Intervention de Général André Lanata

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 11h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, c'est toujours un honneur pour moi que de venir devant vous afin de vous parler de l'armée de l'air – j'ai envie de dire « votre armée de l'air » – et de ses aviateurs qui, en ce moment même, combattent en première ligne et sur tous les fronts pour la protection des Français. Comme vous le savez, le contexte sécuritaire s'est durci ces dernières années, au point que la sécurité de nos compatriotes est quotidiennement menacée, ce qui constitue une préoccupation majeure pour eux. La mission de l'armée de l'air est d'intervenir en métropole, dans les départements et collectivités d'outre-mer, à l'étranger, partout où la menace est présente, et de détruire les foyers du terrorisme où qu'ils se situent afin de préserver notre sécurité.

C'est dans ce contexte, et alors que débute la revue stratégique demandée par le président de la République, que j'interviens aujourd'hui devant votre commission nouvellement formée. Je vous remercie de m'accueillir et de me donner l'opportunité de venir vous parler de l'engagement des aviateurs que je commande depuis un peu plus de deux ans.

Pour l'armée de l'air, ces engagements se déclinent partout où la menace ou nos modes d'actions font intervenir la troisième dimension. Le spectre est large, étant donné qu'il n'y a pas, théoriquement, un point de la surface du globe qui ne puisse être atteint depuis les airs ou depuis l'espace – les États-Unis en ont fait la douloureuse expérience en septembre 2001.

L'enjeu consiste d'abord à maîtriser l'air afin de pouvoir agir depuis l'air, c'est-à-dire exploiter la troisième dimension pour les besoins de notre sécurité et de nos intérêts. Le field marshal Montgomery avait coutume de dire : « Si nous perdons la guerre dans les airs, nous perdons la guerre, et nous la perdons rapidement ». Le maréchal Pétain avait lancé un avertissement similaire à Verdun, affirmant : « Si nous sommes chassés du ciel, alors c'est simple, Verdun sera perdu » – chacun connaît la suite.

Si je vous dis cela, c'est pour mieux vous convaincre que la liberté d'action dans le domaine aérien est un préalable à notre protection ainsi qu'à toute liberté d'action militaire, y compris sur terre et en mer. Je constate d'ailleurs aujourd'hui que la maîtrise de l'air semble aller de soi, comme si elle était définitivement acquise : en réalité, elle est de plus en plus contestée – j'aurai l'occasion d'y revenir.

Les caractéristiques des engagements aériens résultent, par ailleurs, des propriétés spécifiques du milieu aérien, comme cette capacité à agir en tout point du globe, y compris là où l'accès est difficile ou contraint politiquement, avec d'autres moyens, comme c'est le cas aujourd'hui à Raqqa, en Syrie.

Vous comprendrez aisément que cette capacité à s'affranchir des obstacles naturels offre une très large palette d'action aérienne qui se décline en options politiques permettant la mise en place d'un pont aérien – comme lors du blocus de Berlin, par exemple – ou d'une zone d'interdiction aérienne – comme ce fut le cas en Irak après la guerre du Golfe –, mais aussi des frappes de rétorsion ponctuelles – comme celles planifiées en Syrie en 2013 –, des missions d'aide humanitaire – par exemple à Fukushima ou en Haïti –, d'évacuation de ressortissants – ce fut le cas en République de Côte-d'Ivoire – ou de renseignement – c'est ce que nous faisons en Libye aujourd'hui.

L'action aérienne rend également possible l'intervention dans des délais que seule l'arme aérienne permet. Moins de vingt-quatre heures après l'attentat du Bataclan, nos avions frappaient en Syrie les positions de Daesh ; moins de vingt-quatre heures après l'ordre du président de la République, nos avions stoppaient les djihadistes qui menaçaient Bamako.

Enfin, en étant capable d'agir à distance d'un théâtre, l'arme aérienne limite l'empreinte au sol de nos interventions : c'est le cas par exemple lorsque nous intervenons depuis nos bases métropolitaines, comme le font aujourd'hui les Rafale de Mont-de-Marsan pour des missions de reconnaissance en Libye.

Pour honorer ces missions, le modèle de l'armée de l'air s'appuie sur trois piliers.

