Monsieur le président, madame la ministre, madame et monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette loi n'arrive pas totalement par hasard. Elle a d'ores et déjà une histoire, qui commence il y a quelque temps aux États-Unis, où a été inventé le terme que nous employons souvent aujourd'hui, mais qui ne se trouve évidemment pas dans le titre de la proposition de loi. Cette histoire s'est poursuivie au Royaume-Uni, a touché la France et se dissémine partout. Elle concerne non seulement la diffusion de fausses nouvelles, mais aussi l'appropriation des données personnelles des uns et des autres, au travers de médias qui manipulent l'information – je pense ici évidemment au scandale de Cambridge Analytica. Elle prend en compte notre nouvel usage différent de l'information et des vecteurs qui le portent ; pour la première fois, là est la grande nouveauté de la période, on peut avoir un doute sur certains résultats de scrutins électoraux, parce que l'information qui les a accompagnés n'est pas aussi claire qu'avant.
Cependant, il y a toujours eu des rumeurs, et tous ceux qui ont une expérience des scrutins électoraux ont toujours vécu la nuit précédant l'élection avec la secrète angoisse de trouver dans leur boîte aux lettres le lendemain le tract félon, ignominieux et anonyme qui allait tout changer – mais qui ne changeait pas grand-chose.
La notion de diffamation existe déjà dans la loi, mais des choses ont changé. Tout d'abord, notre pratique de l'information a profondément évolué, et ce sont les réseaux sociaux qui nous informent et nous irriguent. En outre, la défiance actuelle à l'égard de l'information n'existait pas auparavant. Elle n'est pas forcément liée, d'ailleurs, à l'apparition de nouvelles technologies et tient davantage au fait que notre société doute d'elle-même, du progrès, de ses instances et de ses élites, pour des raisons sans doute justifiées. Tout cela fait qu'une information, même absurde, peut ne pas s'arrêter de circuler sur ces réseaux sociaux et être reçue comme valable par de nombreuses personnes.
Alors, qu'est-ce qui change ? Ces réseaux sociaux permettent une diffusion quasi instantanée de l'information, et d'un clic, on peut partager quelque chose de totalement délirant avec quelques milliers de personnes. Il y a une massification de la diffusion. Au travers de nos propres pratiques d'Internet, on peut être informé de façon très singulière et très particulière. Voilà les changements qui se sont opérés.
L'un des orateurs précédents a parlé des ragots de comptoir, qui, eux, restaient au comptoir, ce qui était bien. Ils pouvaient se diffuser parfois sur la place de l'église et toucher quelques autres comptoirs voisins et amis, mais ils ne touchaient pas des milliers voire des millions de personnes en quelques heures.
Ces nouvelles pratiques nous amènent à développer des protections différentes par rapport à l'usage de ces technologies et à leurs conséquences sur la démocratie. Nous sommes d'ailleurs observés, et d'autres tentatives de régulation de ces fausses informations ont été déployées chez nos voisins. Elles ne sont pas très satisfaisantes, pour différentes raisons. Elles ont tout d'abord abouti à une forme d'autocensure des plateformes et des vecteurs, qui essayaient d'éviter les problèmes pour des raisons simples : leur modèle économique repose sur la rémunération par la publicité, qui exige d'avoir une audience et qui nécessite donc d'être à peu près crédible.
Il y a aussi autre chose. Par le mode de gestion de nos données, nous sommes parfois abreuvés d'informations que nous n'avons pas sollicitées, mais dont la plateforme pense qu'elles nous plairont. Je vous parlerai tout à l'heure de la terre plate, mais je ne veux pas déflorer le sujet…
Nous avons donc décidé de réagir par une nouvelle loi, non pour brider ni pour interdire, mais pour mettre fin à la diffusion de ces informations. Pour cela, nous ne touchons pas l'auteur, mais les vecteurs, pour les neutraliser.
Plusieurs mesures s'imposent. Tout d'abord, gérer l'urgence et mieux traiter la période préélectorale – nous y reviendrons. Le juge ne sera pas là pour dire la vérité, mais pour que triomphe l'évidence. Il faudra également garantir la transparence, assurer un devoir de coopération et une éducation.
Ce texte n'est pas un caprice, mais l'expression d'une nouvelle étape dans notre vie démocratique.
Le 13/06/2018 à 09:32, Laïc1 a dit :
Le silence total est-il l'apogée de la vie démocratique ?
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