En ce qui concerne le format de l'aviation de chasse, nous avons évidemment un devoir d'explication. Je ne rentrerai pas ici dans des détails trop techniques mais je pourrais, chiffres et heures de vol à l'appui, vous expliquer pourquoi notre écosystème est en rupture d'équilibre aujourd'hui. Vous avez raison de souligner qu'un Rafale dispose de performances supérieures aux avions des générations précédentes. Toutefois le nombre d'appareils reste un facteur quelles que soient les performances intrinsèques de ces derniers surtout lorsque les théâtres d'opérations se multiplient, les zones à couvrir s'étendent et lorsque nos opérations réclament davantage de permanence, laquelle ne peut s'obtenir qu'en multipliant les heures de vol, donc le nombre d'avions et d'équipages. Le Rafale est très performant mais ne dispose pas encore de la qualité d'ubiquité ! De plus, la diminution de moitié du format de l'aviation de chasse ces dernières années a déjà engrangé les dividendes - si j'ose dire - de cet accroissement de performances apporté par le Rafale. C'est la raison pour laquelle cette réduction prévoyait et aurait dû s'accompagner d'une transformation rapide de notre flotte, vers une flotte totalement polyvalente « de type tout Rafale » – gage de la mutualisation de toutes les missions que nous continuons à assurer, comme je l'ai expliqué. Or aujourd'hui, nos missions n'ont pas changé. Elles ont même tendance à augmenter alors que nous ne sommes équipés que pour une petite moitié d'appareils polyvalents Rafale. Et comme je vous l'ai expliqué, en l'état de ce que prévoit la programmation, cette situation va durer encore au moins une quinzaine d'années puisque nous avons renoncé, à mon grand regret, à octroyer au Mirage 2000D une certaine polyvalence lors de sa modernisation. La difficulté est là mais aussi à un autre niveau : ce n'est pas qu'une question de performance des avions mais aussi de volume d'heures de vol produites. Un système d'armes comme le Rafale est plus exigeant, en termes d'entraînement et donc d'heures de vol à produire pour amener les équipages à niveau. Ces derniers doivent être compétents dans plus de missions qu'auparavant. En définitive pour garantir les équilibres de l'aviation de chasse (comme des autres flottes), il faut arriver à faire tenir en équilibre le trépied MCO-avions-équipages. La difficulté pour nous concerne non seulement la modernisation de la flotte, comme je l'ai indiqué, mais aussi les équilibres organiques et l'entraînement des équipages qu'exige une telle flotte, alors que l'écosystème subit des tensions bien supérieures à celles pour lesquelles il a été conçu. Le domaine de l'aviation présente l'avantage qu'on arrive à presque tout mettre en équation : les avions, les heures de vol qu'ils sont capables de réaliser, l'entretien programmé du matériel qui permet de produire ces heures de vol, le besoin d'heures de vol pour entraîner les équipages. Cela nous donne une assez bonne projection de ce que l'on est capable de faire et des déséquilibres qui se produisent si l'un de ces paramètres est modifié, comme c'est le cas aujourd'hui avec la consommation d'heures de vol que nous faisons en opérations ou le soutien à l'export qui constitue une charge importante.
Monsieur Verchère, la question que vous m'avez posée sur notre consommation de munitions est capitale. Nous nous sommes aperçus assez tôt que nos stocks de munitions allaient nous poser une difficulté, compte tenu de la consommation que nous en faisions en opérations, notamment au Levant. De fait, nous avons pris des dispositions : d'une part, dans le cadre de l'actualisation de la LPM, d'autre part, grâce aux décisions qui ont été prises lors du conseil de défense du 6 avril 2016. Il faut maintenant que ces décisions soient financées mais je peux en tout cas vous assurer qu'elles ont été prises et que les commandes ont été passées. Si nous avions en 2016 une inquiétude, le risque est désormais écarté. Ce sont d'ailleurs plutôt les kits de guidage que les corps de bombes qui posaient des difficultés d'approvisionnement. Je ne vous détaillerai pas tous les types de kits existants – guidés laser, guidés GPS, guidés inertiels GPS, infrarouge, que ce soit sur l'armement air-sol modulaire (A2SM) ou sur les kits américains – mais sachez que nous avons pris les décisions nécessaires.
Vous m'avez ensuite interrogé plus largement sur les conséquences potentielles des annulations budgétaires qui ont été décidées sur la gestion budgétaire 2017. Il est probablement un peu tôt pour vous dire sur quels éléments physiques porteront ces annulations. Il revient à l'état-major des armées, en liaison avec l'armée de l'air, les autres armées et les autres services du ministère, de déterminer la meilleure équation possible, c'est-à-dire celle consistant à en minimiser l'impact immédiat. Il est évident que ces annulations ne pourront concerner les éléments touchant directement à la conduite de nos opérations. Comme vous le savez, le budget de la défense se répartit très schématiquement entre le programme 212, consacré à la masse salariale et à l'infrastructure, le programme 178, consacré à l'activité des forces, le programme 144, consacré aux études technologiques d'avenir et le programme 146, consacré aux équipements dont environ 13 concerne la dissuasion. Il me semble que le seul agrégat budgétaire susceptible d'absorber un tel abattement est celui des équipements, soit la partie conventionnelle du programme 146, et non pas les munitions.
