Je vous remercie de vos questions qui témoignent de l'intérêt que vous portez à nos activités.
Le terme de « format », que nous avons l'habitude d'employer dans notre jargon et qui est un peu barbare, désigne simplement un volume de forces. Le volume des forces aériennes françaises est parfaitement décrit dans les documents de programmation. Il est toujours difficile de se lancer dans des comparaisons internationales.
Nous avons un partenaire hors-norme, les États-Unis, auquel il n'est guère utile de nous comparer. Je préfère donc retenir des partenaires de type équivalent comme le Royaume-Uni, l'Allemagne ou l'Australie. Ensuite, nous avons des challengers dans le domaine aérien : les forces russes retiennent toute notre attention, non seulement parce qu'elles disposent d'équipements performants mais aussi parce qu'elles les cèdent ensuite à des pays tiers, situés notamment dans des régions d'intérêt pour nos forces.
Globalement, nos volumes de forces sont assez proches de ceux des trois principaux partenaires que je vous ai cités – Royaume-Uni, Allemagne et, dans une moindre mesure, Australie. Il est en revanche intéressant d'observer la façon dont ces pays modernisent leur flotte car, dans le domaine aérien, l'enjeu technologique est considérable. Un pays qui n'est pas au niveau technologique est déclassé. Il l'est vis-à-vis de ses partenaires car il lui est de ce fait impossible d'entrer en premier avec eux, par exemple ; il l'est aussi, évidemment, vis-à-vis de ses adversaires, face auxquels il sera forcément confronté à une situation d'infériorité donc à de grosses difficultés opérationnelles, pour parler pudiquement.
Depuis la Strategic Defence and Security Review (SDSR), les Britanniques ont lancé une modernisation relativement rapide et ambitieuse de leurs forces aériennes, qui les place très sensiblement en avance sur nous. Leur flotte de ravitailleurs est neuve et ils ont déjà 14 ravitailleurs MRTT quand nous n'en prévoyons que 12 (neuf commandés seulement à ce stade) alors qu'ils n'ont pas la charge de la mission de dissuasion aéroportée. Ils sont en train de faire entrer en service le F-35 et auront bientôt une flotte de chasseurs composée uniquement d'avions de quatrième et de cinquième génération (Eurofighter et F35), quand la nôtre sera plutôt composée d'appareil de génération antérieure (Mirage 2000 et Rafale). Ils disposent de six AWACS quand nous n'en avons que quatre. Leur flotte de transport est composée d'une palette de moyens récents (C130, C17, A400M). Leurs moyens de surveillance surclassent les nôtres puisqu'ils alignent notamment sur le théâtre irakien un nombre de drones de surveillance de longue endurance bien supérieur au nôtre. Bref, dans le domaine aérien, les Britanniques ont fait un effort. On entend souvent dire qu'ils sont déclassés : ce n'est pas ce que j'observe dans le domaine aérien.
Si j'ai cité le cas de l'Australie, c'est que j'y observe le même phénomène de modernisation rapide, avec à peu près les mêmes types d'équipements : moyens de ravitaillement, de surveillance et de guerre électronique de dernière génération ; acquisition du F-35 etc. Si je vous faisais part de ma préoccupation, c'est parce que le F-35 va constituer rapidement un standard de référence dans les armées de l'air mondiales, pas uniquement aux États-Unis mais aussi chez nos principaux partenaires. Que l'on soit surclassé par les États-Unis n'est pas surprenant ; que l'on commence à l'être par des partenaires équivalents est une autre affaire. Du fait, probablement, de sa situation géopolitique dans le bassin Asie-Pacifique, l'Australie fait des efforts qui méritent notre attention.
S'agissant des Allemands, il faudra être attentifs à la façon dont ils comptent investir les hausses budgétaires significatives qu'ils ont décidées pour 2017-2018 et qui auront certainement des effets rapides sur la modernisation de leurs forces, même si nous avons des structures de forces assez comparables dans le domaine aérien. Ce pays n'ayant pas la même culture expéditionnaire que nous, nous ne pouvons savoir comment les hausses budgétaires en question vont être employées ; il est cependant permis de penser que les Allemands insisteront moins que nous sur certaines forces comme le ravitaillement en vol, par exemple.