Le premier pilier est celui des bases aériennes : l'aviateur vit, travaille, protège, régénère ses avions, s'entraîne et conduit ses opérations depuis une base aérienne. Pour cette raison, le fonctionnement en bases aériennes constitue la clef de compréhension de l'organisation de l'armée de l'air, et la base aérienne constitue une partie intrinsèque de l'outil de combat de l'armée de l'air. Le réseau de nos bases constitue en effet le maillage indispensable à la réactivité, à la permanence et la résilience de nos actions.

Tous les jours, les opérations intérieures et extérieures de l'armée de l'air sont conduites depuis nos bases aériennes, qui ne sont donc pas qu'un lieu de casernement. C'est un point qu'il me semble important de souligner. C'est à partir de ces bases que sont tenues les postures opérationnelles de défense aérienne et de dissuasion. Les avions de détection aéroportée AWACS, qui interviennent à l'est de l'Europe dans le cadre des mesures de réassurance de l'OTAN, décollent ainsi de la base aérienne d'Avord, dans le Cher. Cela traduit une spécificité propre à l'armée de l'air : celle de la continuité entre temps de paix, temps de crise et temps de guerre.

Le deuxième pilier est constitué du système de commandement et de contrôle des forces aériennes, que l'on nomme plus communément le C2. Un avion n'a en soi qu'une capacité d'action limitée. C'est bien l'action judicieusement combinée de moyens aériens qui produit l'effet militaire recherché. Décollant depuis la base aérienne de N'Djamena au Tchad, un dispositif aérien constitué d'avions de chasse, d'avions de ravitaillement en vol, de moyens de détection aéroportée ou de reconnaissance permet l'appui des troupes françaises, européennes, africaines ou des Nations unies au Mali, la reconnaissance des positions de Boko Haram au Nigeria, ou encore d'effectuer une démonstration de présence en République Centrafricaine.

La coordination de l'ensemble de ces capacités est rendue possible grâce au centre de commandement et de conduite des opérations aériennes situé sur la base aérienne de Lyon-Mont-Verdun, véritable intelligence et système nerveux de nos opérations aériennes, sans lequel nous ne sommes pas en mesure d'agir. C'est ce système qui unifie les différents moyens aériens autour d'un système de combat global cohérent, produisant les effets requis.

Le troisième pilier est constitué des hommes et des femmes qui servent dans l'armée de l'air : les aviateurs. Je peux vous assurer que les aviateurs que je commande allient un très haut niveau de savoir-faire technologique à un enthousiasme remarquable, une discipline et une loyauté sans faille, une rusticité, une débrouillardise et une expérience opérationnelle rare, une générosité et un sens du service qui forcent l'admiration, y compris chez nos alliés.

Il faut être convaincu que les équipements les plus performants ne font pas tout. C'est bien ce que j'appelle cette « épaisseur opérationnelle et humaine » qui fait la différence au combat, c'est elle qui garantit la crédibilité de notre armée de l'air et permet à nos autorités politiques de disposer d'un poids supérieur à la table des négociations.

Notre modèle s'appuie sur une cinquantaine de spécialités : pilotes, mécaniciens, contrôleurs, spécialités du renseignement et des systèmes d'information, mais aussi commandos, forces spéciales air, experts du ciblage, des armements, des liaisons de données tactiques, du contrôle tactique avancé des aéronefs, pompiers, experts des explosifs et des armes nucléaires, météorologues, logisticiens ou encore maîtres-chiens, tous contribuent à la mission et y sont essentiels. J'aurais l'occasion de revenir sur ce qui constitue un défi humain, compte tenu des tensions qui pèsent aujourd'hui sur notre modèle de ressources humaines.

Ma responsabilité première en tant que chef d'état-major de l'armée de l'air est de veiller à l'aptitude opérationnelle des forces aériennes. Le personnel doit être formé et entraîné à l'ensemble du spectre des missions que peuvent demander le chef des armées et le chef d'état-major des armées : entrée en premier, supériorité aérienne, bombardement stratégique, frappes dans la profondeur du dispositif ennemi, appui aux troupes au sol, reconnaissance aérienne, aérotransport, opération aéroportée, etc. Je parle ici de préparation opérationnelle, c'est-à-dire de l'entraînement qui est indissociable de la dimension humaine d'une armée.

