Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 11 juillet 2017 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Madame Saint-Paul, nous n'avons pas vocation à assurer le leadership de la sortie de crise syrienne. Pour parler très clairement – je remercie M. Lecocq de reconnaître que j'ai été clair, car je veux l'être, même si nous avons des désaccords –, nous sommes revenus dans le jeu. Sur chaque sujet, vous aurez pu noter que j'ai effectivement évoqué les Nations Unies, y compris sur le dossier syrien. À la suite des entretiens qui ont eu lieu samedi avec M. Vladimir Poutine, les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies se sont réunis hier matin pour la première fois afin de réfléchir ensemble aux différentes hypothèses de transition politique en Syrie. Le Président de la République a souhaité que nous soyons partenaire de cette solution de paix ; nous continuerons à l'être.

Monsieur Goasguen, vous posez une vraie question. Du fait de mes anciennes et de mes nouvelles attributions, je dispose effectivement d'informations croisées, mais vous pourrez également interroger ma collègue Mme Florence Parly, ministre des armées, sur ce sujet. Combien de Français combattent dans les rangs de Daech, sur l'ensemble du pseudo-califat ? Il en reste probablement plusieurs centaines, dont plus de la moitié effectivement à Mossoul et aux environs. Plus de 260 seraient morts.

Que vont-ils devenir ? Ils vont sans doute continuer à suivre Daech dans la zone de repli de Deir ez-Zor, à l'exception de ceux qui vont se rendre. Dans ce cas, ils seront judiciarisés et détenus par le gouvernement irakien, ou en France s'ils reviennent sur notre territoire national. Nous avons beaucoup échangé avec les membres de la coalition sur la manière de traiter ces combattants étrangers, qui viennent de partout – de Tunisie, de Russie et même d'Australie… Le principe de judiciarisation en Irak, énoncé pour la France, est valable pour l'ensemble des pays concernés.

Il n'y en a pas plus de combattants étrangers à Mossoul qu'ailleurs, si ce n'est que Daech a toujours eu l'extrême élégance de toujours les placer aux avant-postes des combats…

Monsieur Fanget, il est tout à fait normal que M. Trump soit présent le 14 juillet puisque des troupes américaines défilent pour ce centième anniversaire de l'entrée en guerre des Etats-Unis à nos côtés. Il eût été inconvenant de ne pas l'inviter… Et si cela peut permettre de parler, tant mieux ! Nous avons des préoccupations communes et aussi de gros points de désaccord. C'était flagrant à Hambourg dimanche, où la position inflexible des États-Unis a fait face à la solidité des positions des dix-neuf autres membres du G20 sur la question climatique. C'est peut-être une des bonnes leçons du G20 : notre ténacité collective doit être saluée sur ce dossier, en grande partie grâce à l'impulsion française et indienne. Pour autant, nos désaccords ne doivent pas nous faire oublier nos points d'accord, notamment en matière de lutte contre le terrorisme.

En même temps, nous devons assumer notre mémoire commune… Nous avons une histoire commune forte et longue ; c'est dans ce cadre que le président Trump sera présent lors de notre fête nationale.

Monsieur Naegelen, Raqqa est un lieu majeur pour Daech. La coalition n'a pas de forces à terre et n'a pas l'intention d'en avoir. Comme pour Mossoul, la reprise doit donc être le fait de forces locales. Raqqa étant une ville arabe, elle ne pouvait être reprise que par une force intégrant des troupes arabes. Mais comme les forces arabes n'étant militairement pas suffisamment aguerries pour reprendre seules Raqqa, en accord avec la coalition, la reconquête de la ville a été confiée aux « forces démocratiques syriennes » – qui regroupent des éléments kurdes et arabes – formées par la coalition. La condition de la non-intervention turque était claire : la ville, libérée, doit être gouvernée par des Arabes, correspondant à la population du secteur. Les Turcs sont particulièrement vigilants sur ce point . La gestion militaro-politique de cette zone est donc extrêmement minutieuse, d'autant qu'elle ne fait que quelques dizaines de kilomètres.

Autant dire que la vigilance s'impose. La position de M. Erdogan dans cette affaire consiste à essayer de protéger ses intérêts : il veut prévenir l'embrasement que pourrait causer une jonction entre Kurdes syriens et PKK turc, tout en évitant des mouvements migratoires trop importants qui pourraient déstabiliser le sud de son pays. C'est ce qui l'amène à discuter avec les Russes et l'Iran de zones de cessez-le-feu qui pourraient aider à la sécurité de la Turquie, mais ces discussions ne sont pour le moment pas abouties.

