La recherche forcenée de l'audimat et du sensationnel peut conduire à la diffusion d'informations tronquées et de fausses nouvelles, même au sein des médias traditionnels.
Comme l'affirmait un grand sociologue, nous devrions collectivement nous insurger contre les diktats de l'audimat, au nom de la démocratie, car les exigences de cet outil commercial sont à la culture ce que les sondages d'opinion sont à la politique – ces sondages dont on ne connaît pas les méthodes de redressement et dont la diffusion influence véritablement l'orientation des votes de nos concitoyens et de nos concitoyennes lors des élections dans notre pays.
Il faut admettre aussi que la concentration toujours plus importante des médias dans les mains de grands groupes industriels et financiers nuit grandement au pluralisme. Ces mastodontes de l'économie de marché, outre qu'ils sont peu enclins à questionner le modèle socio-économique dans lequel ils s'inscrivent, sont presque tous plus ou moins dépendants de contrats passés avec l'État et les collectivités locales. Ils ont donc intérêt à soigner leurs relations avec le pouvoir politique lorsque celui-ci peut servir leur cause. Ils peuvent aller jusqu'à influencer l'opinion publique dans le but de faire élire le candidat qui leur correspond le mieux.
Si ces grands groupes ont intérêt à pratiquer la plus grande proximité avec le pouvoir en place, ils disposent, par leur mainmise sur les médias, d'un puissant moyen de pression. La maîtrise de l'information octroie aux propriétaires des grands médias un pouvoir d'influence incontestable sur la sphère politique. À ce sujet, Pierre Bourdieu écrivait très justement qu'« il y a des choses qu'un gouvernement ne fera pas à Bouygues, sachant que Bouygues est derrière TF1. Ce sont là des choses tellement grosses et grossières que la critique la plus élémentaire les perçoit, mais qui cachent les mécanismes anonymes, invisibles, à travers lesquels s'exercent les censures de tous ordres qui font de la télévision un formidable instrument de maintien de l'ordre symbolique ».
Ce n'est pas une découverte, l'accès à l'information et son contrôle ont toujours été des instruments majeurs du pouvoir, et donc un enjeu capital. C'est vrai pour les États comme pour les entreprises. Si l'État oeuvre, en principe, avec le souci du bien commun, il arrive en revanche fréquemment que la recherche du profit, pour une entreprise privée, ne coïncide pas du tout avec l'intérêt du plus grand nombre. Il est indispensable de renforcer la transparence autour des personnes physiques et morales qui détiennent les grands titres de presse, ainsi que l'information sur l'actionnariat impliqué.
Il nous semble, par ailleurs, essentiel d'aller bien plus loin que la législation actuelle en matière de lutte contre la concentration des médias, en interdisant, par exemple, à un même groupe de posséder plusieurs formats de support identique et en réduisant le seuil de diffusion maximal de la presse quotidienne d'information politique et générale autorisé.
Lorsqu'en 2015, Vincent Bolloré empêche la diffusion sur sa chaîne Canal+ d'un documentaire qui dénonce un système d'évasion fiscale mis en place au sein d'une filiale du Crédit Mutuel, on peut considérer qu'il s'agit bien d'un cas de censure. Ce fut là, d'ailleurs l'élément déclencheur de la proposition de loi Bloche, votée au Parlement en 2016. De même lorsque le magazine Challenges se voit condamné, en février dernier, à retirer une information concernant la situation financière de la société Conforama, il est difficile de ne pas voir dans cette affaire une entrave à la liberté de la presse.
En juin 2017, dans une tribune collective intitulée « Le nouvel exécutif a-t-il un problème avec la liberté d'informer ? », les sociétés de journalistes de vingt-trois médias s'alarmaient de ce que le gouvernement nouvellement élu envoyait « des signaux extrêmement préoccupants » quant à l'indépendance des médias et à la protection de leurs sources. Dans ce communiqué, les journalistes rapportent plusieurs exemples des pressions exercées par des personnalités politiques sur les rédactions.
Faute d'une analyse profonde de la situation de la presse qui génère les dysfonctionnements que je décris, vous êtes conduits à formuler des propositions en décalage total avec la réalité des faits. La place prépondérante que l'internet et ses réseaux sociaux ont prise dans notre société favorise la diffusion de fausses informations, c'est vrai, mais je voudrais appeler votre attention sur le fait que ce n'est pas là le fond du problème auquel nous devons faire face. Il n'a, en effet, échappé à personne ici, je suppose, que rumeurs et fausses nouvelles ont toujours circulé de par le monde. Combien d'émeutes populaires et de coups de force politiques tirent leur origine de rumeurs savamment distillées dans l'esprit des foules ? Assurément, les fausses informations n'ont pas attendu l'avènement d'internet et des réseaux sociaux pour se répandre.
Par ailleurs, vous en conviendrez aussi, il n'a jamais été aussi facile et rapide qu'aujourd'hui de vérifier une information, grâce aux progrès techniques. Bien avant le développement du fact-checking et de sites tels que HoaxBuster ou CrossCheck, il était déjà possible pour n'importe quel internaute de se faire une idée du degré de sérieux d'une information trouvée sur le web en effectuant quelques recherches et de déjouer facilement la majorité des rumeurs qui circulent sur la toile.
Ce qui semble caractériser notre époque, c'est d'abord la perte de confiance de nos concitoyens et de nos concitoyennes envers les professionnels de l'information. Ce n'est pas tant que les gens se désintéressent des événements, ni qu'ils dédaignent la connaissance, mais plutôt qu'ils remettent en cause l'impartialité des grands médias. Beaucoup cherchent, au contraire, à s'émanciper de l'information préformatée et s'enquièrent de tous les sujets qui les préoccupent. Cependant, bien que cette aspiration à connaître les choses par soi-même soit des plus saines, on ne s'improvise pas enquêteur. Il n'est pas toujours chose aisée de séparer le bon grain de l'ivraie.
Depuis des années, de très nombreux journalistes déplorent la dégradation de leurs conditions de travail et appellent de leurs voeux les changements qui leur permettraient de renouer véritablement avec l'idéal de leur profession. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous, parlementaires de La France insoumise, appelons à un renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, très largement insuffisante dans notre pays. Car « s'il n'y a pas de protection des sources, les sources se tarissent, et donc il n'y a pas d'information », selon Louis-Marie Horeau, rédacteur en chef du Canard enchaîné.
Vous désirez l'extension des pouvoirs accordés au Conseil supérieur de l'audiovisuel, ce qui peut s'apparenter à une atteinte directe à la liberté d'expression. Cette entité, ainsi renforcée, pourrait désormais décider quelles sont les « vraies » informations et les « fausses », définies dans votre projet de loi comme « toute allégation ou imputation d'un fait dépourvue d'éléments vérifiables, de nature à la rendre vraisemblable ». Cette définition nous paraît suffisamment large pour que toute référence artistique, par essence subjective, puissent être considérée comme une fausse information.