Il convient également de maintenir en condition opérationnelle les équipements et de veiller, au travers de la condition du personnel, à ce que les aviateurs gardent l'ascendant moral qui leur permet de gagner les combats dans lesquels ils sont engagés. Je peux témoigner devant vous aujourd'hui que les aviateurs sont au rendez-vous des missions que la France leur confie. Je suis fier également des valeurs qu'ils portent et qu'ils défendent, qui constituent d'ailleurs le moteur de leur engagement au service de la France.

Pour l'ensemble de ces raisons, il est indispensable de prêter la plus grande attention aux hommes et aux femmes de l'armée de l'air – c'est la première de mes préoccupations. Au moment où votre nouvelle commission prend ses responsabilités, j'en profite pour vous réitérer mon invitation à venir à leur rencontre, en opération, sur les bases aériennes, dans les centres de commandement et de contrôle, dans les salles d'alerte. Il n'y a que sur le terrain que l'on peut véritablement comprendre la vie et les missions de nos aviateurs. À l'inverse, vous n'imaginez pas à quel point la reconnaissance de la Nation que vous pouvez leur témoigner constitue un puissant moteur de leur engagement.

En ce sens, votre rôle est capital et dépasse celui de la reconnaissance, puisqu'il vous appartient aussi de décider du maintien à niveau des capacités de l'armée de l'air, en donnant notamment aux aviateurs les moyens indispensables à la réussite des missions qui leur sont confiées. Je remercie d'ailleurs vivement ceux d'entre vous qui ne manquent pas un rendez-vous avec les forces, comme je peux le constater régulièrement à l'occasion de mes déplacements sur les bases aériennes – cela a récemment été le cas à Salon-de-Provence, où vous vous êtes rendu, Monsieur le président. La présence des élus est un signe fort de reconnaissance des efforts consentis, dont les aviateurs ont besoin. Je saisis également cette occasion pour remercier l'ensemble des députés qui ont toujours accompagné les armées et notamment l'armée de l'air, ses hommes et ses femmes.

Je vous propose maintenant de vous décrire les opérations dans lesquelles sont engagés les aviateurs. Elles constituent une épreuve de vérité, une véritable mise à nu de notre armée de l'air et la meilleure des illustrations pour vous présenter les missions et les possibilités de l'armée de l'air. Je poursuivrai en vous montrant les efforts qui lui ont permis de s'adapter aux défis actuels et à venir – il s'agit d'une véritable transformation. Enfin, je détaillerai mes préoccupations, ainsi que les priorités que j'identifie pour l'armée de l'air dans les années à venir.

Comme j'ai commencé à vous le dire, l'armée de l'air apporte une contribution essentielle à la sécurité des Français, où qu'ils se trouvent. Ainsi, elle assure en permanence la souveraineté de notre espace aérien national, au-dessus de notre territoire. Cette mission repose sur une surveillance permanente des mouvements aériens et spatiaux au-dessus de la France et de ses approches. Elle met en oeuvre un maillage complexe de radars, de centres de veille et de commandement sur l'ensemble du territoire, pour suivre et identifier les aéronefs dont le comportement ou l'origine serait douteux.

Des avions de chasse et des hélicoptères d'intervention sont en alerte, capables de décoller en moins de sept minutes, voire en moins de trois minutes ; si les circonstances l'exigent certains peuvent même tenir cette alerte en vol, à des fins d'assistance ou de police du ciel. Il s'agit d'une capacité d'intervention hautement crédible, puisqu'elle permet d'intercepter en moins de quinze minutes un aéronef dangereux, où qu'il se trouve dans notre espace aérien.

En 2016, nous avons effectué 91 décollages sur alerte pour la chasse et 60 pour les hélicoptères, 78 interventions relatives à des infractions de police du ciel, et quatre assistances en vol au profit d'aéronefs civils en difficulté. Je note également une recrudescence des survols de bombardiers stratégiques russes, que nous avons interceptés à proximité immédiate de nos frontières à deux reprises en 2016. Cette mission de police du ciel s'étend à la surveillance de l'espace.

L'armée de l'air met également en oeuvre la composante aéroportée de notre dissuasion nucléaire, articulée autour de moyens aériens et terrestres, d'un réseau de bases aériennes, de centres de transmission et de commandement en permanence en alerte pour défendre nos intérêts vitaux. Elle offre un éventail d'options robustes, ainsi qu'une certaine réversibilité. Elle s'appuie sur les atouts spécifiques de la composante aéroportée, parfaitement complémentaires de ceux de la composante océanique, renforçant ainsi la robustesse et la crédibilité de la posture dissuasive de notre pays.

