Haftar qui, à l'Est, vient de reprendre Derna et Benghazi et, à l'Ouest, des forces de Misrata qui, avec le soutien des Américains, ont repris à Daech la zone de Syrte, on peut considérer que le risque de Daech est à peu près éliminé, même si une partie des combattants de Daech ont pu se disperser sur le très vaste territoire libyen. Mais l'anarchie demeure.

Le gouvernement issu des accords de Skhirat conclus en décembre 2015 et que préside M. Fayez el-Sarraj est reconnu par la communauté internationale mais il ne parvient pas à asseoir son autorité au-delà de la ville de Tripoli – dont le contrôle lui a été contesté à plusieurs reprises. Agissent d'autre part une série de milices, qui parfois se combattent, ainsi que les forces de l'armée nationale libyenne du maréchal Hafter, laquelle risque de se confronter aux milices de Misrata, pour certaines à tendance islamiste, ou à d'autres factions radicales, actives à Tripoli. Bien que le gouvernement d'union nationale ne fonctionne pas, revenir sur les accords de Skhirat, qui ont clarifié la situation institutionnelle, aggraverait encore l'anarchie.

Cette situation a fait de la Libye la une route majeure d'émigration vers l'Europe, facilitée par la proximité géographique avec le continent européen, singulièrement avec l'Italie. J'ai participé hier, à Rome, à une réunion organisée à la demande de mon homologue italien, très inquiet de la situation. L'absence d'État en Libye, et donc d'autorité, a pour conséquence que tous les trafics prospèrent et que, désormais, les migrations se font pour l'essentiel par cette voie. Et ce ne sont plus les mêmes populations : auparavant les migrants venaient du Levant, voire d'Afghanistan ; désormais, ils arrivent du Niger, du Nigeria et de l'Érythrée.

Le président de la République considère, à raison, que cette situation appelle une solution urgente. Il m'a demandé de prendre des contacts avec les pays de la région pour essayer d'avancer. Je me suis rendu en Tunisie, en Égypte, en Algérie et en Italie à ce propos. Le défi est redoutable. L'orientation de la fin de la crise est assez simple : il faut amender l'accord politique signé à Skhirat en prenant en considération les rapports de force réels sur le territoire libyen, réunir l'ensemble des forces militaires au sein d'une armée nationale placée sous l'autorité civile et chargée de lutter contre le terrorisme et de contrôler le territoire et les frontières, et à partir de là, engager le processus électoral et constitutionnel qui permettra de stabiliser la Libye. C'est relativement facile à dire ; encore faut-il mettre les parties en situation de répondre à ces orientations, et éviter une trop grande interférence des États « parrains ». Pour tenter de sortir de cette impasse, le secrétaire général des Nations Unies vient de désigner un Représentant spécial, M. Ghassan Salamé, que je connais bien. Avec tous les pays qui veulent contribuer à une sortie de crise, nous allons tenter d'aboutir à une solution pacifique, indispensable. De tous, ce sujet est selon moi le plus urgent à régler, mais aussi le plus compliqué.

Certes, le nombre de morts en Libye est infiniment moindre qu'en Syrie, mais la situation très préoccupante de ce pays est source de grands périls pour nous.

J'en viens à présent à la situation au Sahel, autre lieu majeur de notre engagement contre le terrorisme djihadiste ; c'est aussi un processus de longue haleine. À la demande du gouvernement malien et avec l'appui du Conseil de sécurité de l'ONU, nous sommes intervenus en janvier 2013 pour éviter que des groupes djihadistes ne fassent du Mali un sanctuaire terroriste. La force française Serval s'est ensuite transformée en une force d'intervention régionale, Barkhane, dont l'état-major est installé à Ndjamena et qui couvre les cinq pays du Sahel – Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad. Une force des Nations unies, la MINUSMA, composée de 11 000 hommes, est stationnée au Mali. C'est aussi au Mali, à Bamako, qu'est basée la mission de formation de l'armée malienne de l'Union européenne, EUTM ; la France a été à l'initiative de cette mission mais elle est heureusement très faiblement représentée dans ses effectifs.

Il y a, au Sahel, deux éléments nouveaux. Le premier est que les groupes terroristes qui avaient été dispersés et très diminués par l'action de la force Barkhane commencent à se reconstituer et à se réunifier au sein d'une alliance dite « Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans », sous l'autorité d'Iyad ag-Ghali, personnage dont je serai malheureusement amené à vous reparler au fil du temps. En janvier 2013, il avait été l'initiateur de l'action menée par les terroristes au Sud du Mali. Ce groupe mène des opérations terroristes d'opportunité « classiques » tels que les attentats commis à Ouagadougou, contre l'hôtel Radisson de Bamako ou encore à Grand Bassam, en Côte d'Ivoire. Mais il harcèle désormais la MINUSMA, davantage que Barkhane, force particulièrement solide et performante. À cela s'ajoute que des groupes peuls mènent des actions de déstabilisation dans la zone dite des trois frontières, à la croisée des territoires malien, nigérien et burkinabé. Et tout cela sur fond de trafic de drogue… Certains individus, relativement peu nombreux, sont mus par des motifs idéologiques ; tous les autres, par l'appât du gain, si bien que pour comprendre les rivalités entre certains groupes de la constellation de katibats, il faut étudier les routes de la drogue.