En tant que chef d'état-major de l'armée de l'air, je serai particulièrement attentif à certains programmes car il est évident que ces annulations budgétaires auront des conséquences physiques. Certains d'entre eux sont particulièrement sensibles pour l'armée de l'air et pourraient être décalés. Je pense par exemple à l'acquisition d'un Caracal supplémentaire pour remplacer celui détruit en opération. En effet, lorsque des machines sont détruites en opération, il faut les remplacer car nous ne disposons malheureusement plus aujourd'hui d'un parc suffisant pour compenser cette attrition. Mentionnons également la rénovation des Mirage 2000D, l'acquisition de moyens légers de surveillance, la commande de trois MRTT et des pods de désignation laser de nouvelle génération supplémentaires, ainsi que le lancement du standard F4 du Rafale, entre autres. Plusieurs dossiers importants sont devant nous. Les équipes du ministère vont donc réfléchir à la façon de minimiser l'effet des annulations budgétaires sur notre dispositif.
La disponibilité de l'A400M a été catastrophique, et je pèse mes mots, en 2016 puisqu'elle oscillait entre zéro et un. Vous aurez certainement suivi cette crise par voie de presse. Le ministère a donc manoeuvré en liaison avec l'industriel. La situation en 2016 était principalement liée à un problème de pièce défaillante sur les boîtes de transmission moteur, ayant eu des conséquences déterminantes pour l'exploitation de cette flotte.
L'A400M revêt deux enjeux. Il y a tout d'abord l'affaire des moteurs qui semble plutôt derrière nous, compte tenu de l'augmentation de la disponibilité entre 2016 et 2017 : de zéro à un avion l'an dernier, on est passé à une disponibilité de cinq à six avions en ligne aujourd'hui, sur une flotte de onze avions. Deuxième enjeu, l'affaire des fonctionnalités tactiques de l'appareil, dont vous avez parlé. L'avion a été livré avec un standard qui ne correspondait pas à celui que nous attendions : c'était un avion de transport logistique et non de transport tactique. Nous avons donc fait pression sur Airbus pour garantir les fonctionnalités qu'il nous paraissait urgent de disposer pour mener nos opérations : l'atterrissage sur terrain sommaire, un premier standard de contre-mesures électroniques, le largage des charges par gravité, etc. Ce plan baptisé Hexagone a consisté à mobiliser toutes nos énergies pour livrer six avions dans ce standard à la fin de l'année 2016 – jalon qui a été respecté par l'industrie. Aujourd'hui, cette dernière sait qu'il faut continuer à améliorer encore les fonctionnalités tactiques de l'appareil. Vous avez cité l'exemple des parachutages : c'est encore un point difficile. Citons aussi le ravitaillement en vol des hélicoptères et la performance du système de contre-mesures électroniques. J'appelle de mes voeux la fixation d'un nouveau jalon, comparable au plan Hexagone, pour garantir non pas l'arrivée des fonctionnalités tactiques au fil de l'eau mais une capacité opérationnelle stabilisée incluant un nombre d'avions dans un nouveau standard, donc leur rétrofit et une échéance précise. Cela permettra aussi bien aux services du ministère qu'à l'industriel de travailler dans le même sens. J'estime à titre personnel que l'A400M finira par être un très bon avion – les équipages me le disent – mais nous avons encore quelques années devant nous pour finir de corriger les défauts de jeunesse que nous constatons aujourd'hui. J'ajoute que l'A400M change quand même la donne en matière de projection : il permet d'emporter directement jusqu'à Gao, sans escale, un hélicoptère NH90, ce que nous ne pouvions évidemment pas faire avec un Transall.
Ces remarques m'offrent une transition avec la question suivante. Dans le transport aérien, il faut distinguer la capacité à projeter des forces sur un théâtre d'opérations extérieures de celle permettant d'effectuer des missions sur ce théâtre. La première correspond au volet stratégique de notre projection, la seconde, au volet tactique. Il faut trouver le bon équilibre entre les deux, non seulement dans l'architecture de nos flottes mais aussi dans les capacités que nous mobilisons. Nous souffrons aujourd'hui d'une vraie faiblesse en termes de capacités tactiques – segment sur lequel aucune externalisation n'est possible. Le marché civil dispose de capacités sur le segment stratégique puisque nous affrétons régulièrement des avions de transport stratégique. Nos alliés américains, canadiens et britanniques nous aident par ailleurs en ce domaine. C'est donc dans le transport tactique qu'il faudrait faire un effort, non seulement à cause du retard de l'A400M mais aussi du fait du vieillissement des flottes anciennes de C-160 et C-130. C'est le sens de la décision qui a été prise dans l'actualisation de la LPM lorsque nous avons décidé d'acquérir en urgence quatre C130J dont le premier sera livré d'ici la fin de cette année. La difficulté provient des besoins des théâtres d'opérations : pour être très mobile face à un ennemi qui se retranche sur un territoire de la taille de l'Europe comme le Sahel, il faut avoir des moyens de transport tactiques.
J'en viens à la plateforme aéronautique de Tours. L'intention de l'armée de l'air, pour des raisons qui tiennent à notre plan de transformation et au besoin de dégager des marges de manoeuvre dans le domaine des ressources humaines, est de nous défaire progressivement de l'exploitation de cette plateforme aéronautique. Nous avons pris contact avec la direction de l'aviation civile (DGAC) pour savoir qui en serait l'exploitant commercial prioritaire. Je n'ai pas connaissance qu'un opérateur se soit déclaré mais je sais que le besoin existe.