J'ajoute que l'ensemble des moyens concourant à la dissuasion aéroportée participe également aux missions conventionnelles. Les avions de chasse et les avions de ravitaillement en vol sont en effet utilisés quotidiennement en France pour la mission de défense aérienne ou en opération extérieure pour la lutte contre le terrorisme, par exemple. Il en résulte qu'il n'y a plus de gains à attendre du côté des formats de l'aviation de chasse en particulier, les contrats opérationnels entre toutes ces missions étant déjà très largement mutualisés.

Par ailleurs, l'armée de l'air contribue largement aux missions de protection et de sauvegarde sur le territoire national. Aux côtés de la posture permanente de sûreté aérienne, elle participe à l'opération Sentinelle, défend ses propres emprises militaires – notamment les bases aériennes –, met en place des dispositifs particuliers de sûreté aérienne comme ce fut le cas le 14 juillet dernier, réalise des missions de sauvegarde des populations, de lutte contre les feux de forêt, de recherche et sauvetage – elle a effectué 49 sauvetages par air et sauvé 26 vies en 2016 –, ainsi que différentes missions de service public.

Je souligne également que ce sont trois aviateurs de l'opération Sentinelle qui sont intervenus contre l'attaque terroriste perpétrée à Orly en mars 2017. Cette équipe, qui a fait preuve d'une exceptionnelle maîtrise de la situation compte tenu des circonstances, était représentative des métiers et spécialités que compte l'armée de l'air, puisqu'elle était composée d'un mécanicien avion Mirage 2000 de la base aérienne de Nancy, d'un agent d'opération de la base radar de Tours – située à Cinq-Mars-la-Pile – et d'un étudiant réserviste de la base aérienne de Saint-Dizier, âgé de dix-huit ans.

Cela illustre aussi, en creux, les tensions que nous rencontrons sur nos ressources humaines, puisque notre modèle repose sur le prélèvement d'aviateurs sur les bases aériennes, et non sur le déploiement d'unités combattantes constituées. Au total, la posture de protection de l'armée de l'air sur le territoire national mobilise en permanence 4 000 personnels, toutes missions confondues.

Les aviateurs apportent également des réponses directes aux attentes de protection des Français à l'extérieur de nos frontières, notamment en frappant les sanctuaires djihadistes d'où sont planifiées les attaques sur le sol français. Engagée au sein de la coalition internationale emmenée par les États-Unis dans la lutte contre le terrorisme en Irak depuis 2014, et en Syrie depuis 2015, l'arme aérienne a permis de stopper l'expansion de Daesh, puis de le priver d'une part importante de ses ressources financières, de réduire son potentiel militaire et humain et finalement de rendre possible la reprise progressive du terrain par les forces partenaires. Il faut saluer les aviateurs qui réalisent des missions au Levant, face à un ennemi barbare qui n'hésite pas à sacrifier des familles à Mossoul et à utiliser des boucliers humains dans les hôpitaux, les mosquées et les écoles.

Les résultats sont là, implacables, comme en témoigne la reprise par les forces irakiennes de la ville de Mossoul. L'arme aérienne produit des effets décisifs et l'essentiel de l'attrition sur l'ennemi. Ce résultat est le fruit d'une véritable campagne aérienne menée avec méthode et patience depuis trois ans grâce à une analyse systématique de l'ennemi, un ciblage méthodique, dans la durée, pour frapper l'ennemi au coeur – notamment à Mossoul et Raqqa, d'où ont été diligentés les attentats de janvier et novembre 2015 sur notre propre sol –, mais aussi pour apporter l'indispensable liberté de mouvement aux forces de sécurité au sol.

Le tout se fait avec une empreinte au sol particulièrement modeste : environ 500 aviateurs engagés sur notre base aérienne projetée en Jordanie – que vous avez visitée, Monsieur le président –, au plus près des combats, et sur notre base aérienne aux Émirats arabes unis.

Nous sommes également engagés au Sahel, sans discontinuer depuis 2013. Après avoir porté un coup d'arrêt à la progression des groupes armés et rétabli les conditions de sécurité pour la reprise d'un processus de réconciliation politique au Mali, nous traquons aujourd'hui les groupes terroristes dans une large bande allant de la Mauritanie au Tchad.