En ce qui concerne votre question sur la vétusté de certains équipements, nous vous communiquerons des chiffres précis quant à la disponibilité de toutes nos flottes. Il est évident que l'âge d'une flotte pèse sur sa disponibilité, pour différentes raisons. D'abord, parce qu'il arrive un moment où la structure industrielle qui nous permet de réparer ces équipements n'existe plus. Les industriels produisent des équipements neufs et entretiennent pendant un certain nombre d'années des activités qui permettent de soutenir les flottes de leurs clients mais cela ne dure qu'un temps. En ce qui concerne les flottes très anciennes comme le C-135, la difficulté vient de ce qu'à chaque fois que nous faisons face à un nouveau fait technique imprévu lié à son vieillissement – comme par exemple une crique sur une voilure, sur un train, sur un cadre –, nous n'avons pas immédiatement la solution de réparation, tout simplement parce que le tissu industriel est passé à autre chose. Si nous avons fait vieillir ces parcs, c'est pour de bonnes raisons – budgétaires, tout simplement – mais il faut maintenant que nous soyons très attentifs à l'entretien du tissu industriel qui n'existe plus nécessairement pour soutenir ces flottes.
J'en viens au réseau des bases aériennes. Je comprends votre préoccupation et sais à quel point la situation est sensible à Luxeuil-les-Bains comme sur d'autres bases aériennes. La ville de Saint-Dizier pourrait dire la même chose et il en est certainement d'autres qui sont très dépendantes de l'existence de nos emprises, compte tenu du poids considérable de ces dernières dans l'écosystème local. En dehors des villes que je vous ai citées – Creil, Dijon et Tours –, je ne prévois pas d'autre évolution de notre emprise territoriale à ce stade. Tout dépendra des travaux de programmation à venir et de la nécessité éventuelle de dégager de nouvelles marges de manoeuvre en matière d'effectifs dont j'ai souligné la criticité. Mais comme je vous l'ai dit, je ne dispose plus de beaucoup de leviers pour dégager de nouvelles marges, compte tenu de l'ensemble des réformes que nous avons conduites et de celles qu'il reste à mener à leur terme, dont les marges sont malheureusement déjà gagées dans les travaux de programmation. Ainsi ce n'est qu'en fonction des choix qui seront faits dans la loi de programmation militaire à venir et en particulier des ressources, notamment humaines, accordées à l'armée de l'air, que je saurai si nous maintenons ou pas notre tissu de bases aériennes tel qu'il existe actuellement. Il est encore trop tôt pour se prononcer et, a fortiori, pour dire quelles bases seraient concernées.
S'agissant du phénomène de radicalisation : ce point retient toute l'attention du chef militaire que je suis. Nous avons mis en place un certain nombre de dispositions qui ont démontré leur efficacité. Elles impliquent ce que j'appelle le commandement de proximité, en premier lieu les commandants de base et les commandants d'unité, la direction des ressources humaines de l'armée de l'air, ainsi que les services de renseignement compétents. Compte tenu de la sensibilité du sujet, vous comprendrez que je n'en parle pas davantage de façon ouverte.
La coopération avec l'Allemagne est un sujet de la plus haute importance à mon sens. Vous avez raison de souligner, Madame Dubois, l'enjeu de l'aviation de combat. Il faut toutefois commencer par le replacer dans une perspective plus large que celle de la coopération avec l'Allemagne. En effet qu'on le veuille ou non, l'aviation de combat fait partie des marqueurs de puissance d'un pays, du fait des capacités militaires essentielles qu'elle permet de déployer et du niveau technologique requis qui signe la capacité d'un pays à garantir sa souveraineté. J'estime donc qu'il s'agit d'un enjeu stratégique. Comme je vous l'ai indiqué dans mon exposé, j'observe une pression très importante de l'industrie aéronautique américaine en Europe, avec le déploiement progressif d'un avion de combat de dernière génération, le F-35. Ce dernier change la donne sur le plan des capacités opérationnelles en raison, principalement, de sa discrétion – il n'est pas détecté par les radars actuels – et de ses capacités de connectivité : il connecte massivement des informations avec les autres appareils du système de combat aérien. Si je parle de système de combat aérien, c'est qu'il ne faut pas considérer chaque avion pris isolément mais bien concevoir le système dans son ensemble : c'est ce système qui produit des effets, grâce à la connexion que nous arrivons à établir entre les différents mobiles du dispositif de combat aérien.
