Enfin, c'est un texte efficace que nous soutenons. Il est efficace parce qu'il ne cherche pas à cibler la production des fausses informations, ce qui serait vain, mais leur propagation, ce qui est le nerf de la guerre. Il ne cible pas les auteurs des contenus, très souvent anonymes d'ailleurs, mais ceux qui les diffusent et qui en tirent profit, c'est-à-dire principalement les plateformes numériques, qui ne jouent pas pleinement, à l'heure actuelle, le jeu de la démocratie. Leur modèle contribue à une gigantesque économie de la manipulation. Elles vendent des likes et des followers à tous, même aux émetteurs de fausses informations. Pour 40 euros, je peux acheter 5 000 abonnés sur Twitter. Elles leur vendent de la visibilité sur les fils d'actualité, des mécanismes de push. Facebook a tiré 98 % de son chiffre d'affaires de revenus publicitaires l'an dernier, soit 40 milliards de dollars.
Nous ne pouvons pas laisser des entreprises faire des profits en sacrifiant la liberté de s'informer de nos concitoyens, en sacrifiant votre engagement politique, en sacrifiant la filière de la presse que nous soutenons. Les plateformes suspendent nos démocraties à la loi du marché. Elles livrent les opinions publiques à des vendeurs de sensation. L'outrance, les mensonges éhontés, la surenchère, la manipulation sont des produits lucratifs. Sans régulation, les plateformes seront complices des marchands de doute, qui cherchent à fissurer notre pays, à diviser pour mieux régner, à transformer notre société de la confiance en une société de la suspicion. Nous avons une responsabilité partagée : préserver cette confiance. C'est le coeur de la démocratie, et c'est le coeur de ces propositions de loi qui en renforcent trois grands piliers : la transparence, la responsabilité et la protection.
La transparence, d'abord, est la première condition de la confiance. La plupart des plateformes sont mauvaises élèves vis-à-vis de leurs utilisateurs : dans la gestion de leurs données personnelles, ce n'est plus à démontrer, mais c'est aussi vrai de la gestion des contenus qui leur sont proposés. Il est souvent difficile pour un utilisateur d'identifier si un contenu est sponsorisé, c'est-à-dire si une entreprise, un groupe de pression ou encore un État étranger a payé pour qu'il se retrouve en tête d'affiche. Certaines plateformes ont annoncé récemment qu'elles allaient prendre des initiatives vertueuses ; c'est encourageant, mais ce n'est pas suffisant. La transparence doit devenir obligatoire aux moments charnières que sont les périodes électorales, et cette obligation doit être triple : les plateformes doivent non seulement indiquer si quelqu'un a payé, mais aussi qui, et combien. C'est l'objet de l'article 1er du texte, dont la rédaction a été améliorée par le travail en commission.
Le deuxième pilier de la confiance, c'est la responsabilité. En démocratie, elle est le pendant naturel de la liberté. Les journalistes, les éditeurs de presse, les radios, les chaînes de télévision sont responsables des contenus qu'ils diffusent. Seules les plateformes numériques échappent aux règles aujourd'hui : elles s'autorégulent et sont les seules arbitres du vrai et du faux, ce qui n'est pas acceptable. Les propositions de loi visent à réparer cette anomalie en créant un devoir de coopération, dont les contours ont été précisés par les travaux en commission. Les plateformes devront obligatoirement créer un dispositif de signalement des contenus pour l'utilisateur. Le texte propose par ailleurs une liste indicative de mesures que les plateformes pourront prendre pour remplir leur devoir de coopération ; ces mesures devront être rendues publiques. Enfin, le texte confie au Conseil supérieur de l'audiovisuel le soin d'évaluer l'effectivité de ces engagements.
Le Gouvernement est en plein soutien de ces mesures. Les amendements que nous avons déposés en séance publique sur ce point sont purement rédactionnels : ils visent à créer un titre spécifique sur le devoir de coopération et à réagencer les différentes propositions pour une meilleure lisibilité. Le texte est en pleine cohérence avec le mouvement de responsabilisation des plateformes plus large que la France est en train de conduire au niveau national et européen. C'est notamment le sens du travail que je mène pour obliger les plateformes à rémunérer les éditeurs de presse, avec la création d'un droit voisin à l'échelle européenne, ou encore de la directive sur les services de médias audiovisuels.
Enfin, le troisième pilier d'une société de la confiance est la protection, qui est aussi au coeur de ces propositions de loi. Le texte propose de renforcer la protection des citoyens de deux façons : en période électorale, d'une part, en confiant aux autorités indépendantes compétentes les moyens nécessaires pour agir en cas de menace sur la sincérité du scrutin ; en continu, d'autre part, en renforçant l'une des protections les plus efficaces contre les fausses informations : l'éducation. Il faut d'abord donner les moyens d'agir aux autorités indépendantes qui veillent sur la sécurité des publics. S'agissant des plateformes, c'est le juge judiciaire. En période électorale, aujourd'hui, il n'a pas de moyens d'action suffisamment efficaces contre les fausses informations. Il faut des semaines, voire des mois, aux procédures pour aboutir : quand un contenu est signalé, il a donc le temps de faire de nombreux dégâts avant qu'une mesure ne soit prise. La création d'une procédure spéciale de référé est nécessaire en période électorale pour demander aux plateformes le retrait ou le blocage de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin, avec tous les garde-fous qui s'imposent. Le texte les prévoit.