Il faut se rendre compte des étendues continentales à couvrir, correspondant à la superficie de l'Europe, mais aussi des conditions climatiques et environnementales particulièrement sévères pour les hommes et les équipements. Opérant principalement depuis les bases aériennes projetées de Niamey au Niger et de N'Djamena au Tchad, nous réalisons toute la gamme des missions aériennes : chasse, transport, reconnaissance, appui, frappes, surveillance, forces spéciales, et rendons ainsi possible l'action de l'ensemble de la force.

À titre d'exemple, cinq drones se relaient pour surveiller en permanence l'ennemi, contribuant de façon très significative au renseignement de théâtre, permettant l'engagement par d'autres moyens – avions de chasse, forces spéciales, hélicoptères – et participant à la protection de la force. En termes d'aéromobilité, 33 000 soldats ont été transportés par les airs en 2016, soit l'équivalent de quarante régiments. Cela permet de rejoindre rapidement des zones difficilement accessibles, et d'éviter que nos convois logistiques terrestres se trouvent surexposés au risque que constituent les explosifs improvisés, qui font régulièrement des victimes au sein de nos troupes.

Nos missions en Afrique ne se limitent pas à l'opération Barkhane : nous intervenons aussi en Libye, au Nigeria et en République centrafricaine, et les aviateurs sont également présents dans la corne de l'Afrique, à Djibouti.

Pour toutes ces opérations, je souligne l'appui déterminant des moyens de surveillance et de ravitaillement en vol apportés notamment par les États-Unis, sans lesquels un grand nombre de nos opérations ne seraient pas possibles. J'estime que nous devrons nous interroger sur ce qui s'apparente à une dépendance dans ces domaines clefs. Je souligne également l'appui apporté par certains de nos alliés européens en matière de transport aérien.

Pour terminer sur le terrain des opérations extérieures, vous savez que nous déployons chaque année à l'Est de l'Europe des avions de combat ainsi que des avions radar AWACS dans le cadre des mesures de réassurance de l'OTAN. Ces aéronefs participent à la mission de police du ciel des États baltes. Placés en état d'alerte, ils ont décollé à vingt-trois reprises en 2016 pour intercepter des avions russes.

Au total, ce sont un peu plus de 1 000 aviateurs qui se trouvent engagés en permanence au titre des opérations extérieures sur les différents théâtres d'opération. Par ailleurs, 600 aviateurs sont présents en permanence aux quatre coins du globe, dans les départements et collectivités outre-mer, pour protéger, manifester notre présence, surveiller les espaces terrestres et maritimes, et finalement exercer notre souveraineté en Amérique latine – en Guyane –, dans le Pacifique – en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie –, mais aussi dans l'océan Indien – à la Réunion.

Par ailleurs, 500 autres aviateurs se tiennent en mesure d'intervenir pour honorer nos accords de défense et répondre au déclenchement d'une nouvelle crise, à Djibouti, au Gabon, en Côte-d'Ivoire et au Sénégal, ainsi que dans le golfe Persique, aux Émirats arabes unis. Rappelons que ces forces prépositionnées ont été les premières à intervenir au déclenchement des opérations Serval au Mali et Chammal au Levant. Elles constituent des bases avancées, un gage de réactivité, mais aussi des points d'appui logistiques essentiels à notre dispositif d'intervention dans l'arc de crise.

À ces très nombreux engagements opérationnels, s'ajoutent d'importantes sollicitations dans le cadre du soutien aux marchés d'exportation du Rafale. S'il faut se féliciter de ces succès à l'export, je me dois néanmoins de souligner l'effort supplémentaire qui en résulte pour l'armée de l'air, principalement en actions de formation. En termes d'activité aérienne, cela représente l'équivalent d'un théâtre d'opération supplémentaire – avec, en 2018, un volume d'heures de vol équivalent à celui réalisé par l'aviation de chasse dans le cadre de l'opération Barkhane. En termes de ressources humaines, cela équivaut à un escadron de chasse mobilisé autour de cette mission, alors que nous n'en avons qu'une dizaine. De mon point de vue, il est donc nécessaire de donner à l'armée de l'air les ressources lui permettant de conduire ce qui constitue objectivement une nouvelle mission à part entière, les ressources en question n'ayant pas fait l'objet d'une inscription en programmation budgétaire.