Le deuxième élément est la constitution d'une force militaire conjointe entre les pays du Sahel, regroupés au sein de ce que l'on appelle le « G5 Sahel ». C'est plutôt une bonne nouvelle : nous souhaitions depuis longtemps que la sécurité des Africains soit assurée par les Africains eux-mêmes. C'est d'ailleurs la raison d'être de la mission européenne de formation de l'armée malienne.

La création de cette force militaire conjointe, qui devrait comporter à terme 5 000 hommes, vise d'abord à protéger les frontières de ces pays – avec des droits d'incursion de part et d'autre – mais également à lutter contre le terrorisme. Les principes en ont été actés dimanche 2 juillet à Bamako, en présence des cinq chefs d'Etat concernés et du Président de la République française.

Nous soutiendrons ce processus, qui a été validé par le Conseil de sécurité des Nations unies, non sans mal. Il m'a fallu deux entretiens très longs avec mon collègue le Secrétaire d'État américain Rex Tillerson pour obtenir la levée du veto américain. Les États-Unis ont aujourd'hui une posture réservée à l'égard de toute opération de maintien de la paix pour des raisons bêtement – ou plutôt principalement – financières.

La résolution a ainsi été adoptée à l'unanimité. Elle légitime la mission du G5 Sahel. Reste à la mettre en oeuvre. Cette force sera soutenue financièrement par l'Union européenne, à hauteur de 50 millions d'euros. Nous apporterons quant à nous un soutien technique, mais également dans le domaine des équipements ; l'Allemagne apportera également le sien. Cela fera l'objet de discussions lors du conseil des ministres franco-allemand qui va se tenir après-demain à Paris. Nous sommes ainsi dans une logique vertueuse, indispensable, qui doit se poursuivre.

Parallèlement, lors du sommet de Bamako, le Président de la République a annoncé le lancement d'une initiative de lutte contre la pauvreté et le sous-développement dans la zone sahélienne concernée. Ce concept d'« Alliance pour le Sahel » est centré sur cinq priorités, notamment l'employabilité des jeunes, l'agriculture pastorale, l'énergie verte et la gouvernance. Il s'agit d'un grand plan de développement, ouvert à d'autres partenaires – nous avons pour le moment obtenu l'accord de la Banque Mondiale, de la Banque africaine de développement, de l'Allemagne et de l'Union européenne depuis la semaine dernière –, et qui sera également validé lors du conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet.

L'autre intérêt de cette Alliance pour le Sahel tient au fait que ce processus de développement sera tout à la fois allégé, souple et court : les programmes de ce type sont souvent, certains d'entre vous le savent mieux que moi, extrêmement longs : entre le dire et le faire, il s'écoule deux, sinon trois ans. Cette fois-ci, l'objectif est de six mois.

C'est sur ce double accord, majeur, que nous nous sommes quittés à Bamako. Cela nécessitera de notre part une vigilance et un suivi permanents. Il faut impérativement que cela marche, faute de quoi nous nous retrouverons aux prises avec de très grosses difficultés. Je vous rappelle l'enjeu : le Sahel est la région du monde avec le plus fort potentiel démographique et celle où des mouvements de migration dans les dix à trente ans deviendront énormes s'il n'y a pas de réel développement local ni de lutte sérieuse contre tous les trafics, et singulièrement les trafics de drogue, dont se nourrissent les terroristes en tout genre.

J'en viens à présent, en deux mots, à la situation du Golfe.

Six pays composent le Conseil de coopération du Golfe : le Sultanat d'Oman, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, l'Arabie Saoudite, le Koweït et le Qatar. La crise qui depuis un mois oppose le Qatar à ses voisins – hormis le Sultanat d'Oman et le Koweït – et à l'Égypte devient une donnée du jeu régional. Les griefs formulés à l'encontre du Qatar par ses partenaires sont profonds : ils l'accusent de promotion des Frères musulmans, de critiques à l'égard de l'Arabie Saoudite, de financement du terrorisme, etc. La chaîne al-Jazeera est particulièrement mise en cause. Ces pays ont présenté une liste de treize demandes auprès du Qatar, dont certaines sont difficilement acceptables par le Qatarcomme la fermeture d'al-Jazeera, la dégradation des relations diplomatiques avec l'Iran ou la fermeture de la base turque présente sur son territoire. Le Qatar dénonce par ailleurs des accusations sans preuves. La tension est devenue extrêmement forte entre les acteurs régionaux, avec des jeux qui compliquent la sérénité des débats.

