Intervention de Général Jean-Pierre Bosser

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 9h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

Égalité et fraternité d'armes en l'occurrence, en effet…

Concernant les cadets de la défense, on ne souligne en effet pas assez toutes les actions menées par l'armée. J'ai évoqué l'objectif de porter à 6 000 les effectifs du SMA et à plus de 3 000 ceux du SMV, sans oublier les préparations militaires, les cadets, etc. En fait, ces ruisseaux forment déjà une petite rivière. Il faut prendre ces éléments en compte dans notre réflexion sur le nouveau service national. Ce dernier aura-t-il vocation à « écraser » les actions actuellement menées ? Car il faudra bien faire un choix.

J'en viens à la féminisation. Quand nous avons déclenché l'opération Serval, sur les 3 000 soldats alors engagés, on comptait 300 femmes qui se sont remarquablement bien comportées. Je n'ai pas de souci avec la féminisation dans les armées. L'année dernière, lorsque votre commission m'a auditionné, j'ai eu le malheur de dire aux deux députées présentes que la féminisation, pour moi, n'était plus un sujet et que moins on en parlait, mieux on se portait. J'ai senti que j'avais choqué. Je voulais tout simplement me faire l'interprète de nos filles qui ne veulent pas être discriminées et qui disent partout qu'elles ont choisi ce métier et qu'elles veulent être considérées comme des soldats comme les autres. Les problèmes ne sont pas pour autant tous résolus : la cohabitation des garçons et des filles, alors qu'ils ont vingt ans, dans des espaces restreints, n'est pas toujours évidente ; je reste très attentif, en outre, à l'accès pour les filles au concours de l'École de guerre – car il est difficile de faire « grandir » ces filles au sein de l'institution militaire ; nombre d'entre elles partent au bout de quinze ans de service, alors qu'elles ont fait le plus dur du chemin, parce qu'elles sont confrontées à des questions comme celle de savoir qui va s'occuper des enfants. Nos filles sont bien dans l'institution, elles remplissent bien leur mission, elles sont courageuses – car quand elles choisissent un métier de fantassin, elles doivent se montrer à la hauteur sur le plan physique – ; elles ont en tout cas hâte qu'on cesse de les présenter comme si elles étaient la jambe de bois de l'armée de terre.

Concernant les récents arbitrages budgétaires, je répète que je ne peux pas vous dire à ce jour quels seront précisément les secteurs concernés par la suppression annoncée de 850 millions d'euros de crédits. Quant à ce que cette coupe budgétaire ralentisse le développement du programme Scorpion, cela m'étonnerait beaucoup : c'est le programme qui a d'emblée attiré l'intérêt de la ministre, qui souhaite faire preuve de souplesse dans l'acquisition des équipements. Et il est vrai qu'en matière d'acquisitions d'équipements, l'armée de terre reste tout de même l'armée la plus « agile » : construire des sous-marins ou des avions, ce sont des programmes qui s'inscrivent probablement plus dans la durée.

En ce qui concerne le moral, son analyse ne me paraît pas correspondre à la réalité. On mesure en effet le moral au cours de tables rondes et par le moyen de questions « formatées », et on obtient une synthèse un an après. Or on doit pouvoir évaluer le moral en temps réel et avec les bons thermomètres. J'ai demandé à l'inspecteur de l'armée de terre, le général Éric Margail, de me proposer une nouvelle évaluation du moral. Sans faire de commentaire sur ce qui s'est passé la semaine dernière, à considérer les réseaux sociaux, vous imaginez bien de quelle manière un événement peut brutalement occuper tout l'espace médiatique avec un impact que personne ne parvient plus à maîtriser. Je prendrai l'exemple des gars du 93e régiment d'artillerie de montagne qui, à leur retour, ont eu un problème avec le logiciel LOUVOIS ; l'information est sortie sur les blogs et l'affaire est montée en puissance. Le moral peut ainsi basculer en quarante-huit heures.

Pour ce qui est des foyers, en effet, tout ce qui a trait à la restauration, à l'hôtellerie et aux loisirs a été durement touché par la réforme du soutien. Sans la remettre en cause, il faut admettre que certains curseurs doivent être déplacés. Ainsi nos cuisiniers ne nous appartiennent-ils plus puisqu'ils relèvent désormais du soutien, qui a son propre cycle de projection. Quand l'ordinaire ferme le dimanche soir, nos gars, qui vivent tout de même au quartier, vont dîner à l'extérieur… Il arrive que les cuisiniers soient projetés lorsque le régiment soutenu est au quartier et inversement. Pour éviter que ne se produisent des situations courtelinesques, les autres chefs d'état-major et moi-même avons des projets d'évolution du soutien à proposer au CEMA et à la ministre.

Vous m'avez interrogé sur les forces spéciales. Elles sont bien équipées et bien entraînées. Un militaire des forces spéciales est aujourd'hui mieux équipé que son camarade des forces conventionnelles. J'évoque ici aussi bien l'équipement individuel que l'équipement collectif – en urgence opérationnelle, ce sont les mieux dotés, qu'il s'agisse de drones, de caméras… Reste à améliorer la combinaison entre les forces spéciales et les forces conventionnelles. Surtout, je suis favorable à l'action des forces spéciales en tant que primo intervenant dans des situations de crise sur le territoire national. Il y a un an, quand j'ai émis cette idée, cela a provoqué quelques remous. Mais soyons clairs : vous, la représentation nationale, pensez-vous que les Français accepteraient que nos soldats restent l'arme au pied alors qu'il se passe quelque chose à un quart d'heure d'où ils sont, tout simplement parce que la procédure exige que telle ou telle unité intervienne en premier ? J'ai dit que les faits auraient raison et nous avons démontré, au Radisson Blu et au Burkina-Faso, que le primo intervenant jouait un rôle majeur. Ainsi, quand se sont déroulées les fêtes de Bayonne en 2016, nous avons mis en alerte le 1er régiment de parachutistes d'infanterie de marine au cas où... J'estime que c'est ma responsabilité et que j'aurais beaucoup de difficulté à venir vous expliquer, alors que je dispose d'un régiment de forces spéciales capable d'intervenir comme primo arrivant, que je l'aurais laissé l'arme au pied au prétexte qu'il revenait à la police ou aux gendarmes d'intervenir en premier.

Je terminerai par les moyens en outre-mer. Nous sommes en deçà de la ligne de flottaison, tant en ce qui concerne les bateaux, les hélicoptères, que les forces prépositionnées. Or nos concitoyens ultramarins sont des Français qui doivent bénéficier du même niveau de protection et de sécurité que les autres. Aussi, en cas de renforcement des effectifs, faudrait-il d'abord penser à nos concitoyens d'outre-mer.

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