Mon regard sur les opérations actuelles me conduit à plusieurs constats.

D'abord, les opérations se durcissent. Les combats sont violents, l'intensité est élevée, nous essuyons des pertes – treize aviateurs sont morts au combat ou à l'entraînement depuis 2014 – et nous déplorons régulièrement des blessés. L'environnement civil n'est pas épargné, comme nous le constatons à Mossoul.

Ensuite, nos opérations s'installent dans la durée. Voilà bientôt cinq ans que nous sommes engagés au Sahel, et plus de trois ans au Levant. Il faut durer et, pour cela, il faut des moyens suffisants, car les hommes et les machines s'usent, les stocks diminuent, l'entraînement prend du retard et notre dispositif s'affaiblit.

Les distances à quadriller sont à l'échelle d'un continent : ainsi, chaque mission au Sahel équivaut à un vol Paris-Moscou aller-retour. Pour couvrir de telles superficies, il faut des moyens de transport, de surveillance et d'intervention en nombre suffisant.

Je constate aussi un fort besoin de permanence de nos actions aériennes, afin de pouvoir traquer l'ennemi et contraindre ses modes d'action. Les drones de surveillance de longue endurance, les avions de ravitaillement en vol, mais aussi un nombre suffisant d'avions de combat, permettent d'y arriver. Tout ceci soulève aussi la question du volume de nos forces – je parle ici de formats, un terme que vous allez souvent entendre dans les mois à venir.

J'observe également une grande diversité dans les missions. Aujourd'hui, tout l'éventail des missions aériennes est sollicité simultanément – défense aérienne, frappes, reconnaissance, appui, dissuasion. C'est pourquoi il faut conserver un modèle d'armée complet et une armée de l'air capable d'agir sur l'ensemble du spectre des missions aériennes, comme nos besoins actuels le démontrent.

Nos moyens sont dispersés sur plusieurs opérations simultanées et sur plusieurs points d'appui au sein de ces théâtres. Il en résulte une pression supérieure sur nos capacités, notamment en termes de ressources humaines et de moyens logistiques.

Enfin, nos opérations sont plus intenses : un avion de chasse engagé au Levant consomme quatre fois le potentiel du même avion réalisant son activité aérienne en métropole. Durant l'année 2016, nous y avons délivré plus de 1 000 bombes et missiles, soit vingt fois plus qu'au Sahel. Ces chiffres sont considérables.

Durcissement, durée, distance, diversité, dispersion, intensité, persistance : ce sont les mots-clés que j'associe aux opérations en cours. Rien ne me permet de penser que ces caractéristiques vont évoluer à court et moyen terme : il faut donc nous y adapter.

Ce qui m'offre la transition vers mon deuxième thème : la transformation. Confrontée simultanément à une très forte contrainte budgétaire et une nécessité de modernisation, l'armée de l'air a accompli un effort d'adaptation sans précédent : déflations massives d'effectifs, restructurations, modernisation de ses organisations et de ses processus, accueil de nouvelles capacités, projets innovants, efforts d'optimisation internes.

Au cours des dix dernières années, 18 400 postes d'aviateurs ont été supprimés. Nous avons fermé dix-sept bases aériennes, dont celles de Dijon, Reims, Cambrai, Metz, Toulouse, Colmar, Strasbourg, Toul… je ne les cite pas toutes. Dans le même temps, nous avons divisé par deux le nombre de commandements, ainsi que le format de l'aviation de chasse.

Pour conduire de front ces restructurations très importantes tout en réalisant les missions opérationnelles et moderniser notre outil de combat, il était indispensable d'élaborer un plan d'ensemble fondé sur une vision stratégique. Ce plan, baptisé « Unis pour faire face », se poursuit aujourd'hui. Il fixe le cadre, garantit la cohérence d'ensemble et organise la mise en oeuvre des efforts d'optimisation que nous continuons à conduire. Il initie également une dynamique de projets fédérateurs portés par la cohésion des aviateurs. Ses axes principaux ont plusieurs objectifs.