Que fait la France dans ce contexte ? Elle parle à tout le monde. Le Président de la République et moi-même sommes en contact régulier avec l'ensemble des protagonistes. Je vais, à la demande du Président de la République, me rendre dans la zone d'ici quelques jours, afin de rencontrer les uns et les autres. Notre position repose sur cinq principes : nous souhaitons un engagement déterminé de tous les acteurs de la zone contre le terrorisme, et surtout contre son financement ; nous considérons que le règlement de cette crise doit se faire entre pays du Golfe ; nous encourageons la médiation engagée par l'émir du Koweït ; nous plaidons pour une désescalade progressive afin de créer les conditions d'un dialogue ; enfin, nous demandons qu'aucune des mesures prises à rencontre du Qatar n'affecte sa population civile.

La France a des intérêts importants dans cette région stratégique du Golfe. Nous avons signé un accord de défense avec le Qatar, mais également avec les Émirats Arabes Unis. Nos forces sont stationnées aux Émirats. Parallèlement, la bataille de la coalition contre Daech est menée à partir du Qatar, depuis une base américaine abritant 10 000 soldats américains. Rien n'est simple… La France s'en tiendra aux principes simples qu'elle a énoncés. Espérons qu'ils permettront de faire baisser la tension dans une région qui en connaît déjà beaucoup.

De l'autre côté du Golfe, l'Iran observe avec intérêt cette crise qui divise un bloc qui lui est traditionnellement hostile et manifeste sa solidarité avec le Qatar. Je rappelle que l'accord nucléaire conclu à Vienne le 14 juillet 2015 a ouvert une nouvelle période de relations avec Téhéran, qui se caractérise par une vigilance et une exigence extrême de notre part sur la mise en oeuvre de l'accord – nous avions été à l'époque très exigeants pour obtenir des garanties empêchant Téhéran d'accéder à l'arme nucléaire.

L'accord de Vienne est un accord de non-prolifération robuste, qui évite le risque de voir l'Iran développer une arme nucléaire et, en cela, contribue à la paix et à la stabilité. Nous veillerons à ce qu'il soit strictement et intégralement mis en oeuvre. L'Iran prendrait des risques en y renonçant car nos relations commerciales et économiques ont repris. J'ai reçu à Paris mon homologue iranien, M. Mohammad Javad Zarif. Nous sommes dans un état d'esprit d'ouverture, plus positif que par le passé. Cela étant, l'Iran poursuit un programme balistique qui ne fait pas partie de l'accord nucléaire, mais qui n'en est pas moins en contradiction avec les résolutions du Conseil de sécurité. Nous sommes donc extrêmement vigilants et maintenons la pression, afin qu'il renonce à l'usage de vecteurs balistiques. Nous menons avec l'Iran un dialogue exigeant, d'autant plus que nous contestons fortement son rôle dans les crises régionales, notamment la crise syrienne. Nous l'avons également fait savoir aux Russes.

Pour ce qui est de la Corée du Nord, la situation de crise est extrêmement préoccupante. Le régime de Pyongyang a procédé, le 4 juillet, jour de la fête nationale américaine – ce n'est pas un hasard –, à un tir de missile balistique de portée intercontinentale. C'est là une violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité qui a décidé de sanctions à l'encontre de Pyongyang. C'est un geste dangereux, qui ne peut que provoquer des réactions fortes des pays visés, à commencer par les États-Unis.

Notre préoccupation majeure est liée à l'accélération du programme nucléaire et balistique de la Corée du nord. Cette situation a été évoquée à Hambourg, y compris avec le président chinois, M. Xi Jinping, afin de voir comment la menace pouvait être enraillée. Ces agissements menacent les pays voisins, mais également les États-Unis. Les réactions du président Trump sont, sur ce sujet, extrêmement fortes et violentes. En l'espèce, nous devons faire preuve d'une grande fermeté diplomatique, en liaison avec nos partenaires du Conseil de sécurité des Nations Unies, afin de faire respecter l'autorité du droit international et le régime de non-prolifération nucléaire, tout en essayant de faire revenir la Corée du Nord à la table des négociations.

Ce sujet ne fait pas toujours la une de l'actualité en France mais peut être extrêmement grave pour l'avenir dans la zone Pacifique, où l'on voit apparaître de nouvelles tensions concernant la libre circulation dans les mers, y compris entre la Chine et les États-Unis.

Madame la présidente, mesdames et Messieurs les députés, j'ai essayé, autant que faire se peut, tout en étant concis, d'identifier, de diagnostiquer et d'exposer la ligne politique française, souhaitée par le Président de la République, et que j'essaie d'appliquer au mieux.

Pour conclure, je tiens à rendre hommage aux personnels de mon ministère. Leur métier et leur mérite sont souvent mal connus, alors qu'ils travaillent infatigablement pour la paix et la défense des intérêts de notre pays dans le monde. Je tiens ici à rendre un hommage appuyé à leurs qualités et à leur engagement professionnel, au service de la France. Ils sont particulièrement exposés aux risques de sécurité. J'ai ainsi récemment dû appeler notre ambassadeur à Kaboul après une explosion à proximité de l'ambassade, qui a menacé une partie des lieux de vie où les collaborateurs dormaient. Il s'en est fallu de peu qu'ils soient grièvement blessés.

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