Des conditions cumulatives très précises encadrent l'intervention du juge : l'information devra être manifestement fausse et de nature à altérer la sincérité du scrutin, diffusée de manière massive et artificielle, « ou automatisée », comme votre commission l'a ajouté. Ce critère d'artificialité est déterminant : c'est ce qui différencie, d'une part, les fausses informations diffusées par inadvertance, les caricatures, les satires, qui ne sont évidemment pas visées par le texte, et, d'autre part, les campagnes de désinformation orchestrées sur internet.
À cet égard, je sais que la définition de la « fausse information » ajoutée au texte par votre commission des lois, a fait naître un certain nombre d'inquiétudes, notamment parmi les journalistes, en particulier la notion de « vraisemblance ». Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen du texte, afin que ces inquiétudes puissent être prises en compte. En aucun cas, les articles de presse professionnels ne seraient concernés. Je pense à un exemple régulièrement cité : l'article de Mediapart sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, qui constitue un travail d'enquête journalistique, et non une manipulation orchestrée. L'article n'avait par ailleurs pas fait l'objet d'une diffusion artificielle. Si la loi avait été en place, il n'aurait aucunement été concerné. Ces critères cumulatifs préviennent les risques de dérive qui sont pointés du doigt dans le débat sur le texte. On ne peut défendre la démocratie que par la démocratie. S'agissant des médias audiovisuels, l'autorité qui veille sur la protection des publics est le CSA.
J'ai mis l'accent sur les plateformes, jusqu'ici, mais des chaînes de télévision pilotées par des États étrangers orchestrent aussi des stratégies d'influence, des campagnes de désinformation et tentent de s'ingérer dans nos affaires intérieures. Le CSA est insuffisamment armé pour y répondre. C'est un enjeu de souveraineté pour notre pays. Nous soutenons donc la proposition du texte qui vise à renforcer les pouvoirs du CSA à l'égard des chaînes non hertziennes contrôlées par un État étranger. Là encore, les conditions de suspension sont très encadrées. Elles ne s'appliqueront qu'en période électorale. Il s'agira de démontrer, d'une part, l'existence d'une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation – qui incluent, comme il me semble utile de le préciser dans le texte, le fonctionnement régulier de nos institutions – et, d'autre part, la diffusion délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin.
Enfin, deuxième grand levier de protection : l'éducation. Grâce aux amendements déposés par Bruno Studer, que je salue, le texte s'est enrichi d'une dimension fondamentale. Un nouveau titre est consacré à l'éducation aux médias. Un amendement prévoit d'en faire, dans le code de l'éducation, une obligation à chaque niveau de la scolarité. Un autre amendement prévoit d'étendre la mission d'éducation à l'information aux chaînes privées. Aujourd'hui, seul l'audiovisuel public a une obligation en la matière. Il est pionnier.
Les sociétés ont dévoilé hier la toute nouvelle plateforme commune de lutte contre les fausses informations, qui a été mise en ligne sur le site de France Info, et qui irriguera aussi les réseaux sociaux. Elle s'intitule « vrai ou fake », et rassemble aussi bien des contenus de décryptage proposés par les différentes antennes de l'audiovisuel public que des modules d'éducation aux médias. C'était un projet nécessaire. Mais l'audiovisuel public n'a pas vocation à agir seul. Le Gouvernement soutient pleinement ces deux propositions. Je l'ai dit, je le répète : l'éducation est la mère des batailles. J'en ai fait une priorité de mon ministère.
J'ai mobilisé les sociétés de l'audiovisuel public, j'ai doublé le budget pour l'éducation à l'information et aux médias, qui passe de 3 à 6 millions d'euros cette année, et j'ai lancé un vaste programme, qui se déploiera à partir du mois de septembre, dans lequel les services civiques vont accompagner les bibliothèques dans la formation du grand public au décryptage des fausses informations.
Par ailleurs, je vais renforcer les associations de journalistes professionnels, afin de leur permettre de déployer leurs actions d'éducation aux médias, notamment auprès des jeunes. Ils sont nombreux à se mobiliser, et je veux leur rendre un hommage appuyé. Nous ferons en sorte que l'éducation à l'information devienne, comme l'éducation civique, un véritable passage obligé de la scolarité pour tous les enfants.
Mesdames, messieurs les députés, les débats nourris qui entourent ce texte témoignent de la santé de notre vie démocratique. C'est précisément pour la préserver que ces dispositions doivent être votées. La prudence est de mise quand nous touchons à de tels enjeux, mais elle ne peut pas être le prétexte de l'attentisme. Tout démontre que c'est d'une « main tremblante », pour reprendre la préconisation de l'un des grands penseurs de la démocratie, Montesquieu, que ce texte a été constitué : les garde-fous imaginés, les critères précis qui accompagnent chaque disposition, l'intensité du travail en commission, tout démontre qu'il a été abordé avec toute la sagesse, la mesure, le recul et les précautions qui s'imposent. Ce texte est à la hauteur de notre démocratie. J'appelle donc chacun à prendre les dispositions qui s'imposent, par-delà les clivages, pour protéger le modèle qui nous unit.
Le 12/06/2018 à 19:08, Laïc1 a dit :
" l'éducation est la mère des batailles. J'en ai fait une priorité de mon ministère."
Interdiction de critiquer le pouvoir en place, première des priorités.
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