Premièrement, il s'agit de moderniser les capacités de combat en préparant l'accueil des nouvelles capacités : transition de la composante aéroportée de la dissuasion vers le « tout Rafale », poursuite de la montée en puissance de l'A400M, déploiement opérationnel de drones de longue endurance Reaper au Sahel et sur le territoire national – dont un exemplaire était présent lors du défilé du 14 juillet dernier –, accueil, dans quelques mois, d'avions légers de surveillance et de reconnaissance, ainsi que des avions de transport C-130J, modernisation de la flotte des Mirage 2000D, mise en oeuvre de nouveaux standards Rafale, arrivée en 2018 du premier avion de ravitaillement en vol MRTT (Multi Role Tanker Transport) Phénix sur la base d'Istres, etc. L'accueil de ces nouvelles capacités suppose la tenue d'une manoeuvre majeure.

Deuxièmement, nous adaptons les structures. Après la fermeture l'an dernier de la plateforme aéronautique de la base aérienne de Creil et la fermeture de la base aérienne de Dijon, nous poursuivons l'organisation de nos commandements en terminant le regroupement à Bordeaux des deux grands commandements de l'armée de l'air en un commandement unique, le commandement des forces aériennes (CFA). Nous adaptons le système de commandement et de contrôle, nous modernisons la formation du personnel navigant grâce au programme de formation modernisée et d'entraînement différencié des équipages de chasse (FOMEDEC) sur la base aérienne de Cognac, l'armée de l'air prévoyant de cesser d'exploiter la plateforme aéronautique de la base aérienne de Tours dans les années à venir. Nous optimisons la logistique autour d'un hub de réception unique, interarmées, sur le détachement Air de Romorantin. Nous favorisons aussi l'innovation, notamment avec l'Air Warfare Center sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, qui réunit les experts des opérations, les responsables des expérimentations, ainsi que des start-up et des techniciens. Nous organisons également la transformation digitale de l'armée de l'air, illustrée notamment par le projet Smart Base, sur la base aérienne d'Évreux, qui accueille une pépinière de start-up numériques sur le modèle des smart cities. Avec l'Intelligence Campus, un modèle équivalent voit le jour sur la base aérienne de Creil, avec la direction du renseignement militaire (DRM).

Troisièmement, nous développons les partenariats à l'international vers la recherche, vers l'industrie aéronautique, vers l'éducation et l'enseignement supérieur. Par exemple, dans le domaine de la recherche, nous avons développé une chaire cyber ; conclu un partenariat avec l'ONERA, centre français de la recherche aéronautique, spatiale et de défense, situé sur la base aérienne de Salon-de-Provence ; créé un centre d'excellence drone sur la même base ; noué une coopération avec le centre Aérocampus de Bordeaux, dans le domaine de la formation. En faveur de la jeunesse, nous avons initié des actions de tutorat des jeunes officiers de l'École de l'air au profit d'élèves défavorisés – des actions qui me tiennent à coeur, et que j'ai demandé d'intensifier.

Dans ce même domaine, un effort considérable a été fait, par exemple, sur le brevet d'initiation aéronautique, sur l'ouverture d'un centre de service militaire volontaire air en septembre prochain à Ambérieu-en-Bugey, sur l'ouverture de nos ateliers de maintenance à l'apprentissage, pour l'augmentation du nombre d'élèves à l'École des apprentis mécaniciens de Saintes, et au profit des jeunes réservistes, autant d'initiatives contribuant à renforcer la cohésion nationale et le lien entre la Nation et son armée de l'air.

Quatrièmement, en matière de ressources humaines, il s'agit de valoriser l'aviateur en valorisant ses compétences grâce à la diplomation, à la validation des acquis de l'expérience et à la réserve inversée, mais aussi en améliorant la condition des personnels et de leurs familles, et en associant le personnel à la mission de protection.

J'aurais pu vous parler de nombreux autres projets, notamment du chantier de simplification de nos processus, que j'ai lancé récemment ; de l'ambitieux plan de renforcement de la protection de nos emprises ; du développement rapide de nos capacités de lutte contre les mini-drones. J'aurais également pu vous décrire la démarche engagée pour penser le système de combat aérien futur, privilégiant une approche système se démarquant de celle traditionnellement fondée sur l'évolution de la performance de chaque type d'avion ; nos démarches fondées sur les notions de combat cloud, de big data, de combat collaboratif et, demain, d'intelligence artificielle. Cependant, je vais m'arrêter ici dans ma description.

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