Dans les équilibres des forces en Europe, il n'y a plus guère, parmi les grands pays disposant de capacités d'investissement significatives et étant à parité stratégique avec la France, que l'Allemagne qui n'ait pas encore fait le choix de renouveler ses flottes de combat. C'est pourquoi il me semble intéressant sur le plan politique de prendre une initiative avec l'Allemagne pour engager un dialogue, afin d'étudier les possibilités de coopération pour remplacer ensemble nos flottes d'avions de combat. En première approche nous pourrions avoir des besoins similaires à ceux de l'Allemagne dans ce domaine. Nous sommes encore deux pays en Europe qui disposent de capacités d'investissement, l'Allemagne en manifeste d'ailleurs la volonté, avec l'augmentation significative de ses budgets de défense. Je pense par ailleurs qu'il est important de faire de l'aviation de combat un sujet compte tenu des enjeux dans les années à venir dans ce domaine. L'Allemagne pourrait constituer un partenaire à condition toutefois de trouver les architectures industrielles équilibrées qui permettront la réalisation de ces coopérations. Il faudra en effet faire valoir nos atouts en ce domaine.
J'en viens aux livraisons de Rafale. Si aucun Rafale n'est livré pendant quatre ans aux armées françaises, c'est tout simplement parce qu'il en a été décidé ainsi dans la loi de programmation militaire. Pour garantir les équilibres budgétaires de cette loi, extrêmement difficiles à trouver compte tenu de l'importante contrainte qui pesait en la matière, nous avons été obligés de faire des efforts extrêmement importants, notamment en recourant à l'export, je dirais en pariant sur l'export, pour garantir la continuité de fonctionnement des chaînes de production du Rafale sans être contraints de solliciter le budget de l'État français. C'est cette fenêtre blanche de quatre ans sans livraison de Rafale à la France qui explique l'arrêt de la modernisation de la flotte de l'aviation de combat française pendant cette période, à l'exception toutefois des évolutions de standard du Rafale qui se poursuivent et de la modernisation des Mirage 2000D qui débutera en 2020-2021.
Vous avez évoqué la politique d'externalisation du MCO et fait part de votre préoccupation à l'égard des AIA. Je comprends votre souci de ne pas diminuer leur plan de charge. Je puis vous garantir que lorsque nous avons besoin de recourir à l'industrie privée pour des marchés de maintien en condition opérationnelle de nos équipements faisant l'objet d'une activité soutenue par les ateliers de l'industrie aéronautique, c'est que les capacités de ces derniers ne nous permettent plus de couvrir la totalité de nos besoins. Je vous ai donné l'exemple des Mirage 2000 dont les entretiens périodiques majeurs sont effectués dans ces ateliers. Nous avons engagé un dialogue avec l'AIA de Clermont-Ferrand pour savoir jusqu'où il pouvait aller pour accélérer les cadences de livraison de la régénération des avions, compte tenu du potentiel qui était consommé sur les théâtres d'opérations. Nous avons poussé au maximum les curseurs dans les AIA, ce qui a d'ailleurs conduit à des augmentations d'effectifs dans ces ateliers l'an dernier, et confié le reste à l'industrie privée. Nous ne retirons donc pas d'activité aux AIA.
Enfin, vous avez raison, Monsieur Chassaigne, de souligner que l'armée de l'air est un acteur de l'écosystème aéronautique dans son ensemble, tant la dimension technologique est essentielle à nos activités. Il faut donc toujours trouver les bons équilibres entre l'entretien du tissu technologique et industriel et le maintien de nos capacités opérationnelles. C'était l'enjeu de la précédente loi de programmation militaire ; ce sera très certainement encore celui de la loi de programmation à venir. Aujourd'hui j'observe un déséquilibre sur les deux axes.