Face au nouveau paradigme informationnel auquel nous devons faire face – on parle d' « infobésité », de précarité de l'information, de sources de plus en plus difficile à analyser – , le Gouvernement propose de légiférer. Or le choix de la voie législative dans la lutte contre les fake news est, à mon sens, dangereux. Le plus grand risque, on le sait, est que s'érige une vérité officielle. En permettant à chacun de se prévaloir de la vérité pour intenter une action en justice, on risque de mettre à mal, selon moi, l'exercice de la liberté d'information et d'expression. Comme nous l'avons saisi au travers de nos débats aujourd'hui, il y a une confusion possible entre les visions du monde, qui relèvent de l'opinion de chacun, et les fausses informations. Et ce n'est pas un mince problème, d'autant que la proposition de loi concerne pour partie les périodes électorales.
Nous avons évidemment toutes et tous en tête les affaires Cahuzac, Sarkozy, Kadhafi, Fillon et bien d'autres encore. Or, dans toutes ces affaires, les révélations initiales ont été qualifiées de fausses nouvelles. Pour ne citer que cet exemple, il a fallu plusieurs années à Mediapart pour obtenir gain de cause quant à la véracité des documents qu'il avait produits, et elle est encore parfois remise en cause.
L'article 1er de la proposition de loi vise à créer une nouvelle procédure de référé : en cas de diffusion d'une fausse information en période électorale, il sera possible de saisir le juge, qui pourra, le cas échéant, supprimer le contenu en cause, déréférencer le site internet concerné, voire bloquer l'accès à ce site. Cette procédure pourrait constituer, à nos yeux, une menace pour la liberté d'expression, au regard de l'imprécision de la notion de « fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin », de l'étendue de son champ d'application, à savoir la diffusion « par le biais d'un service de communication au public en ligne », et de la sévérité des sanctions possibles, qui seront décidées dans un laps de temps très court, quarante-huit heures.
Nous savons à quel point il est difficile d'établir que tel ou tel élément altère la sincérité du scrutin. Je sais que la majorité En marche ! a en tête deux allégations soulevées lors de la présidentielle – l'une concernant un compte aux Bahamas, l'autre sur des sujets beaucoup plus intimes – , mais je crois, pour ma part, qu'elles ont eu une incidence négligeable sur la sincérité du vote au regard de l'exposition médiatique dont a bénéficié le candidat En marche ! au même moment dans les médias mainstream.