Monsieur Hutin, je ne sais pas si la position du Président de la République, que je défends, est gaullienne ou mitterrandienne, mais je peux vous dire que notre action est guidée par deux préoccupations : notre sécurité et nos intérêts. Quitte à paraître un peu brutal, il faut dire les choses très clairement. À partir de là, on en tire les conséquences. La France est un pays souverain qui a des intérêts dans le monde mais qui doit d'abord veiller à la sécurité de son territoire et de ses ressortissants. C'est l'axe d'entrée des actions que nous menons. Est-ce gaullien ou mitterrandien ? On peut l'appeler comme on veut ; en tout cas, ce n'est pas une position d'alignement. En fonction de nos intérêts, nous parlons donc avec tout le monde. L'action du Président de la République – et la mienne sous sa responsabilité – se caractérise par le fait que, depuis deux mois, nous parlons avec les Russes, les Iraniens, les responsables des différents pays du Golfe. Nous cherchons à contribuer à la paix tout en défendant nos intérêts et notre propre sécurité. Je pense que nous resterons dans cette logique.

Madame Clémentine Autain, l'OTAN n'est présente dans aucune des situations de crise que j'ai évoquées. En outre, nos interventions militaires ont eu lieu à la demande des Nations unies : au Sahel, nous sommes intervenus à la demande de l'État malien pour assistance à pays en danger, dans le cadre d'une résolution des Nations unies ; nous sommes allés en Irak à la suite de l'adoption d'une résolution des Nations unies. Et il ne s'agissait pas de mettre le feu mais de veiller au respect du droit international, tout particulièrement en luttant contre le terrorisme. Daech était en train de commettre des attentats violents, de violer la souveraineté d'États existants et d'imposer une conception djihadiste révolutionnaire dans une partie du monde ; d'où l'adoption d'une résolution des Nations unies pour combattre cet État terroriste. Il fallait s'attaquer au coeur du système : même si cela ne résout pas tout, il aurait été bien pire de laisser Daech prospérer.

Nous devons poursuivre clairement cette démarche et la mener jusqu'à son terme tout en maintenant une approche globale. Comme je l'ai dit précédemment, la gestion de la situation irakienne devient humanitaire ; il faut tenir compte du respect des minorités et de l'ensemble de la population irakienne. À voir la joie des habitants lors de la reprise de Mossoul, on a pu se rendre compte que l'événement était attendu par toute la population.

Tout comme M. Lecoq, vous m'avez aussi interrogé sur le Qatar.

Que le Qatar ait pu, à un moment donné, se déclarer favorable aux Frères musulmans, vous le savez comme moi. Que le Qatar ait soutenu M. Morsi, vous le savez comme moi. En revanche, je n'ai pas la preuve d'un soutien des autorités du Qatar à l'action terroriste. Si les preuves d'un tel soutien devaient être portées à ma connaissance, j'en tirerais toutes les conséquences.

Mon rôle n'est pas de défendre le Qatar mais je signale que ce pays conduit avec la France des actions de coopération très importantes, que lycée français de Doha – qui porte le nom de Voltaire – est extrêmement fréquenté. Cette coopération ne nous empêche pas d'émettre parfois des critiques sur la politique étrangère du Qatar. Si nous avions connaissance d'éléments montrant un financement du terrorisme, notre posture serait extrêmement ferme et radicale. Lors du dernier Conseil de coopération du Golfe, qui se tenait avant la crise, les six pays avaient d'ailleurs décidé de créer à Ryad une instance d'enquête sur les possibilités de financement diverses et variées du terrorisme. Encore faut-il que cette instance fasse le travail.

S'agissant de la résolution onusienne, je signale que j'ai fait référence aux Nations unies à chaque chapitre que j'ai évoqué devant vous. Nous sommes donc dans cette logique-là et nous assumons nos responsabilités en tant que membre permanent du Conseil de sécurité.

Monsieur Lecoq, vous m'avez également interrogé sur la mise en oeuvre de l'aide au développement. Il est primordial que nous nous assurions que l'aide arrive au bon endroit et que les projets validés se réalisent dans des délais rapprochés. C'est l'attitude à adopter dans le cadre de l'Alliance globale pour l'initiative résilience Sahel (AGIR-Sahel). Les Africains doivent eux-mêmes prendre en main leur propre développement et répondre aux résolutions pour lesquels ils votent. Lors d'un récent déplacement à Dakar, j'ai été très intéressé par les projets développement de villages, élaborés avec l'aide de l'AFD par des résidents français originaires de ces endroits. Voilà de bons exemples qui fonctionnent. Je suis pour les circuits courts en la matière…

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